Le théâtre politique est ainsi fait, parcouru de compromis qui font avancer les choses et les causes. Depuis fin 2012, date à laquelle il a commencé, le bras de fer qui oppose les élus hostiles au projet de métropole sur le territoire d’Aix-Marseille-Provence et le gouvernement socialiste qui le porte, a suscité de nombreux remous. Dernier évènement en date, les concessions faites par la ministre de la Décentralisation et de la Réforme de l’État, Marylise Lebranchu, qui a donné aux maires la possibilité de proposer des « amendements » à la loi.
Ce compromis ouvre une nouvelle « séquence » politique. Le gouvernement qui, depuis le départ, a fait le pari d’un projet loi ambitieux et porté depuis la capitale, va devoir coopérer avec des élus obligés de constater que le « fait métropolitain » existe. Pour tout ce petit monde, l’heure du dialogue a véritablement commencé.
« Nous sommes pour la métropole, mais pas pour celle qui est proposée par l’Etat actuellement. On veut une métropole du développement économique et des transports, pas une métropole à tout faire ! », menace Georges Cristiani, à la tête de la fronde anti-métropole comme président de l’Union des maires des Bouches-du-Rhône, et lui même maire sans étiquette de Mimet, interrogé par GoMet’. Son ambition n’est plus de combattre l’existence de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, mais bien de réussir à modifier la « loi d’exception » qui lui donnera naissance, en particulier ses articles 42 et 43, qui portent sur ses compétences. « J’espère que dans un mois, nous aurons des textes sur lesquels on sera d’accord », veut croire Georges Cristiani, qui se dit optimiste. « Sinon, la ministre appliquera cette réforme sans les maires », tranche-t-il, preuve que les conditions du dialogue sont encore fragiles…
> À lire : le rapport de l’OCDE sur la métropole d’Aix-Marseille-Provence
C’était il y a quelques mois. Le 21 décembre 2012, l’avenir de la métropole semblait bien compromis lorsque, devant le Parc Chanot à Marseille, plus d’une centaine de maires des Bouches-du-Rhône manifestait contre le projet Aix-Marseille-Provence. La future métropole, résultat d’une fusion de six intercommunalités et quatre-vingt-treize communes, regroupant presque deux millions d’habitants, suscitait de nombreuses craintes, mais également quelques fantasmes.
Regardez : en décembre 2012, les maires des Bouches-du-Rhône manifestaient contre la métropole
Au même moment, à l’intérieur du Parc Chanot, Marylise Lebranchu réunissait pour la première fois la conférence métropolitaine, censée mettre en lien tous les acteurs du projet… qui décidèrent de boycotter cette concertation. Huit intercommunalités sur les neuf qui composent les Bouches-du-Rhône brillèrent par leur absence. Seule Marseille, favorable au projet depuis le départ, honora la ministre de sa présence. Un sacré camouflet et le début d’une grogne des élus locaux, inquiets pour leurs prérogatives face au visage que prenait alors la métropole.
Le travail qui reste à faire est « colossal »
Six mois plus tard, en juillet 2013, le préfet Laurent Théry, délégué au projet métropolitain, est lui aussi bien seul lors du premier « conseil des élus », première réunion officielle pour fixer les priorités, la ligne d’action et la méthodologie du projet. Boycott des maires encore une fois, qui déclinent de nouveau l’invitation. Quelques jours avant la discussion et le vote du texte à l’Assemblée, le 10 juillet 2013, ils manifestent à Marseille. Si le préfet fait bonne figure, il ne cache pas que le travail qui reste à faire est « colossal » et qu’il faut bien avancer, malgré les réticences et les intérêts particuliers des uns et des autres. Mais derrière les tensions politiques et les postures de façade, un véritable rapport de forces s’est établi entre l’État et les collectivités concernées.
C’est alors que la mission interministérielle démarre ses « chantiers thématiques ». Résultat : des documents préparatoires sur de nombreux sujets comme l’innovation, la mobilité, la cohésion sociale, la transition énergétique… Un travail de fond indispensable pour continuer. Pendant ce temps, le dialogue est au point mort entre les élus du territoire et l’État. Une condition est posée par les premiers pour entamer un nouveau cycle : la création d’un conseil paritaire qui puisse donner la parole aux élus, les mettre au cœur du dispositif, au même niveau que les fonctionnaires en charge du projet. Chose faite par décret le 18 décembre 2013.
[pullquote]Un Conseil paritaire des élus a été créé pour calmer la gronde des maires : ils peuvent désormais “proposer” des amendements pour modifier la métropole.[/pullquote]Aujourd’hui, le dialogue est bel et bien renoué entre les élus locaux et le gouvernement, chacun acceptant de modifier ses positions. Lundi 16 juin 2014, la ministre est en visite dans la région pour y installer ce fameux « conseil paritaire territorial de projet », sorte de plateforme où siègent, justement, l’État et les élus. Cette fois, plus d’une centaine de maires, d’élus municipaux et communautaires sont présents. Sauf… Jean-Claude Gaudin, pourtant favorable au projet métropolitain, qui entend alors manifester son mécontentement face à la réforme des rythmes scolaires. C’est presque anecdotique tant c’est « une réussite », se réjouit la ministre, qui se félicite d’avoir mieux coordonné le projet avec les élus. En quelques mois, les citoyens ont en effet assisté à un véritable retournement de situation : du boycott à la participation, du dialogue de sourds au dialogue tout court.
Regardez : Marylise Lebranchu s’adresse à la société civile après l’installation du « conseil paritaire territorial de projet », lundi 16 juin 2014 :
Quand les maires se transforment en parlementaires
En réalité, la ministre a cédé car elle ne veut plus lutter contre une fronde qui s’éternise. Ce conseil doit donc permettre aux élus de proposer des amendements modifiant le fonctionnement de la métropole. Ou quand des maires et présidents d’intercommunalités se transforment… en parlementaires ! Puisque le pouvoir d’amender la loi est une compétence de la représentation nationale, non des municipalités. Dans les faits, le conseil paritaire sera un lieu de débat, mais rien ne dit qu’il en ressortira quelque chose de véritablement constructif :
« Si un amendement par exemple était porté par l’ensemble des maires et convenait aussi au gouvernement dans cette volonté d’ouverture (…), on pourrait symboliquement en faire un amendement porté par le gouvernement », a explicité la ministre Marylise Lebranchu.
Mais attention, tout n’est pas possible. « Le gouvernement est prêt à ce que des amendements soient présentés sur le fonctionnement de la métropole, avec bien sûr des barrières, des lignes rouges », a-t-elle prévenu. Un moyen de garder le contrôle pour le gouvernement…
De son côté, Georges Cristiani, toujours en première ligne sur le débat métropolitain, loue des « avancées », tout en affirmant que « la métropole ne règlera pas les problèmes de chômage et ne réduira pas les déficits ». Dans les deux camps, on s’observe, on se jauge, on se méfie. Et si le conflit n’est plus ouvert, il reste bien réel. En octobre, la loi de réforme territoriale sera discutée au Sénat, puis à l’Assemblée nationale. Et c’est bien dans ce premier hémicycle qui, historiquement, est le représentant des collectivités territoriales selon l’article 24 de la Constitution de la Ve République, que les 111 maires opposés au projet comptent faire entendre leur voix.