Les pères de famille remontent rapidement le Chemin du Roucas Blanc, dans ce quartier cossu du 7e arrondissement de Marseille, téléphone portable vissé à l’oreille. Ils ne remarquent ni les adolescentes qui écrasent leur cigarette sur un banc, avant de jeter leur mégot à la poubelle, ni les voitures officielles qui s’engouffrent dans l’école privée maternelle et élémentaire du Sacré Coeur. Les enfants s’assoient en silence. Des conseillers s’affairent. Des vieilles dames du quartier, elles, sont venues pour « soutenir » l’équipe municipale : « On ne dirait pas une école ici, c’est vraiment beau », jugent-elles. C’est la rentrée pour tout le monde.
Les enfants de ce chic établissement privée du 7e arrondissement de Marseille reçoivent la visite du maire de Marseille, qui a également distribué, plus tôt dans la matinée, des dictionnaires aux CM1 du groupe scolaire public Amédée Autran, où il n’a pas été reçu avec la même délicatesse. Un conseiller grince : « Les caméras ne suivent pas cette fois ? C’est trop loin et beaucoup moins amusant, ça ne crie pas… ». Quelques minutes plus tôt, Jean-Claude Gaudin a été chahuté par un parent d’élève qui l’accusait de vouloir vider les « écoles nationales » au profit du « privé ». « C’est un vrai scandale, la moitié de nos salaires va partir pour faire garder nos enfants », a-t-il ajouté.
Regardez la vidéo de la Provence dans laquelle Jean-Claude Gaudin est pris à partie :
L’incident est vite oublié. Jean-Claude Gaudin, l’ancien professeur d’histoire-géographie du lycée privé Saint-Joseph-les-Maristes, goûte avec une gourmandise certaine la visite, plus calme, de cette école maternelle sous contrat d’association avec l’État. « Vous savez qui je suis, moi ? Je suis le shérif ! », plaisante le maire, au milieu des enfants. Avant de se lancer dans un plaidoyer pour les nageurs marseillais qui ont empoché, ces derniers jours, de nombreuses médailles aux Championnats d’Europe. L’occasion de raconter la genèse de notre hymne national : « Ils sont partis 517 soldats, à pied, car à l’époque il n’y avait pas de voiture ou de train. Ils ont mis un mois pour rejoindre Paris. Et ont chanté ce qu’on a appelé ensuite la Marseillaise… », explique Jean-Claude Gaudin, ravi.
« C’est une rentrée difficile ! »
L’accueil chaleureux du directeur et les sourires des élèves donnent, à coup sur, du baume au cœur au maire de Marseille. Qui admet, en aparté, que « c’est une rentrée difficile ». En effet, la Ville ne sera pas en mesure, dès maintenant, de proposer l’accueil périscolaire du vendredi après-midi aux quelques 74 000 écoliers scolarisés dans les 445 écoles maternelles et primaires que compte la ville.
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Pourtant, le maire en a vu d’autres. Ce n’est pas la première rentrée pour Jean-Claude Gaudin, élu depuis 1995. « C’est une tradition républicaine : chaque année, nous allons visiter une école communale, et ensuite une école privée », argumente l’édile à la tribune, après sa revue des troupes au milieu des allées des salles de classe. Aux côtés de Dominique Tian et Sandrine Bernasconi, élus du quartier, il se lance dans une profession de foi : « Nous sommes attachés à la liberté de l’enseignement. Nous pensons que les parents doivent avoir le choix ». Le directeur de l’établissement enchaîne : « Notre école dépend de la congrégation du Sacré Coeur. Notre objectif, c’est d’éduquer les enfants à l’autonomie, de développer un climat harmonieux mais aussi de favoriser un éveil à la foi, tout en étant ouvert à toutes les religions ». À côté, Jean-Claude Gaudin acquiesce, souriant. [pullquote]
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Catholique et croyant, le maire de Marseille est parfois accusé de cultiver ses réseaux dans une communauté qui l’apprécie. Il raconte volontiers aux journalistes sa visite au pape avec Jacques Chirac, où il assista, à Rome, à une « messe privée pour 17 personnes ». Et ses visites régulières au Vatican. Il se targue aussi d’avoir doublé le forfait dédié aux écoles privées, depuis son arrivée à l’Hôtel de Ville, en 1995. On lui prêta même, il a quinze ans, une fausse appartenance à l’Opus Dei, la milice religieuse extrémiste, dont il n’est pas membre. En 2008, il s’était rendu à l’école publique Camoins dans le 11e arrondissement, puis à celle, privée, du Cours Bastide, dans le 6e. À l’époque, tout était tranquille. Certes, les inscriptions se stabilisaient, après une période de hausse dans le privé. Mais c’était aussi le signe que cet enseignement attirait des élèves qui désertaient l’enseignement public.
Après cette parenthèse aux côtés des petits marseillais, Jean-Claude Gaudin a rapidement été rattrapé par la réalité. Des parents en colère ont en effet déposé, en ce jour de rentrée, un recours en justice contre le maire de Marseille, pour contraindre la mairie à prendre en charge les élèves le vendredi après-midi. « On demande au juge d’ordonner au maire une garderie pour que les enfants ne soient pas lâchés dans la nature », explique l’avocat des familles, qui représente 23 requérants ainsi que l’Association de défense des écoles marseillaises (ADEM), à l’AFP. Affaire à suivre, donc.