Le Covid-19 se propage de façon rapide au Maghreb. L’Algérie qui est le pays le plus touché a annoncé officiellement lundi 30 mars, 584 personnes contaminées par le coronavirus dont 35 décès. Dans le silence de la pandémie mondiale, l’Algérie s’enfonce. La crise pétrolière, l’urgence sanitaire, l’étouffement du hirak, le mouvement populaire citoyen né le 16 février 2019, plongent le peuple algérien dans une crise opaque qu’aucun artifice ne pourra colmater.
L’économiste, Raouf Boucekkine, professeur des universités d’Aix Marseille School of Economics est une voix qui porte. Reconnu pour ses travaux, auteur de nombreuses publications internationales, il est à la fois d’une rigueur sans faille et d’un engagement désintéressé pour sortir l’Algérie du marasme. Raouf Boucekkine, directeur de l’IMéRA, membre senior de l’Institut Universitaire de France, répond aux questions de Gomet’ sur la situation de notre voisin d’en face.
Comment réagit l’Algérie à la propagation du coronavirus ?
Raouf Boucekkine : Vous imaginez bien que le système sanitaire algérien est encore beaucoup moins bien préparé que les systèmes français ou italien à ce genre de crise. Le gouvernement a décrété des confinements partiels (comme à Alger) et le confinement total de la ville d’où est parti supposément le fléau, Blida, et il tente vaille que vaille d’acheter masques et des respirateurs à l’étranger. Mais la concurrence internationale est rude. L’urgence sanitaire, qui est non seulement à l’origine de la crise pétrolière, à cause du ralentissement de l’activité économique mondiale induit, a également des conséquences économiques et humaines potentiellement désastreuses.
Les Algériens savent que le système hospitalier algérien est inopérant
Raouf Boucekkine
Les Algériens, fondamentalement fatalistes, s’en remettent d’abord à eux-mêmes, ils savent que le système hospitalier algérien est inopérant et voient ce qui se passe sur la rive sud de la Méditerranée. Ils savent aussi que les revenus pétroliers, en chute libre, ne seront d’aucun secours. Beaucoup se terrent comme partout ailleurs sur la planète, indépendamment même des injonctions à géométrie variable du gouvernement. La presse et les réseaux sociaux rapportent de nombreux cas poignants de familles démunies (vivant habituellement de l’informel ou de jobs de fortune) au bord de l’inanition. Dans ces conditions atroces, avec la récession brutale qui s’annonce, le gouvernement devrait prendre des mesures d’extrême urgence en faveur des plus pauvres et en anticipation de la récession qui va suivre.
Une urgence sanitaire qui s’ajoute à la chute des ressources des hydrocarbures…
Rien n’a été fait depuis 2014 pour amorcer un début de réforme structurel dans ce pays, la dépendance aux hydrocarbures reste donc à un niveau suicidaire.
Raouf Boucekkine
Raouf Boucekkine : La situation est catastrophique. Il faut savoir que la Loi de Finance 2020 table sur un prix du Brent autour de 50 $ et se base sur des projections d’exportation rendues caduques par la crise actuelle. Avec un baril à 25 $ ce matin (29 mars 2020), l’économie algérienne entre dans un puits sans fond. Les déficits intérieur et extérieur risquent d’être même plus abyssaux que ceux provoqués par le contre-choc pétrolier de juin 2014 (plus de 15 % du PIB pour le déficit budgétaire !). Rien n’a été fait depuis 2014 pour amorcer un début de réforme structurelle dans ce pays, la dépendance aux hydrocarbures reste donc à un niveau suicidaire. Le gouvernement a réagi hier par des annonces d’objectifs de coupes massives quasiment dans tout : importations (-10 milliards (Mlds) de $), budget de fonctionnement de l’État (-30 % hors salaires), investissement des grandes entreprises nationales, y compris de la Sonatrach… Vous remarquerez le « -30 % hors salaires » alors que ceux-ci constituent plus de 60% du budget de fonctionnement : l’Algérie paie encore la démente augmentation des salaires en réponse au Printemps arabe de 2011 (effet cliquet). En revanche, pas de dévaluation/dépréciation encore du dinar au contraire d’autres pays pétroliers comme la Russie ou la Norvège, qui ont des économies bien plus diversifiées que l’économie algérienne.