A terme, la métropole départementale
93 % de la population des Bouches-du-Rhône sera dans la nouvelle métropole. La question du maintien du département se pose donc. Depuis le début 2015, le Grand Lyon, transformée en métropole de Lyon, comptant 1 325 000 habitants, réunit, sur son territoire, les champs d’action du département et de l’ancienne communauté urbaine. D’une manière semblable, réunir dans les Bouches-du-Rhône le département et la métropole diminuerait le nombre de strates administratives, et répondrait aux enjeux de solidarité sociale, tout en renforçant la légitimité des élus puisque plus d’un électeur sur deux ne se déplace pas pour voter aux élections départementales.
Le 14 janvier 2014, lors d’une conférence de presse, le président de la République François Hollande lui-même ouvrait la question de la fusion des départements urbains et des métropoles : « Les départements, ceux qui sont situés dans les grandes aires métropolitaines devront redéfinir leur avenir. C’est ce qui s’est fait, notamment dans le Rhône avec Lyon. Je sais que, sur ces questions, les élus mais aussi nos concitoyens sont prêts à ces évolutions. Pour les accompagner, il y aura des incitations puissantes qui seront introduites. Les dotations de l’Etat varieront selon les regroupements qui seront faits. »
Dans la pratique, cela ne pose pas de problème majeur. On l’a bien vu pour le Grand Lyon, dont la fusion avec la partie du département située sur son territoire, est opérationnelle depuis le 1er janvier 2015. Dans les Bouches-du-Rhône, près de la moitié du budget départemental est consacré aux aides sociales. Leur transfert vers le département avait été justifié à l’époque par l’Etat pour une meilleure proximité. On peut s’interroger aujourd’hui sur cette proximité, la plupart des citoyens ne connaissant pas leur conseiller général et ne devant pas se déplacer à l’institution départementale pour en bénéficier. Les dépenses sociales ont explosé, mettant à mal un certain nombre de budgets départementaux, mais la question de la proximité se pose toujours.
[pullquote]Etablir des objectifs, des règles incontestables, et une évaluation réelle de l’aide aux communes sera nécessaire.[/pullquote] A Lyon, le budget d’aide sociale a été transféré à la métropole. Un autre budget départemental pour lequel les communes sont attachées est l’aide aux communes, près de 150 M€. Ce budget est controversé non pas sur son principe, mais sur sa répartition inhomogène sans critères établis en fonction de la richesse communale ou du nombre d’habitants. Le même problème se posera au niveau de la métropole. Etablir des objectifs, des règles incontestables, et une évaluation réelle de l’aide aux communes sera nécessaire, que l’on envisage ou non de transférer cette charge départementale.
Si la région d’Arles ne souhaite pas entrer dans la métropole, ce pourrait être aussi une bonne occasion de remodeler un département qui inclurait l’ensemble du delta du Rhône. Lors de la création des départements, il y plus de deux siècles, les difficultés de l’époque de traverser facilement le fleuve rendaient impossible de rassembler des territoires qui présentent pourtant les mêmes typologies.
Premier scenario : la métropole embourbée
C’est la métropole du statu quo. La métropole de la méfiance des élus et de la défiance des citoyens. Une métropole qui n’avancerait même pas à un pas de sénateur. Comme semble le souhaiter certains, elle se mettrait « progressivement » en marche, embourbée dans des discussions sans fin avec des élus locaux qui joueraient la montre, espérant un changement de majorité qui, en 2017, pourrait remettre les choses sur la table, ou, du moins, en repousser l’application.
[pullquote]Ce serait la métropole du déclin, de l’incapacité à sortir d’un fort chômage endémique, de l’image déplorable, de l’impuissance.[/pullquote] Les blocages seraient permanents, le ScOT ne serait pas lancé, les transferts de compétences ne seraient pas opérationnels, les projets métropolitains suspendus. C’est la métropole du pire, une métropole-croupion, une métropole hybride fille de l’immobilisme gaudiniste et du localisme extérieur à Marseille. Une balle dans le pied de la métropole, puis deux, trois, quatre, … Les citoyens, sans doute en colère, finiraient par se résigner. Les élus locaux garderaient leurs prérogatives dans des « territoires » qui ne seraient que la simple continuation des intercommunalités actuelles. La Metropolis, rejoignant cette fois-ci la ghūl pour de bon, deviendrait vite M la Maudite. La dystopie deviendrait réalité. Ce serait la métropole du déclin, de l’incapacité à sortir d’un fort chômage endémique, de l’image déplorable, de l’impuissance.
Second scénario : la métropole de la relance sociale, économique et… politique
C’est sans doute ce que beaucoup de citoyens attendent dans l’immédiat. C’est une métropole qui, dès le début, enverrait des signaux forts, rompant avec l’immobilisme passé. Les transports en commun seraient rapidement améliorés, le problème social serait pris à bras le corps, les finances et la fiscalité trouveraient rapidement des convergences, un schéma métropolitain de développement économique verrait le jour. Le politique reprendrait ses droits en même temps que sa responsabilité. On considèrerait à l’extérieur que « ça bouge enfin vers Marseille ». [pullquote]Les enjeux du scrutin direct pour 2020 seraient rapidement mis en avant par les groupes politiques[/pullquote] Les enjeux du scrutin direct pour 2020 seraient rapidement mis en avant par les groupes politiques, préparant leurs propositions, leur programme, suscitant l’intérêt des électeurs. Ce serait une métropole dynamique, solidaire, entreprenante, soucieuse de la richesse de ses habitants et de ses territoires, une métropole ouverte, tournée vers le monde, et notamment le monde méditerranéen et africain. Une métropole conjurant l’immobilisme et l’inefficacité. Une métropole qui permettrait à ses habitants et ses différents acteurs de s’épanouir, de créer et de bâtir leur propre avenir. Ce ne serait certainement pas une métropole de la facilité. Il n’y a pas de métropole-miracle. De nombreux problèmes ne seraient pas résolus immédiatement. Mais l’impulsion, le changement d’état d’esprit seraient là.
Ne pas se contenter d’une métropole a minima …
Si la métropole est aujourd’hui sur les rails, son chemin reste difficile. L’omniprésence d’un débat politique local médiocre et théâtral, axé sur la gouvernance institutionnelle et non sur les projets, n’a laissé place ni à une réelle prise en compte des nouveaux besoins des habitants, ni à de nouvelles formes d’expression et d’implication citoyennes. Les modifications législatives successives ont toutes œuvré dans le même sens : brider l’action de la future métropole. La métropole Aix-Marseille-Provence ne dispose même pas de toutes les prérogatives de l’une des 9 métropoles intermédiaires de droit commun. Dotée de “territoires” dont le but avoué est de maintenir, d’une manière détournée, les anciennes intercommunalités, le nombre de compétences qui pourraient leur être subdéléguées n’a cessé de croitre au gré des amendements parlementaires. L’élaboration des plans locaux d’urbanisme (PLU) relevant des “territoires”, la métropole n’aura, contrairement aux autres, même pas la maîtrise directe de son sol. Tout a été fait pour que le moins de choses ne bougent. Par conservatisme et frilosité politique, c’est donc une métropole a minima qui devrait se mettre en place « progressivement » d’ici 2020…
[Pullquote] La métropole devra être capable de faire passer les bisbilles politiques et institutionnelles au second plan pour placer les habitants et le développement au cœur de son projet. [Pullquote] Pourtant, la métropole existera. Elle devra montrer qu’elle apporte une réelle valeur ajoutée à des problèmes dont la solution a été jusque-là insatisfaisante, faute d’une échelle suffisante. Confrontée à des besoins urgents en termes de transports, de cohérence économique, de qualifications, de politique d’aménagement du territoire à l’échelle métropolitaine, la nouvelle structure sera jugée sur son efficacité et sur ses projets. Elle devra être capable de faire passer les bisbilles politiques et institutionnelles au second plan pour placer les habitants et le développement au cœur de son projet. Rien n’est gagné, car ceci implique des changements de comportement des responsables politiques autant que des acteurs métropolitains, une analyse sans complaisance des faiblesses actuelles et une vision créative, ordonnée et partagée des projets.
A terme la législation spécifique à la métropole Aix-Marseille-Provence devra être revue. Garder, sur un même espace, les trois strates que sont le département, la métropole et les “territoires” n’est ni logique, ni efficace. Une évolution « à la lyonnaise » est souhaitable. Il est bien dommage qu’elle n’ait pas été envisagée dès le début.
La métropole peut aussi être l’occasion de revoir profondément la relation entre élus et administrés. La Métropole, c’est aussi l’affaire des citoyens. La société civile doit être plus écoutée, des dispositifs participatifs doivent être inventés et mobilisés à toutes les échelles du territoire. Les citoyens ne sont pas des clients. Les associations ne sont pas des prestataires. Les usagers peuvent aussi être des acteurs. C’est toute une sphère participative qui doit accompagner la métropole.
Le temps ne tourne pas forcément en faveur d’une métropole qui se met en marche à reculons. Tout reste à faire ! Heureusement, chacun le sait…
Jacques Boulesteix
Retrouvez le premier volet de la publication des extraits de l’ouvrage de Jacques Boulesteix.
Les freins à la métropole.
>Rendez-vous : Jacques Boulesteix présentera son ouvrage à Marseille lors d’une conférence-débat avec Jean Viard. Lundi 11 mai à 18h. Librairie les Arcenaulx. 25, cours Estiennes d’Orves – 13001 Marseille. Entrée gratuite mais confirmation : contact@editionsdelaube.com
> Référence : Jacques Boulesteix. Entre peur et raison, la métropole Aix-Marseille-Provence. Avant-propos de Jean Viard. Bibliothèque des Territoires. L’Aube. 221 p. 19,40€.