Lorsqu’il en avait fait la promotion Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, songeait que cette nouvelle loi, appelée PLM car elle ne concernait de fait que Paris Lyon et Marseille, serait la clé du vote à venir aux municipales de 1983. C’était d’abord de sa réélection à la mairie de Marseille qu’il était question, même s’il fallait aussi faire barrage à Jacques Chirac à Paris, puisqu’il était le leader de l’opposition à Mitterrand. Defferre doutait de sa réélection d’autant qu’après la divine surprise de 1981 l’union de la gauche battait de l’aile. Le gouvernement venait d’opérer un brutal virage socio-économique avec le fameux « tournant de la rigueur », le débonnaire Pierre Mauroy subissant la pression de l’ambitieux Laurent Fabius qui prendrait sa place en 1984.
Marseille divisée en six secteurs
Defferre savait donc que le risque était fort de voir les cartes rebattues au plan local, ses alliés communistes condamnant sans nuance la politique que défendait désormais Fabius. De plus le maire sortant de Marseille n’ignorait pas, sondages à l’appui, que la droite phocéenne était en mesure de le faire chuter. C’est donc ciseaux dans une main et calculette dans l’autre qu’il taillait place Beauvau, un nouvel habit démocratique pour les trois plus grandes villes françaises, avec une attention toute particulière pour Marseille. Cette dernière fut, de fait, divisée en six secteurs en tenant bien soin, au regard des précédents scrutins, d’associer habilement les arrondissements susceptibles de renforcer la gauche et de contenir la droite. Quitte à abandonner quelques périmètres à l’ennemi intime de Defferre, le parti communiste alors dirigé avec fermeté par Guy Hermier.
Un « charcutage » selon la droite (UDF-RPR) qui s’époumona à le dénoncer en vain dans les médias qui voulaient bien lui tendre un micro, l’omnipotent Provençal relayant alors sans sourciller la voix de son maître, Defferre. Cette réforme adoptée à la vitesse d’une blitzkrieg, donna au final un sixième mandat au ministre-maire. Comme c’était prévisible et sans doute prévu par les experts du ministère de l’intérieur chargés de cet épineux dossier, le maire sortant ne fut pas prophète en son pays. Plus de 10 000 voix le séparaient sur l’ensemble de la ville de Jean-Claude Gaudin et ses alliés. Qu’importe par un tour de passe-passe inédit, le protestant Defferre, grâce à sa loi PLM fut élu avec des manipulations pas très catholiques. Dans une sorte de second tour, il l’emportait avec les élus obtenus dans les secteurs qui lui étaient outrageusement favorables. Les cris d’orfraie de Gaudin et sa compagnie furent inaudibles d’autant que Jacques Chirac et Francis Collomb, l’emportaient à Paris et Lyon. Mieux encore, la réélection de Defferre masquait la déroute nationale du PS qui avait pourtant triomphé en 1977 aux municipales. La loi PLM avait donc pris du galon, malgré les voies tortueuses que la gauche avait empruntées pour la faire adopter. La droite marseillaise devrait attendre des jours meilleurs et patienter jusqu’en 1995 pour que Jean-Claude Gaudin puisse enfin remercier cette Bonne Mère qu’il chérissait tant.
Le grand chelem de Vigouroux en 1989
Après la mort prématurée de Defferre en 1986, le professeur Robert P. Vigouroux s’imposait en 1989. Il redonnait ainsi avec un grand chelem (tous les secteurs gagnés) des lettres de noblesse à la loi PLM, puisqu’il était sans conteste majoritaire sur tout le périmètre phocéen. Gaudin enfin élu – la gauche cantonnée à quelques secteurs historiquement les siens – règnera sans partage quatre mandats d’affilés. Et sans jamais remettre en cause cette satanée Loi PLM qui l’avait contraint à ronger son frein pendant de si longues années.
Aujourd’hui c’est un fidèle d’Emmanuel Macron, Sylvain Maillard qui porte la plume législative dans la plaie, avec la bénédiction du Premier ministre, François Bayrou. Elle vise à mettre fin à la loi PLM et « à ramener, selon le député Renaissance, les trois villes dans le droit commun ». La porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, enfonce le clou en affirmant qu’il s’agit là d’une question de « justice démocratique ». Traduire, après 40 ans donc de déni républicain.
De quoi s’étrangler pour le président de la région Sud, Renaud Muselier, qui dénonce un « tripatouillage ». Et de défendre la loi PLM, lui dont les aînés furent pourtant vent debout, en 1983, lorsque Defferre l’emporta malgré tous les pronostics défavorables. Un brin taquin Maillard qui porte la réforme affirme ne pas comprendre les arguments de Muselier qui défend aujourd’hui mordicus un système que Defferre avait mis en place avec dit-il « des intentions peu louables ». Une partie des anciens amis du président régional ne comprennent pas non plus son plaidoyer. Laure-Agnès Caradec, qui préside dans les Bouches-du-Rhône ce qui reste de LR, se dit favorable à la révision de la loi PLM. Elle craint notamment la confirmation d’une fragmentation de l’électorat marseillais qui donnerait à la gouvernance de la ville une majorité relative et donc fragile. Et d’imaginer le pire, LFI ou le RN aux manettes de Marseille.
On imagine aisément que La France Insoumise se réjouit de cet imbroglio annoncé, elle qui traverse un moment compliqué et aspire à un avenir municipal malgré le récent cinglant échec d’une de ses vedettes médiatiques, Louis Boyard, à Villeneuve-Saint-Georges. Les Insoumis comme le craint la droite qui les a laissé faire, ont labouré les secteurs où le chômage, l’immigration, les narcotrafics métastasent grande partie des populations. Le Rassemblement National n’est pas en reste dans ces mêmes quartiers et il se réjouit aussi de la confrontation en cours. Tenu fermement en laisse par Marine Le Pen, il est cependant à la manœuvre pour nouer des alliances à Marseille avec ceux qui, à droite, partagent nombre de ses idées.
Un scrutin à deux urnes qui plait à Payan
Benoit Payan, fidèle à ses habitudes, évite de s’exposer inutilement tout en suivant le dossier de très près. Il se sait en bonne posture dans les sondages et évite de répondre trop violemment aux snipers que Muselier a lâchés pour l’accuser « d’immobilisme », « d’incompétence » « d’imposture ». Un scrutin rénové qui amènerait les Marseillais à se prononcer pour désigner directement le maire ne l’effarouche pas. Il devra convaincre cependant ceux qui à gauche gouvernent aujourd’hui avec lui, d’abandonner l’extrême-gauche à ses fantasmes et ses oukases. Jean-Luc Mélenchon s’il retrouve le chemin qui le conduisait, député, à son « quatre étoiles » sur le Vieux-Port, pourrait être de ce point de vue-là un allié objectif. Payan répète à qui veut l’entendre qu’il veut gérer Marseille, pas le reste du monde. Et un scrutin à deux urnes (une pour choisir la gouvernance centrale, l’autre pour celle des secteurs) lui convient parfaitement. Car comme lui a peut-être dit sa grand-mère qu’il cite souvent : « entre deux maux il faut choisir le moins pire ! »
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