« Moi, ce qui m’intéresse, c’est le concret. On entend parler de ce grand débat dans les journaux, et à la télévision et on connaît les problèmes sur le terrain. Je suis curieuse de savoir ce qui va en sortir ». Le cadre est posé. Noua comme beaucoup d’autres est attentive. A l’écoute. Elle avait à coeur de participer à cette réunion. Comme elle, plus de 200 personnes ont décidé de répondre à l’invitation lancée par la sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, Samia Ghali. Dans cette grande salle du centre culturel de la Malavasi dans le 15e arrondissement de Marseille, la parole est donnée aux citoyens. Alors ils ont décidé de la prendre sans l’ombre d’une hésitation. Parce qu’ils n’ont pas peur de dire qu’ils sont « les oubliés de La République.»
Acte 1 : la mobilité un frein à l’emploi
C’est sur la problématique de la mobilité qu’ont débuté les premières discussions, qui mettent au jour la fracture territoriale entre le nord et le sud de la cité phocéenne. Elle se traduit d’abord pour les habitants par un « vrai problème de transports inter-quartiers ». Des situations plus globales aux cas personnels, cette habitante de La Savine, appuyée sur sa canne déplore « de ne pas pouvoir monter dans le bus de Septèmes-les-Vallons » alors qu’il transite par Marseille. Elle est de tous les combats et même à un âge avancé ne cessera de « faire valoir ses droits.» « A l’heure où l’on parle de mobilité métropolitaine, comment peut-on refuser que les Marseillais empruntent ces bus, alors que les Marseillais payent pour les bus de Septèmes ? », s’insurge Samia Ghali.
Le coût des transports, « trop cher », le maillage « parfois incohérent», les multiples retards ou encore la lenteur des travaux, notamment ceux « honteux » de la station de métro Capitaine Gèze, sont pointés du doigt. Des chantiers interminables qui ont fini par convaincre certains habitants des quartiers nord de militer pour une ligne de tramway plutôt qu’un métro jusqu’à La Castellane. Pour d’autres, peu importe, c’est « juste inconcevable de ne pas pousser le métro vers le fond des quartiers nord», souligne Zora. Puis il y a cette gare de Saint-André « vide et sous-exploitée dont il faudra faire quelque chose». Ou encore l’absence de stations de vélo dans ce secteur de la ville. Des freins considérables à la recherche d’emplois, note l’assemblée unanime.
La route, le rail et la mer. Les débats ont mené à la conclusion de développer les navettes maritimes pour désengorger les voies. « Ce serait un moyen de se déplacer comme un autre pour aller travailler et l’élargir jusqu’à Carry pour, pourquoi pas, aller à la mer l’été. C’est plus zen et cela pourrait aussi avoir un impact sur la pollution ».
Acte 2 : bien-vivre dans son logement et dans sa ville
Si la première heure a largement été consacrée à la mobilité, naturellement, le drame de la rue d’Aubagne ne pouvait passer sous silence. Des proches des victimes dans l’assistance, membres du collectif « Marseille en colère », ont fait part de la nécessité de continuer la mobilisation afin de trouver des solutions rapides pour les personnes évacuées, dont beaucoup sont encore hébergées à l’hôtel. D’habitats indignes aux copropriétés dégradées, le logement a été au cœur des discussions pendant plus d’une heure. La lutte contre les marchands de sommeil s’est aussi invitée sous une forme plus inédite. « J’en veux énormément aux marchands de sommeil qui jettent le discrédit sur tous les petits propriétaires », indique un Aixois, propriétaire lui-même. En livrant son histoire, il remet le curseur au centre. Lui « petit propriétaire » dont la locataire, « une avocate pourtant, avait tout simplement décidé de ne plus payer son loyer. J’ai failli tout perdre. Heureusement qu’il y avait ma famille. Je voulais sensibiliser sur ce genre de faits, tous les propriétaires ne sont pas des salauds. Il faut savoir qu’on ne bénéficie d’aucune protection ».
D’Aix-en-Provence à la cité de La Savine, il y a un monde. Ici, les locataires dénoncent le plan de rénovation urbaine qu’ils estiment être « une arnaque ». Beaucoup refusent de vivre dans les nouveaux logements « car on ne s’y sent pas chez nous. Moi, personnellement, j’y suis depuis le 13 juillet et depuis je suis en dépression, » exprime une Marseillaise, quand un autre pointe une répartition inéquitable des logements sociaux sur le territoire. « La loi devrait imposer un quota de 25% par secteur de la ville », propose-t-il, « non plus par commune ». A La Castellane aussi, les habitants lancent un appel aux bailleurs, « de faire leur travail lorsqu’il y a des travaux. » A La Viste, on appelle à tenir compte du handicap dans l’attribution ou le changement de logement.
Plus largement, Marseille, ses rues « trop étroites », sa voirie « qui fait défaut », ses espaces verts « qui manquent cruellement », reste une ville pleine de paradoxes. « A Marseille, les appartements sont grands, pas comme à Paris, souligne un architecte. Ce qui veut dire que les gens préfèrent aussi davantage rester chez eux car il manque des espaces publics de meilleure qualité, contrairement à d’autres villes de France. Marseille est capable de créer ces espaces publics », pour regagner ses galons de deuxième ville de France. Ainsi, le bien-être, le bien-vivre, passent pour beaucoup par un environnement sain, dans leur logement, tout comme dans leur ville.
Acte 3 : un environnement plus sain au service de la santé
Alors intervient la question des pollutions atmosphériques émanant des bateaux de croisières qui font escale au Grand Port Maritime de Marseille. Des CIQ se sont emparés de la problématique en lançant une pétition pour la protection des riverains. « Nous ne pouvons pas nous laisser tuer au prix d’une économie », lance une membre du CIQ. Les travaux sur le terminal international du Cap Janet n’est pas des plus populaires. L’environnement est en lien étroit avec la santé, et l’élue socialiste Annie Lévy-Mozziconacci, présente mercredi soir, reste convaincue qu’il faut créer « une spécialité de médecine environnementale ». Pour elle, la santé, « est avant tout une question de décision politique. Cette problématique doit nous amener à être tous acteurs », insiste-t-elle, rappelant la demande de création d’un registre métropolitain des malformations congénitales et des cancers. « Nous voulons que l’Etat porte une attention particulière sur la spécificité de Marseille et de la Métropole, il faut au moins une étude d’impact sanitaire, avoir un état des lieux ».
Les expériences partagées des uns et des autres laissent apparaître différentes réalités. Un jeune homme qui « vient de la campagne », relativise face aux critiques sur l’accès aux soins. « A Marseille, vous avez la chance d’avoir de nombreux spécialistes. Faire 5 ou 15 km ce n’est pas grand chose quand dans les campagnes on doit parfois parcourir 50 km pour voir un médecin sans même savoir s’il sera là ». Pour lutter contre la désertification de la médecine rurale, une dame propose d’ailleurs à Emmanuel Macron, que les étudiants en médecine qui se destinent à une spécialité prennent « un engagement pour service rendu à la nation afin de rester un certain nombre d’années sur un territoire et généraliser le travail en groupe dans les maisons de santé aussi bien à la ville qu’à la campagne ».
Acte 4 : « M. Macron, écoutez-nous ! ».
En matière de soin, certains soulignent également des situations injustes, qui renforcent encore un peu plus leur sentiment d’abandon. Pour exemple, l’hôpital privé de Saint-Barnabé dont les habitants du quartier « ne veulent pas, eh bien nous dans les quartiers nord on en veut bien, mais comme ici il y a une population précaire qui ne peut pas payer des dépassements d’honoraire, eh bien ce n’est pas pour nous. Il faut arrêter de voir la santé comme une marchandise ! » Et un autre de renchérir : « tout se gère désormais comme une entreprise, par le résultat financier. Il faut sortir de ça, le mieux ce n’est pas de guérir mais de faire de la prévention ». A ce sujet, une parent d’élève ajoute « où est passé la prévention bucco-dentaire à l’école ? ». Un autre attire l’attention sur la protection des enfants de l’aide sociale à l’enfance. La citoyenneté a également ponctué le débat. « Je demande à l’Etat d’établir le vote obligatoire, car j’en ai assez de ces gens qui pleurnichent et qui ne vont pas voter et tenir compte du vote blanc, lance une Marseillaise. Il faut établir aussi une dose de proportionnelle pour avoir une juste représentation à l’Assemblée nationale quel que soit le parti en place. »
De nombreux élus ont assisté à ces plus de deux et trente de discussion, parmi lesquels le communiste Jean-Marc Coppola, Christophe Madrolle, secrétaire général de l’UDE ou encore le socialiste Henri Jibrayel. C’est le troisième débat auquel assiste Christophe Madrolle. Après Paris, un autre dans le nord de la France, « c’était tout à fait normal que je sois là », confie-t-il à Gomet’. En tant que politique, il avoue que la complexité des affaires de l’Etat a éloigné les élus du terrain. « Et il n’y a plus suffisamment d’intermédiaires, de relais de terrain. On voit qu’il y a un malaise global, d’ailleurs beaucoup d’interventions sont des messages à Macron. Et ce débat vous le retrouvez partout en France. La crise des gilets jaunes a ramené une parole citoyenne. » Une parole qui devrait remonter jusqu’à l’Elysée, puisque Samia Ghali fera « tout remonter à la Commission nationale du débat public ainsi qu’au président de la République et au gouvernement. » Et déjà certains espèrent être entendus. « M. Macron, écoutez-nous ! »