Sa venue serait presque passée inaperçue. Pourtant, Christiane Taubira était bien à Marseille, vendredi 3 octobre 2014, pour le dixième anniversaire des Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). De Manuel Valls à Bernard Cazeneuve en passant par Jean-Marc Ayrault, Claude Guéant ou François Fillon, la ville séduit les ministres attirés par ses lumières. Au lendemain d’un règlement de compte, Jean-Marc Ayrault était ainsi venu au chevet de Marseille, comme on visite un grand malade. Comme pour prendre son pouls, comprendre le mal dont elle était atteinte, la scruter au microscope. Et surtout essayer de trouver un remède. C’était en août 2013 et depuis, que s’est-il passé ? Des renforts de police. Une métropole en construction. Et beaucoup de discours, qui se suivent et parfois se ressemblent au gré des visites successives des ministres de la République.
La posture de l’ancien premier ministre était simple : montrer que personne n’abandonnait Marseille, et surtout pas le gouvernement. Accompagné de cinq ministres, il déclarait à l’époque : « J’ai décidé d’affecter à Marseille 24 policiers supplémentaires à la police judiciaire pour faire de l’enquête, de l’investigation, trouver les coupables et les remettre à la justice (…) Le gouvernement est engagé avec détermination pour faire reculer la violence ». Quelques semaines plus tard il revenait et, au milieu des candidats à la primaire socialiste, Samia Ghali et Patrick Mennuci, promettait des milliards pour redresser la ville…
Regardez. Jean-Marc Ayrault annonce l’arrivée de renforts policiers à Marseille :
Déjà, Manuel Valls était dans ses bagages, comme ministre de l’Intérieur. Lui aussi multiplie les visites, absorbé par son désir de construire une image sécuritaire, grave, républicaine, au moins dans les mots. Dès la rentrée de 2012, quelques mois après la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle, il avait choisi Marseille pour son premier déplacement en province, accompagné de la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Il précisait alors la feuille de mission du préfet de police, Jean-Paul Bonnetain, dont le poste fut créé dans le cadre du plan gouvernemental destiné à enrayer la violence à Marseille.
Des ministres et beaucoup d’annonces
À chaque fois, ou presque, la visite d’un ministre est l’occasion de nouvelles annonces. En septembre 2012, Jean-Marc Ayrault annonce le renfort de 205 policiers et gendarmes, la création de deux zones de sécurité prioritaire (ZSP). À chaque fois, les renforts doivent arriver dans les prochaines semaines. Souvent, c’est pour l’associer à l’insécurité que les ministres descendent à Marseille. Le ministre de l’Intérieur rend visite aux effectifs de police, particulièrement exposés. Bernard Cazeneuve a effectué, par exemple, une visite éclair de deux heures pour prendre des nouvelles du policier blessé en août 2014, après une course poursuite qui s’est terminée dans le sang à l’Estaque.
La sécurité est omniprésente, sauf lorsque l’inauguration d’un musée national fait descendre le gouvernement entier et le président de la République. C’est rare, puisqu’il n’y a qu’un seul Mucem. Ou bien alors quand la mort de Gaston Defferre, elle, réunit le banc et l’arrière banc de la politique française et internationale pour un dernier hommage au maire de la ville…
Marseille, un condensé de la France
Comme Paris, Marseille est un symbole français. Elle concentre des problèmes, elle est un visage, un condensé de la France. Mais elle est également éloignée de la capitale dans les têtes. Le dialogue avec l’État est compliqué. Et alimente les malentendus, les jeux d’épaule, les rapports de force. Un ministre qui veut imprimer sa politique l’habille de symboles : c’est alors que Marseille entre en scène.
Mais n’allons pas croire qu’il n’y a que la gauche qui joue à ce jeu. La droite aussi en a profité, en quelque sorte. De François Fillon à Claude Guéant, la ville est un passage obligé. Une sorte de rite. Et c’est toujours le même qui joue le maître d’hôte : Jean-Claude Gaudin, sourire aux lèvres, heureux de faire découvrir la réalité d’une ville caricaturée à son goût. Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, vantait en 2012, quelques semaines avant l’élection présidentielle, la « sécurité retrouvée » dans la ville. En n’oubliant pas de mettre en avant l’action du gouvernement… Marseille est un tremplin.
Si bien qu’on ne peut que saluer la dernière visite de Christiane Taubira, qui semble relever du débat de fond plus que du spectacle médiatique, un numéro trop connu des marseillais.
(Crédit photo : Flickr/CC/marcovdz)