Les organisateurs d’événements surfent depuis janvier sur la vague des courses “fun”, ces événements qui rassemblent plus de 5000 jeunes dans les spots clefs de la ville autour d’une ambiance autant festive que sportive. Jean Viard, sociologue marseillais spécialiste du temps des loisirs, a accepté de commenter pour nous ce nouveau phénomène de société qui donne un sens concret à “la métropole” vécue à travers nos pratiques quotidiennes.
Pour la plupart des citoyens d’Aix-Marseille, le projet politique de métropole est souvent synonyme de nouvelle couche du “mille-feuilles administratif” français. Pour le sociologue et ancien élu marseillais, le succès des courses “fun”, qui s’organisent au cœur de la ville et qui attire un public plus large que le public local marseillais, s’explique par “la mise en désir de la métropole”. En d’autres termes, l’existence de ces nouveaux loisirs permettent aux jeunes de vivre au quotidien le besoin de métropole, le désir de multiplier les échanges entre les différents centres urbains qui s’organisent autour d’Aix-Marseille.
Comment expliquez-vous cet engouement des jeunes aujourd’hui, dans notre région, pour ces nouveaux loisirs?
Jean Viard : Les courses “fun” et les “raves parties” sont différentes bien que la clé de leur succès est sensiblement la même. Chaque évènement qui attire la jeunesse doit être innovant; chaque génération de jeunes doit inventer des concepts festifs en permanence. [C’est donc le caractère éphémère de ces courses, le temps d’une après-midi/soirée, qui les rend uniques et donc “tendance”.] C’est d’autant plus vrai dans les espaces métropolitains.
Justement, au-delà de l’aspect rémunérateur, les organisateurs de ces événements mettent en avant le lieu de ces courses pour attirer leur public: le paysage urbain. Sur le site de l’Electrodash Marseille on nous indique que “le ciel deviendra un show de lumière, la route une piste de danse géante et ta ville le lieu de la fête de l’année”. Dès lors, peut-on dire que les jeunes se sont réappropriés la ville de Marseille avec ces nouveaux loisirs ?
[pullquote] La mise en désir de la métropole, et la mise en désir de Marseille au centre de cette dynamique. [/pullquote] J. V. : Ce qu’on peut dire c’est que les espaces construits dans le cadre de Marseille Provence 2013 ont redynamisé des quartiers et recréé du potentiel pour le développement de nouvelles pratiques culturelles. C’est la jeunesse de la métropole, celle qui n’habite pas dans les quartiers Nord, qui occupe ces nouveaux espaces de la ville [le quartier du Vieux Port, la friche Belle-de-Mai, les Terrasses du Port]. Avec Marseille Capitale Européenne de la Culture, la ville devient le grand leader de la métropole. Il faut savoir que Marseille a un énorme déficit de jeunes: si on regarde les courbes de population dans les métropoles, il manque à peu près 15 % de la population âgée entre 18 et 45 ans à Marseille. Si les diplômés s’en vont il ne reste que ceux qui n’ont pas fait d’études. Parce que cette ville ne retenait pas la jeunesse, et retenait les plus défavorisés, l’attraction de la métropole [grâce à ce type d’événement culturel] est majeure. La mise en désir de la métropole, et la mise en désir de Marseille au centre de cette dynamique, sont des enjeux absolument essentiels en termes de développement économique mais aussi en termes démographique.
De plus en plus de jeunes qui n’habitent pas Marseille, notamment beaucoup d’aixois qui associaient dans le passé “sorties marseillaises” à “insécurité”, s’y rendent aujourd’hui pour participer à ces événements. Est-ce que cela signifie que l’image du centre-ville marseillais à changer ?
J. V. : C’est l’image de la ville de Marseille qui a changé et son statut. Or, en parallèle, la ville d’Aix s’est embourgeoisée et les prix chassent aujourd’hui une certaine partie de la jeunesse qui, je crois, se retrouve largement dans les nouvelles pratiques de la vie nocturne marseillaise [entres autres, les apéros géants sur les terrasses des toits ou les courses “fun”]. C’est une des dimensions de la construction de l’espace métropolitain.
Etes-vous entrain de dire que Marseille Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture, est une réussite car elle a permis à la ville de Marseille d’attirer plus de population ?
J. V. : Il faut avoir une taille d’échelle. Les gens qui venaient à Marseille ce n’est pas nouveau. En réalité, les jeunes des environs connaissaient déjà la ville pour la drogue et le foot [si on caricature]. Vous savez, la majorité des gens qui vont à l’OM ne sont pas marseillais. En ce sens, Marseille était déjà le plus large opérateur métropolitain. Je crois qu’on peut observer aujourd’hui des évolutions de même nature concernant l’art de vivre. Tant que Marseille n’était pas dans la course à l’art de vivre, les gens étaient un peu reculés dans leur territoire; les habitants de Marseille Sud restaient dans leurs quartiers, ceux d’Aix-en-Provence sortaient plutôt dans leur centre-ville.
Ce n’est plus entièrement le cas, donc pourquoi ne pas parler de réussite franche en termes d’art de vivre, Marseille Provence 2013 comme accélérateur de cette métropole ?
J. V. : Il y a d’autres courses qui s’organisent sur le territoire, comme le Marathon de Cassis. Ce qui souligne le problème majeur: la difficulté de se déplacer d’une ville à l’autre dans l’espace métropolitain d’aujourd’hui. Or, la faiblesse de la structure c’est d’abord la machine transport.
Peut-on en dire autant des jeunes marseillais qui descendraient à Aix le temps d’une migration nocturne pour faire la fête? Ces échanges de population la nuit marchent-ils dans les deux sens?
[pullquote]Le marché du théâtre est déjà métropolitain[/pullquote] J. V. : Non, il ne s’agit pas de la même tranche d’âge ni de la même consommation culturelle. Le rayonnement métropolitain d’Aix-en-Provence fonctionne à travers le marché des théâtres (le Grand Théâtre de Provence et le Pavillon Noir brasse régulièrement des Marseillais). Mais il faut souligner un fait: les gens qui vont au théâtre à Aix vont aussi à La Criée à Marseille ou au théâtre des Salins à Martigues. Les échanges sont réciproques. Le marché du théâtre est déjà métropolitain! Parmi les élites cultivées qui consomment de la culture la métropole existe déjà. Un des intérêts de la métropole [en tant que projet politique] serait d’avoir par exemple un pass théâtre unique pour tous les établissements du territoire métropolitain avec une programmation commune; car construire une métropole c’est aussi construire des offres !
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