Les théâtres d’Aix-Marseille (lestheatres.net) sont devenus un lieu incontournable de la culture métropolitaine. Abonné du Grand Théâtre de Provence (GTP) depuis 2007, j’ai été rarement déçu par la programmation, programmation que j’ai vu évoluer au fil des ans. Que ce soit de la musique classique, du jazz, de la musique actuelle, du cirque ou du théâtre, la qualité artistique est toujours au rendez-vous. On aime ou on n’aime pas ce que l’on voit ou ce que l’on entend, mais on ne peut pas nier l’effort qui est fait autour de la programmation avec cette volonté de recherche combinée de l’excellence et de l’originalité alliée parfois à une audace qui mérite d’être saluée. On est loin des programmations parfois « trop classiques » du Festival d’Aix (vous me direz qu’il en faut pour tous les goûts).
Cette semaine du 13 octobre 2014 était riche en programmation éclectique. Une programmation de musique classique et de jazz, des artistes hors du commun, un répertoire à la fois ultra connu pour la partie classique mais exécutée avec brio et pour le jazz plus confidentielle mais tout autant éclatante. A titre d’exemple, et comme je ne pouvais pas être de partout, je voudrais parler ici de deux des spectacles que j’ai vus cette semaine dans le cadre des Théâtres et qui ont retenu tout particulièrement mon attention bien que ceux-ci n’aient pas attiré les foules des grands jours.
Une grande fluidité d’exécution
La musique classique tout d’abord. Un grand pianiste était mardi 14 octobre sur la scène du GTP. Un pianiste qui était devenu confidentiel et qui fait son retour sur les scènes internationales. Ivo Pogorelich, bien connu des spécialistes, renoue avec la scène après une longue période d’absence. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce retour est réussi et le concerto pour piano en la mineur de Schumann exécuté avec grand brio. Toutefois, ce n’est pas ce qui m’a interpellé le plus pendant ce concert. A vrai dire, l’ensemble de très grande qualité, ne m’a pas renversé, mais j’ai été attiré par d’autres détails qui ont rendu cette soirée originale et intéressante. Tout d’abord, Beethoven en introduction, et moi, j’aime la musique symphonique de Beethoven. Alors forcément je ne pouvais qu’être satisfait d’entendre le Brussels Philarmonic sous la baguette de Michel Tabachnik interpréter l’ouverture tourmentée et belle de Léonore. Ce qui m’a chagriné était plutôt une certaine réserve du pianiste face à l’œuvre de Schumann, et cette réserve était sensible depuis la salle. Malgré une grande virtuosité devant une œuvre complexe, l’impression qui dominait était celle d’un manque d’implication de l’artiste, comme si celui ci restait un peu à extérieur de l’exécution du concerto de Schumann.
Dommage, car ce personnage mal connu et un peu hors du commun, est un grand pianiste. Il faut saluer l’attitude de l’orchestre et de son chef Michel Tabachnik. Pour une fois, j’ai vraiment eu l’impression que l’orchestre était au service du soliste et de la partition de Schumann et que le pianiste n’avait pas à lutter en permanence pour se faire entendre face à un orchestre omniprésent (certains pianistes aiment ça, la lutte avec l’orchestre, mais c’est parfois franchement épuisant pour le spectateur). La manière dont l’orchestre mettait en valeur le texte de Schumann était remarquable et c’était qu’il fallait retenir, à mon sens, de cette prestation : une grande fluidité. Chapeau, parce que ce n’est pas si fréquent que cela.
Les acrobates du jazz
J’aime beaucoup le jazz mais ne suis pas un très grand spécialiste. A ma grande honte, j’ai découvert cette semaine le trio ETE (Emler, Tchamitchian, Echampard) au théâtre du jeu de Paume alors qu’il fête déjà ses 10 ans d’existence. Mieux vaut tard que jamais me direz vous, car le moins qu’on puisse dire c’est que je n’ai pas été déçu. Pas de vedette, même si Andy Emler ne manque pas d’humour, mais une parfaite complémentarité et beaucoup de complicité. Certains diront que c’est une musique difficile d’accès (des spectateurs sont partis au bout de 20 minutes), mais si l’on fait l’effort de chercher la ligne mélodique au milieu de ce qui peut paraître à certains comme une oeuvre déstructurée ou imprévue (imprévue est le terme), on est alors récompensé : cette musique est juste … belle ! Le génie virtuose combiné de ces trois artistes fait honneur au jazz et à la musique en général. Ils servent un cocktail à la fois doux et détonnant. Un peu comme si vous étiez en train de savourer une boisson à la fois sucrée et pimentée. On en redemande, car c’est trop court. J’ai été totalement transporté à la fois par les ostinatos des mélodies et la rythmique de la basse de Claude Tchamitchian qui est loin de faire que de l’accompagnement, mais aussi par un batteur hors norme qui travaille littéralement son instrument pour en tirer le meilleur parti, jusqu’aux limites. Les limites, c’est d’ailleurs ce que cherche en permanence ce trio qui livre une musique expérimentale mais dont on sent qu’elle repose sur des bases solides et une recherche évidente de la nouveauté. L’exercice pour le trio consiste à s’éloigner constamment, le plus possible du polygone de sustentation afin de regarder au dessus du précipice et nous délivrer ce qu’il voit. C’est juste… génial.
Une programmation originale et « complète »
Si vous avez raté ces deux concerts, vous avez peut être entendu la grande soliste allemande Julia Fischer au GTP dans un récital de musique de chambre ou les autres concerts de jazz au Jeu de Paume. Mais si vous n’avez rien vu de tout cela, vous pouvez vous rattraper avec le programme à venir de cette première semaine de vacances d’automne. Excusez du peu : Zakir Hussein (si vous n’avez pas vu Shakti l’an dernier au GTP et que vous aimez les percussions précipitez vous), l’Orchestre national de France dans Tchaïkovski, la leçon de Jazz d’Antoine Hervé et surtout (SURTOUT) l’incomparable et géniale Youn Sun Nah.
Oui, les Théâtres sont un des piliers de la culture de la métropole en raison de cet éclectisme. Ils ne sont pas le seul pilier et il en existe d’autres plus alternatifs, certains diront moins mondains, moins chers aussi peut être (bien que les formules d’abonnement restent vraiment très abordables surtout pour les jeunes). Il faut saluer ici une volonté de ne pas avoir une programmation convenue pour servir toujours la même population, mais au contraire essayer d’atteindre le spectre le plus large possible de spectateurs métropolitains.
(Photo d’illustration : archives J-F. E. / spectacle “Abd Al Malik chante Albert Camus” au Grand Théâtre de Provence en mars 2013)