« Il y a encore dans le narcobanditisme marseillais, comme dans le narcobanditisme corse, des gens qui, je ne dirai pas qu’ils sont complices, mais qui ont fermé les yeux sur comment l’argent rentre dans certains commerces, comment certains projets immobiliers se font, ça il faut que ça s’arrête ! »
Ainsi parlait dans les colonnes de La Provence le Garde des Sceaux, Gérald Darmanin, après avoir rencontré la famille de Medhi Kessaci, assassiné à 20 ans, en plein jour, pour avoir eu le tort d’être le petit frère d’Amine, militant écologiste engagé dans la lutte contre la pègre qui empoisonne la vie marseillaise. Le ministre de la Justice pensait-il en prononçant ses mots à feu le maire de Marseille qui martelait sans complexe depuis des années la même antienne, en évoquant ceux qui avaient mis main basse sur les quartiers les plus pauvres de la ville : « tant qu’ils se tuent entre eux ! ».
Jean-Claude Gaudin ne faisait alors que ricaner sur une réalité qu’il s’entêtait à considérer comme un épiphénomène, de la même manière qu’il balayait d’un revers de la main la réputation d’une ville polluée puisque, osait-il, elle avait le mistral pour remède. Des Pagnolades qui faisaient rire alors sous les ors du palais du Luxembourg, mais qui aujourd’hui montrent à quel point une partie de la classe politique locale a détourné sans pudeur les yeux des réalités qui gangrénaient grande partie de ses villages-quartiers et entraînaient ses populations dans une spirale infernale.
Accompagné de Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur et grand connaisseur de l’espace phocéen, Darmanin vient renforcer des années plus tard le constat du sociologue Jean Viard qui, avec d’autres, avait fait la démonstration que Gaudin « n’a pas œuvré en faveur des grands quartiers populaires du Nord. Il s’est occupé de son électorat du sud de ville avec par exemple l’arrivée du tramway ». Mais on tournera la page puisque Brassens nous a dit que « tous les morts sont de braves types ». Et on se tournera vers les vivants qui se démènent pour en finir avec le cauchemar dans lequel, involontairement sans doute mais collectivement, on les a laissé se noyer.
Parmi ceux-là, Amine Kessaci qui vient d’enterrer son petit frère mais qui du haut de sa vingtaine d’année s’entête à revendiquer l’espérance de voir encore Marseille debout. « L’espérance est le songe d’un homme éveillé » disait Aristote et Amine toque à nos portes pour nous dire « ne dormez pas braves gens, le pire est devant nous ! ».
Amine encarté à Europe Ecologie Les Verts a perdu de quelques centaines de voix aux législatives de 2024, la RN Gisèle Lelouis étant élue. Militant engagé dans la lutte contre le narcotrafic, Amine a créé une association, Conscience, qui a essaimé dans de nombreuses villes contaminées par la drogue et ceux qui prospèrent sur sa propagation.
La rencontre d’Amine Saviano avec Amine Kessaci
Peu à peu avec la rage d’un homme jeune qui a décidé de ne jamais se taire il va, de rencontres en conférences, interpeller les pouvoirs politique, judiciaire, économique, en dénonçant les imbrications de moins en moins souterraines entre l’argent sale de la drogue et le pays réel.
Roberto Saviano que Libération lui a permis, sous haute protection, de rencontrer à Paris, ne dit pas autre chose. L’écrivain italien, ennemi juré de la Camora et de la Mafia qui a fraternisé avec Amine, sonne le tocsin et appelle la France à se mobiliser : « Il semble que la France soit en train de vivre l’une des pires périodes criminelles de son histoire. Et cela a l’air de ne toucher qu’à peine le débat politique ».
L’auteur de Gomorra, comme Amine, dépasse la gesticulation parlementaire ou présidentielle qui balance encore entre la question de la dépénalisation ou a contrario la répression des usagers, pour pointer une réalité têtue. La France est « une démocratie qui a en son sein le pouvoir économique du narcotrafic ».
Pour l’Italien il est temps d’ouvrir les yeux et de ne plus résumer à longueur de colonnes la thématique à une guerre de gangs où des truands d’origines maghrébines ou africaines s’entretueraient pour un territoire. Comme jadis, dans la mythologie du grand banditisme, le faisaient les Corses, les Lyonnais et les Marseillais. Saviano éclaire d’une lumière crue la réalité en désignant les nouvelles entités criminelles : « Il s’agit d’organisations qui ont fourni du capital, précisément à la bourgeoisie française et cela correspond à un réel pouvoir. La France et les Français blancs ont l’argent des banlieues qu’ils méprisent ». Pour être « condamné à vie » par la pègre transalpine, comme il l’avait dit lors d’une conférence au Mucem, l’auteur prolixe est d’autant plus légitime à nous alerter que l’on parle de milliards d’euros pour évaluer ce qu’on ne peut plus qualifier « d’économie souterraine ».
Du juge Michel à Yann Piat
Kessaci et Saviano s’accordent aussi pour réfuter une expression qui a fait chorus ces dernières heures : l’assassinat de Mehdi, le frère d’Amine serait un « point de bascule ». La formule a été reprise à l’envi par la sphère politique qui a la mémoire courte. Qui oublie par exemple qu’en octobre 1981 on abattait, « en plein jour » comme Medhi Kessaci, sur le boulevard Michelet, un magistrat, le juge Michel. L’assassinat avait été commandité par quatre membres de la French Connection depuis la cour des Baumettes où le téléphone portable n’existait pas encore, mais où les paroles pouvaient déjà tuer.
Qui oublie encore qu’une parlementaire varoise, la députée Yann Piat (Ex FN puis UDF) impliquée dans la lutte contre la corruption et le trafic de drogue, a été tuée à Hyères en 1994. Deux exemples qui auraient pu faire force mais qui sont restés dans la rubrique faits divers quand ils posaient pourtant tant de questions économiques, sociétales, politiques.
Amine Kessaci a appelé ce samedi les Marseillais à se lever pour s’élever contre ce qui n’est pas selon lui une fatalité, mais une mécanique que les pouvoirs policier, judiciaire et économique peuvent finir par enrayer. A condition qu’une prise de conscience citoyenne y participe comme ce fut le cas au rond-point où a été abattu Mehdi. Elle fera peut-être oublier que trop longtemps la politique phocéenne s’est faite calculette à la main, en épluchant les seuls résultats des bureaux de vote sans se soucier un instant de la situation de ceux qui allaient aux urnes ou ne s’y rendaient pas. Amine sait que le chemin sera long. Il vient de Frais-Vallon un quartier de 6000 âmes qui est, nous rappelle-t-on, connecté au métro et d’où on peut voir la mer. Mais c’est un horizon que veulent apercevoir ses habitants.
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