Et the winner n’est pas…
Les Européennes sont une élection à part. Quoique ! Jean-Claude Gaudin en professeur d’Histoire, ayant passé plus de temps dans les fauteuils du Sénat que devant les bancs de l’école, a estimé dimanche dernier que ces élections sanctionnaient toujours le pouvoir en place. Une analyse plus fine aurait pu lui être opposée, car Emmanuel Macron et ses troupes se sortent plutôt bien de l’épreuve, malgré six mois de guerre des rues et des ronds-points. De deux ans aussi de tirs de barrages tous azimuts à l’Assemblée et au Palais du Luxembourg. Sans compter enfin sur l’épisode « benallesque » de la Contre Escarpe présenté par l’opposition de droite, de gauche et des extrêmes qui vont avec, comme une « affaire d’Etat ». La caravane de la Renaissance est passée, malgré les aboiements, mais sans les applaudissements. Marseille et sa région, à l’exception notable d’Aix où Larem a viré en tête, a été, à quelques nuances près, à l’image de l’Hexagone. La carte de la deuxième ville de France a viré au bleu Marine où seuls trois arrondissements sur 16 ont fait de la résistance. La gauche a été dispersée façon puzzle et le mélenchonisme a démontré qu’un orateur, quelle que soit sa verve, ne rassemblait pas forcément dans les urnes. Les calculettes des uns et des autres ont du coup crépité, pour faire des additions et nourrir la possibilité d’une île, à sauver du raz-de-marée extrême-droitier. Mais les plus lucides constatent que, comme dans les Alpes de Haute-Provence la prolifération des loups, les hordes ont prospéré. Les Japonais affirment que « la défaite est un pont vers la victoire ». … Sans doute à condition de ne pas s’être fait hara-kiri avant et dans le camp des Républicains marseillais, il y a une lourde tendance à l’auto-flagellation. A vouloir urbi et orbi faire des Européennes ce qu’elles ne sont pas – un vote pour ou contre le pouvoir en place – les opposants à Macron ont réussi, au pied de la Bonne Mère, un miracle. C’est leur plus constant adversaire, Stéphane Ravier, qui est installé en pole position pour les municipales à venir. Et la loi PLM qui veut qu’il suffit de quatre secteurs sur huit pour gagner, ne sera peut-être pas, en 2020, suffisante pour endiguer le RN.
Un seul slogan : en marche
On ne sait si la vague a eu lieu dans la nuit suivant les Européennes, mais les petites troupes de Bruno Gilles n’ont pas traîné pour investir partout les 34 panneaux d’affichage dédiés à cette élection. On appelle ça passer à l’offensive. Faudrait-il y voir aussi la crainte d’un manque de notoriété pour le sénateur de Marseille, connu d’abord pour en avoir été le maire de secteur, dans le cinquième arrondissement. Deuxième prétendant sorti de sa boîte, Lionel Royer-Perreaut de LR. Celui qui soutenait dimanche son bel ami Versaillais (quatrième dans le IXe et, cinquième dans le Xe dont Royer-Perreaut est maire), a dégainé un sondage BVA. Il le place largement en tête, avec 41% pour les prochaines municipales. L’institut sondagier s’est contenté d’une consultation lowcost (741 électeurs sondés). Il a avancé dans son hypothèse des personnalités – notamment le doyen de la Faculté de Droit, Jean-Philippe Agresti, sympathisant de LREM – qui ont appris ainsi qu’ils étaient de potentiels candidats. Horace disait que « les peintres et les poètes ont toujours eu le droit de tout oser ». Les politiques font rarement dans l’onirisme et s’ils nourrissent un dessein, c’est rarement lié à l’art. On dira plus prosaïquement que le maire de secteur a ainsi pris date. Il prie aussi sa famille politique de bien vouloir compter sur lui et ses incroyables 41%. Dernière à dire en silence, ce qu’elle prie ses soutiens de diffuser tout haut, Martine Vassal. Le magazine du conseil départemental, Accents, s’est ainsi fendu d’une Une qui ressemble à s’y méprendre à une affiche électorale. La dame du conseil départemental, comme ne le dit pas Gaudin qui réserve la formulation à son ennemie aixoise, « la dame d’Aix », apparait en majesté, avec un titre en arrière-plan, « Marseille change ». Ce n’est pas un commentaire des dernières européennes, ce numéro 250 étant sous presse bien avant, mais plutôt l’affirmation d’une politique en cours et à venir. Qu’on se le dise dans les chaumières où le magazine est abondamment distribué. Et tant pis si quelques râleurs, identifiés à gauche, estiment que c’est l’argent des contribuables qui est ainsi détourné au profit d’un seul camp. Les Républicains ont choisi d’être en marche, après avoir raté plusieurs marches.
Dur comme fer
On l’avait vu, au grand dam de la rédaction du titre, dans les murs de La Provence. Il en voulait beaucoup au sociologue Jean Viard qui n’avait pas voulu de lui comme suppléant, aux législatives de 2017. Il jurait que le Président de la République pouvait trembler en son palais de l’Elysée et que les Gilets Jaunes, dont il était un représentant auto-proclamé, allaient le déloger et le décapiter, au moins symboliquement. Et puis le forgeron du Vaucluse a bâti une liste, pour se faire entendre aux Européennes. Et enfin, il a pris un gros coup de marteau sur la tête le ramenant à son fer forgé, avec un soufflet géant. Deux voix dans sa commune de Sault et moins de 200 voix dans le Vaucluse. Le département où la tête de liste d’Evolution Citoyenne, prétendait qu’il y avait des militants prêts à marcher sur Paris. A l’instar naguère en juillet 1792 des Marseillais, les fédérés. Un bataillon qui a rejoint la capitale en chantant la future Marseillaise. Elle se nommait alors « chant de guerre pour l’Armée du Rhin. L’armée du Rhône de Chalançon n’a pas permis, à celui que la Canard Enchaîné appelait ce mercredi « le candidat de BFM », de venir parader sous les sunlights. Il reste au Vulcain des souvenirs qu’il s’est forgé pendant cette période où gueuler et menacer faisait tout le programme de l’info en continu.
Les Verts de contact
Marseille est une ville polluée. L’info n’est pas nouvelle. Ce qui l’est, c’est que les Marseillais ne prennent plus cela à la légère. Ils l’ont fait savoir dans les urnes, en plaçant Yannick Jadot et ses amis en troisième position. Souvent très loin devant les Républicains qui gèrent, jusqu’à preuve contraire, la ville. Un score saute aux yeux. Celui du 1er arrondissement, en première ligne des pollutions en tout genre, à commencer par celle diffusée sans vergogne par les navires de croisière. Jadot qui tangente les 23% vire en tête et relègue Bellamy à la septième place avec moins de 7%. Seigneur ! a-t-on dû entendre en prenant connaissance du désastre, du côté de l’hôtel de ville. Mais si les voix du seigneur sont réputées impénétrables, celles qu’ont empruntées Jadot et ses militants n’étaient pavées que de bonnes intentions. Qui peut nier, ici-bas, qu’il y a des populations invisibles livrées pieds et poings liés à la spéculation immobilière, exposées aux pires conditions environnementales, privées du fameux ascenseur social, livrées à la désespérance et abandonnées dans la plus grande indifférence. Les clientélistes, qui régnaient sur ces quartiers, n’étant plus au pouvoir et les utopistes des extrêmes, ayant fini par lasser, ces 8000 électeurs se sont tournés vers ceux qui refusent de défaire le monde et assument de vouloir le sauver. Jadot et les siens devront, dans cet espace singulier où la ville est née il y a 2600 ans, assumer une lourde mission : faire que les graines qu’ils ont semées deviennent des arbres. Pas simple mais enthousiasmant.
La Reine d’Aix est-elle morte ?
« Madame se meurt, madame est morte » Ainsi allait, en un éloge funèbre, Bossuet immortalisant, si l’on peut dire, en un majestueux décasyllabe, Henriette-Anne d’Angleterre, duchesse d’Orléans. Mais n’est pas « l’aigle de Meaux » qui veut – ainsi était surnommé l’évêque prédicateur – et puis, à Aix, ce n’est pas une duchesse qui règne mais la Toulonnaise Maryse Joissains, en lieu et place du Roy René (1409-1480) venu d’Anjou pour régner sur la Provence. Il n’y a donc pas de talent aixois à la hauteur de Bossuet, même si des orateurs comme Mirabeau ont fait trembler le cours éponyme, il y a plus de deux siècles. Maryse comme l’appellent les Aixois – adversaires ou non – a été condamnée à un an d’inéligibilité par la cour d’appel de Montpellier. On lui reproche d’avoir promu son chauffeur Omar à un rang (A) que son cursus ne méritait pas et donner un emploi à plein temps à une militante de la cause animale. Omar ne l’a pas pourtant tuée et la maire d’Aix, qui s’est pourvue en cassation, a bien l’intention de prouver que les animaux valent qu’on les défende. Dans son appartement de la rue Mignet a régné longtemps un furet. La bestiole réputée futée se faufilait entre les meubles et venait, de manière insolite, troubler les conversations ou parasiter les interviewes. Quant à l’animal politique, Maryse joissains, elle incarne ce que la vie des forums laisse émerger de temps à autres, et demeure inclassable. Cela promet encore des épisodes pimentés dans la ville du suave calisson. La République en Marche qui a fait exploser les compteurs, à Aix, en flirtant avec les 30% aux Européennes (devant le RN, les Verts et, à 10%, les Républicains) peut saisir l’occasion que lui tend la justice, pour faire entendre sa voix. Il y a moins de vingt ans, on parlait dans la ville de Florence Parly, aujourd’hui ministre des armées d’Emmanuel Macron, pour prendre le relais du socialiste Jean-François Picheral. Il y aurait de la logique dans tout cela. Mais l’avocate Joissains n’a pas encore plaidé sa cause et la justice électorale n’est pas toujours celle des prétoires.
La Mecque des catholiques
En face, il y a l’épais silence du cimetière militaire de Mazargues. Mais « le regard bienveillant de la communauté religieuse et éducative » (Photo) n’est pas tourné vers ces gars venus en 1944 de Georgie, d’Alger ou d’ailleurs. Il veille sur une institution en pleine renaissance et visiblement en bonne santé, la Sainte-Trinité. Naguère ce qui est désormais une école, un collège et un lycée, recevait les filles pauvres de Mazargues. Les temps et les élèves ont changé et l’école catholique a prospéré. L’architecture orientalisée révèle, alors que les travaux s’achèvent, une forme de cube. En arabe le plus célèbre – Kaaba – est à la Mecque, et du monde entier les musulmans se tourne vers lui, pour prier leur Dieu unique et miséricordieux. A Marseille cette miséricorde ne concerne pas l’école publique. Le partenariat privé public, combattu avec force par la gauche, ne promet pas des lendemains qui chantent, pour les 400 établissements du primaire. Ils aimeraient sans doute, comme à la Sainte-Trinité bénéficier d’une autre trilogie : « calme, luxe et volupté ». Mais, visiblement dans la ville de la Bonne Mère, Dieu ne reconnait que les siens. Le grand troupeau est prié d’attendre son berger.