Marseille peut-elle inspirer la France ? Dans le secteur de la mode, c’est sûr. L’élue parisienne Lyne Cohen-Solal, ex-adjointe à l’artisanat, au commerce et métiers d’art de Bertrand Delanoë, aujourd’hui conseillère d’arrondissement dans le 5ème, est venue ici il y a quelques jours pour rencontrer dans les murs de l’emblématique Maison méditerranéenne des métiers de la mode professionnels, créateurs et autres formateurs. Entretien exclusif.
Quelle est l’origine de votre mission ?
Line Cohen-Solal : C’est la ministre de la Culture, Fleur Pellerin qui m’a demandé de faire un rapport sur le secteur de la mode. Puis le ministre de l’Economie a également souhaité que son ministère soit impliqué. Je mène donc une mission pour ces deux ministres jusqu’en juin autour de trois problématiques : formation aux métiers de la mode, écosystème de la mode, financement des entreprises de mode débutantes. La mission a débuté mi-janvier. Les propositions viseront à rendre le secteur encore plus fort, plus vivant, plus créateur d’emploi et plus fidèle à ce que la mode est pour la France. Cela fait longtemps que l’on se pose des questions, pas seulement la gauche. Christian Estrosi, le maire de Nice avait également demander un rapport sur les écoles de mode. Le système « LMD » (licence master doctorat) ne s’applique pas à la mode comme dans les matières académiques. Il y a une cinquantaine d’écoles de mode mais pas de « diplomation » organisée. C’est très injuste ! Qu’est-ce qu’on peut faire ? Pour moi, il s’agit désormais de faire quelques propositions concrètes immédiatement applicables. Je rendrai mes conclusions en juin avec une dizaine d’idées qui se voudront très opérationnelles.
Sur quels axes de travail portent vos initiatives et vos rencontres ?
LCC : La formation d’abord. Il y a beaucoup de très beaux métiers. Je rencontre des gens qui veulent embaucher. Quand on fait des formations on doit donner des diplômes qui correspondent. Aujourd’hui les jeunes formés chez nous vont à Bruxelles ou Londres pour obtenir un diplôme reconnu. Ce n’est pas normal et pas respectueux. J’ai comme l’impression qu’on est resté dans un schéma vieillot. Avant, on disait aux filles qui ne réussissaient pas dans les études d’aller faire couturière. Sur le financement, beaucoup de choses peuvent être améliorées. Pourquoi les banques disent « pas la mode pas la mode. » Il y a pourtant plein d’argent à gagner. En France, le secteur emploie plus de 700 000 personnes, plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et il y a un potentiel supplémentaire. Une seule usine en Normandie me dit qu’ils veulent embaucher une centaine personnes. Les façonniers qui travaillent pour le luxe sont à plein régime. Et les besoins évoluent en permanence. Il faut que les gens soient formés et que le financement soit facilité, notamment pour les jeunes créateurs. Des métiers risqués ? Je vois des gens qui réussissent très bien. Dans le cinéma, il y a un système qui fonctionne pour les indépendants. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?
Que pensez-vous de la Maison Méditerranéenne de la métiers de la mode à Marseille ?
L. C-C : Je connais bien la structure. Je la trouve très intéressante par ce que c’est un lieu de rencontre. Et à Marseille, ça fait tout son sens. La ville est un lieu de métissage, de mixage,mélange. La mode est éponge. Elle se nourrit de çà. Marseille constitue un lieu extraordinaire. J’achète des produits à Paris, je ne savais pas qu’ils étaient produits à Marseille ! Comme Sugar par exemple. Ici, le bassin de travail est riche avec des créateurs, des fabricants et des commerçants. Cela constitue un trio qui marche. Le travail réalisé par Maryline Bellieud-Vigouroux a permis de faire parler les gens ensemble. Du coup avec l’université, elle a réussi justement à faire en sorte qu’un master de gestion des métiers de la mode soit reconnu par l’université. Il y en a très peu en France. C’est très intéressant de voir comment cela a été fait ici, en faisant comprendre aux gestionnaires comment marche le secteur de la mode.
Est-ce qu’une structure comme la MMMM pourrait être dupliquée ailleurs ?
L. C-C: C’est souvent lié à une personnalité. Et à l’histoire. A Lyon, les soyeux ont un poids important. L’histoire est lourde à gérer. A Marseille il n’y a pas cette antériorité. A Lille c’est encore autre chose. Mais on peut garder le principe : rassembler les acteurs. C’est bien que les gens se prennent en main. La force c’est de se parler. Pas facile quand nous sommes avec des métiers de créateurs, d’arts appliqués individuels. Il faut trouver la fédérateur ou la fédératrice pour faire des synergies ? Ici c’est Maryline. A Paris, c’est plus compliqué car il y’a presque trop de monde !
Quelles sont les pistes aujourd’hui pour faire changer les choses ?
L. C-C : On a la chance d’avoir en France des grands groupes. La mode est le premier produit exporté en Asie. C’est notre ADN qui se balade ainsi dans le monde. Il faut savoir tenir compte de ces grands groupes. Le parrainage ou la présence de certains membres de ces groupes, rassurent donnent une valorisation. Ils font déjà beaucoup, mais on peut faire ensemble encore plus. J’ai l’impression qu’il y a un peu de gaspillage d’énergie. Il faut les mettre dans le coup forcément sinon ça ne marchera pas. On besoin d’eux et ils ont besoin des créateurs. Tout va dans le sens d’une mise en synergies de ces métiers et de la reconnaissance de ces métiers par les pouvoirs publics. Tout en découle : la formation, la diplomation, les financements. Il faut s’adapter aux besoins. Les crédits d’import sont mal adaptés. Le crédit d’impôt collection ne correspond pas aux besoins des petites structures. Cette profession a besoin de s’exprimer, et pour s’exprimer elle a besoin de se rassembler. Cette profession ne s’est pas se vendre. Les artisans savent se vendre : « Le premier employeur de France. » Or les métiers de la mode peuvent être épanouissant, intéressant et on peut bien gagner sa vie. Il faut le faire savoir.