La fin d’une « belle » époque
Dans les yeux de Jean-Claude Gaudin, sur la chaîne France-Info, il y a plus que de la lassitude ce vendredi soir. Le maire de Marseille est désabusé. Il ne reconnait plus « sa » ville, il ne comprend plus « ses » Marseillais. Lorsqu’il parle de « ville » on aurait tort de croire qu’il s’agisse de ces quartiers qui, aujourd’hui, attirent toutes les caméras. Comme lorsqu’il évoque les Marseillais on se tromperait en pensant à cette foule plurielle, polychrome, multi-culturelle qui a marché jusqu’à la mairie, pour crier sa colère et sa révolte et pleurer des larmes de rage, après avoir été abondamment gazée par les lacrymogènes. Non celui qui règne sans partage depuis 25 ans, attendait quelques signes de compassion de ces quartiers qui l’ont si longtemps choyé et qui, à la manière de ses anciens amis les élus de LR, lui ont tourné le dos en retournant parfois leur veste. Pour reprendre une expression macronienne, Gaudin, comme Defferre avant lui, fait partie du vieux monde. A l’orée des années 2000, il pestait d’avoir perdu « son » journal. Ce Méridional qu’il achetait tôt le matin à Mazargues et qui le confortait dans ses certitudes. Il glissait à quelques journalistes qu’il avait pourtant aidé le groupe Hachette (1) « en ayant convaincu en 1987, les petits actionnaires du Méridional, de vendre à Jean-Luc Lagardère ». Depuis 1997, il faisait contre mauvaise fortune bon cœur. Il comptait sur sa garde prétorienne – l’équipe resserrée de son cabinet – pour repousser les vents contraires et bâillonner ou traquer les empêcheurs de gouverner en petit cercle. Ils sont nombreux à Marseille les journalistes qui, avec bonhommie ou plus rudement, ont été sommés de croire à ce qu’on leur disait en haut lieu et non pas ce qu’ils entendaient plus bas. Le maire de Marseille a toujours été convaincu que la politique c’était avant tout des mots. Aujourd’hui ce sont des gros-mots qu’il perçoit sous ses fenêtres. Ils disent des maux, des souffrances, des injustices, des petits arrangements inacceptables. Il n’y a pas que les immeubles qui sont en péril.
1 : Le groupe Hachette dirigé par par Jean-Luc Lagardère était propriétaire de La Provence née de la fusion, en 1997, du Provençal et du Méridional
Station marseillaise pour Mélenchon…
On le savait doué pour se glisser dans les failles de la démocratie et de la république. On le découvre sans égal pour slalomer entre les revendications infinies des gilets jaunes et chercher, comme aurait pu le dire Jean-Pierre Raffarin, la bonne pente pour arriver au sommet. Après avoir consulté son service communication rapproché, il a donc décidé de regagner Marseille pour se joindre à la « colère des gens », plutôt que de fouler les Champs Elysées où il avait promis, dans un premier temps, de se rendre. Il sera intéressant de décrypter ses interventions médiatisées ou non. A l’entendre sur les ondes il affirmait ce samedi après-midi, depuis Marseille, que le gouvernement amplifiait à dessein les heurts qui se déroulaient à Paris. Et de faire encore montre de ses qualités pour contourner l’obstacle, car autour du Vieux-Port on entendait des « Macron démission » mais aussi des « Gaudin démission ». Car à Marseille la revendication ne tient pas d’une utopie, mais d’une réalité brutale. Elle s’exprime parfois avec humour (Photo). Par contre, 1 400 personnes attendent dans l’angoisse de retrouver un semblant de vie normale. Des citoyens ordinaires plongés dans un cauchemar extraordinaire. Ils n’attendent rien de la Ve ou de la VIe République appelée de ses vœux par le leader des insoumis. Ils veulent que les élus de quelque bord qu’ils soient portent deux des valeurs dont ils se gargarisent à longueur de tribune : l’égalité et la fraternité.
Sincère qu’on vous dit
« Les grands fourbes, assurait Edgar Morin, sont ceux qui savent admirablement jouer de leur sincérité ». Le mouvement qui percute aujourd’hui la France et notre région, en produit quotidiennement : les funambules du parler vrai ou en tout cas réputé tel. Ceux qui ont été ralentis ou arrêtés à Fos, au péage de la Barque entre Aubagne et Aix, ou encore sur la place Castellane, savent combien est fragile la sincérité affichée sous forme de gilet jaune. Sommés de dire s’ils approuvent ou non le mouvement, les Marseillais et les Provençaux expriment majoritairement une tolérance solidaire. Elle s’étiole, lorsqu’elle s’accompagne de nuisances comme le fait d’être privé de carburant, de découvrir des rayons vides ou encore d’être mis en difficulté pour un rendez-vous ou un chiffre d’affaires. Et comment ne pas pointer du doigt, dans les animateurs du mouvement, des revenants ou des revanchards de tout poil. Ici, c’est un ancien élu de la République qui vient dire tout haut ce qu’il n’a jamais osé dire même tout bas. Là, c’est un candidat vauclusien à la députation qu’En Marche avait recalé et qui rêve de rejoindre l’Assemblée, qu’il appelle à dissoudre. Là-bas, c’est encore un autre profil, un autre projet, une autre ambition… Et autour de ces leaders auto-proclamés, une foule de vrais gens, avec de vraies questions et de vraies difficultés. On aura remarqué du reste la difficulté que les Gilets Jaunes ont à déléguer leur parole. Il leur faut d’abord écarter ceux qui la brouillent et les embrouillent.
J’irai revoir mon Normandie
Julien Denormandie, ministre du Logement, a imposé sa jeune autorité aux Marseillais – Préfet, élus, associations – chargés de mettre en place ou d’observer les mesures d’urgence qui permettront d’entamer une vraie politique de rénovation de l’habitat. Il est impérieux, rappelle le ministre, d’en finir avec ces quartiers indignes où des propriétaires sans foi ni loi logent, moyennant finances, une population qu’on ne voulait pas voir et surtout pas entendre. M. Denormandie assure qu’outre les 240 millions que va débloquer l’Etat, il veillera avec une « extrême vigilance » à ce que « la mixité sociale des réalisations » à venir, soit « effective sur l’ensemble du territoire marseillais ». Les élus locaux qui assistaient à cette conférence de presse ont vu un ange passer. Mme Martine Vassal, présidente de la Métropole, avait anticipé opportunément ces annonces, en mettant sur la table de ce futur meilleur, 600 millions d’euros. Kevin Vacher, membre du collectif du 5 novembre créé après la catastrophe de la rue d’Aubagne, ne s’emballe pas mais il concède qu’un des points positifs est « le pilotage de la gestion de crise par la préfecture qui associe les habitants pour la remontée hebdomadaire de mesures concrètes ». En d’autres temps on aurait parlé de tutelle. Le maire de Marseille se dit « hanté par la mort de ces Marseillais » qui ont péri dans le quartier de Noailles. La hantise des naufragés urbains, c’est qu’on ne se souvienne pas longtemps de ceux qui ont été enterrés vivants.
De la marge encore
L’actualité n’aidant pas, un certain nombre de sondages et d’études sont passés à la trappe. Certes, on a vu que l’attraction touristique d’Aix-Marseille était à la hausse, même s’il conviendrait d’affiner l’approche pour analyser qualitativement cette activité majeure de la région Paca. Soit-dit en passant, les 100 000 euros d’amende infligés à un navire de croisière pour pollution massive, rappellent que les effets pervers d’une partie de cette fréquentation sont, si ce n’est palpables, respirables. Passons. D’autres classements sont moins réjouissants. Marseille n’apparait pas dans les dix premières villes où il faut bon étudier. La Métropole est, elle, bonne dernière dans le classement des métropoles établi par la plateforme RégionsJob. Les raisons d’espérer sont cependant nombreuses. L’Université Aix-Marseille grapille peu à peu les places, pour s’extraire des profondeurs des classements où des divisions insensées l’ont si longtemps cantonnée. Il y a encore beaucoup à faire notamment à Marseille où les quartiers des étudiants n’existent que dans les discours de quelques prestidigitateurs. Pour la Métropole, le salut viendra de la manière dont elle sera installée démocratiquement. L’addition des communes, les combinaisons politiques, le saupoudrage comme seule méthode de gouvernance, ont montré leurs limites et ralenti l’essor. L’Etat doit imposer une consultation républicaine à la hauteur des enjeux. Sinon on passera de mauvais classements à un déclassement définitif.
L’Islam compliqué
Il y a eu de grands sages dans l’Islam. On pense bien sûr à l’Andalou Averroès, qui irradia de sa sagesse et de ses connaissances la lumineuse Cordoue, où il inspira par ses « commentaires d’Aristote », les recherches théologiques des juifs. Mais cela c’était avant. Comme d’autres religions, l’Islam a traversé des temps telluriques et s’est fragilisé en des schismes mortifères ou des querelles de chapelle ou de mosquée plutôt. A Marseille il occupe sa place dans la cité et il la revendique en ordre dispersé au sein de la République. Mais il doit faire face à un déficit consubstantiel de représentation, car contrairement aux autres religions monothéistes, il n’a pas une seule voix pour s’exprimer mais des voix plus ou moins identifiables. Parmi celles-ci, il y avait Abderrahmane Ghoul très présent sur les ondes mais absent des fichiers administratifs. La Provence nous a révélé cette semaine que le vice-président du conseil régional du culte musulman, était illégalement installé à Marseille et qu’il était porteur de faux papiers. « Gênant » comme on le dit dans les collèges. Plus encore pour les milliers de fidèles qui attendent toujours la grande mosquée, annoncée il y a plus de vingt ans. Il faut donner du temps au temps disent les sages en Afrique du Nord. Oui mais à qui profitent cette longue attente ?