L’article d’InternetActu.net consacré au dernier livre de Nicolas Nova et qui s’appelle « Futurs, panne sèche…ou abondance ? » évoque le fait – je simplifie ici le propos – que le futur est déjà présent parmi nous au travers d’expériences et d’objets qualifiés d’improbables il y a seulement 20 ans. Ces même improbables sont devenus normalité, tarissant ainsi le flux d’imaginaire qui traversait nos sociétés. Le domaine de la science-fiction qui est en panne depuis plusieurs décennies n’échappe pas à ce constat.
Les exemples cités par Nicolas Nova, et repris par l’article d’Hubert Guillaud, exemples que l’on aurait qualifiés d’innovation (ou de révolution) il y a seulement 10 ou 20 ans, sont maintenant devenus communs de par – entre autres – la familiarité induite par Internet, qui nous confronte chaque jour à l’improbable et au futur qui s’incarne dans le présent (lire l’article d’InternetActu.net et le livre de Nicolas Nova pour avoir une vision plus complète). Nicolas Nova s’intéresse également de très près au travail des créatifs et des designers, qui au côté des ethnologues, peuvent d’après lui renouveler l’imaginaire technologique.
Le Conseil Régional avec l’Agence Régionale de l’innovation et ses partenaires régionaux de l’animation des écosystèmes d’entreprises innovantes (comme Marseille Innovation et le CEEI Provence*), se sont intéressés depuis 2010 à l’apport du design et des designers dans l’entreprise innovante et ont organisé en 2011 une opération qui est devenue une bonne pratique et qui s’appelait « Designers en Résidence* ». Cette opération qui s’étalait sur plusieurs mois et qui avait pour objet de montrer qu’un designer pouvait littéralement transformer l’entreprise en la questionnant sur les aspects de son organisation, de sa stratégie, de son produit ou service et de sa proposition de valeur, a permis de sensibiliser à la fois PME innovantes et écosystème régional de l’innovation à l’intérêt et à l’apport du design dans l’entreprise. On remarquera que l’apport du design ne se limite pas aux arts déco ou au slogan : « Quand c’est beau ça marche » comme le décrit l’article « Peindre la porte de l’écurie en violet », mais à un design industriel de produits ou services, centré usagers, comme méthode de transformation de l’entreprise.
Pour survivre l’entreprise doit se transformer
En effet, comme nous l’avions décrit dans un autre article, une startup est en équilibre fragile et son business model ne résiste parfois pas au premier coup de feu du marché. Il devient nécessaire pour elle, selon l’expression en vigueur, de « pivoter » sur son business model, c’est à dire de comprendre comment elle peut utiliser ses ressources d’une autre manière. C’est ainsi toute la stratégie de l’entreprise qui peut changer, mais aussi sa cible, la définition de sa valeur ajoutée, ses canaux de distribution, etc.
Tout cela à partir d’un exercice imposé qui est le changement radical du business model. Exercice de changement imposé ? Bien sûr ! Que faire lorsque l’alternative se résume à : « le changement ou la mort ! ». Il faut donc changer. Mais pour quoi ? Pour aller où ? Comme nous l’avons noté ci dessus le flux d’imaginaire s’est sensiblement tari ces dernières décennies et un imaginaire technologique ne se réinvente pas sur commande. De plus les usages ne sont pas toujours intégrés correctement par les chefs d’entreprises et c’est à ce stade que le designer peut devenir un élément clé de la réussite en prenant en compte l’utilisateur et en y ajoutant son apport créatif. On remarquera que les startups ne sont pas les seules concernées par le fameux « pivot ». Des entreprises matures qui sont sur le déclin parce qu’elles n’ont pas su se réinventer lors de la décroissance naturelle ou accidentelle de leurs marchés peuvent largement bénéficier de l’apport d’un designer à la condition que le chef d’entreprise lui fasse confiance et lui donne « les clés du camion », au moins pour une période donnée.
La force d’un studio de design industriel est de pouvoir simultanément fournir cette capacité à réinventer la technologie tout en appréhendant les ressources disponibles, le savoir faire existant, et avoir la capacité avec tous ces ingrédients en main de construire le futur possible. Pour n’avoir pas su construire leur futur avec leurs ressources certains, et pas les plus petits, sont aujourd’hui disparus. On trouvera des exemples de changement apporté par le design dans des entreprises moribondes qui se sont redressées grâce à l’intervention d’un studio* en suivant le lien : http://www.dicidesign.com/cas-clients.php. DICI Design est un bel exemple de studio de design industriel qui apporte un vrai changement au cœur de l’entreprise. Il en existe d’autres en France
Le designer est la cheville ouvrière de la transformation de l’entreprise
Le changement radical induit par le « pivot », dans une petite ou grande entreprise, dans une startup ou une entreprise établie, est un passage obligé pour celui ou celle qui veut rester dans la course. Le contributeur principal du changement qui va renouveler l’imaginaire technologique est le designer. Il ne sera peut être pas le seul contributeur, mais il est la cheville ouvrière du changement. Allons plus loin : Il ne peut pas être seul car ce qui fait sa force –sa capacité à se projeter dans le futur- est aussi sa faiblesse. En effet, il doit se confronter à un moment donné à la réalité du terrain et il a besoin d’un miroir. Ce miroir, ce peut être le chef d’entreprise ou le responsable de la R&D ; ou encore le responsable commercial qui lui donnera une vision du marché qu’il devra impérativement confronter à sa propre vision des usages potentiels. De même le responsable R&D lui donnera une vision de la faisabilité technologique du futur envisagé en mettant en avant l’état de l’art. C’est pourquoi la multidisciplinarité est plus que jamais de mise dans le processus de changement radical d’une entreprise. Mais l’écoute attentive du designer industriel, sa créativité ainsi que sa capacité à faire une synthèse entre les produits et les usages des produits, en sont la clé.
Le designer est-il le chaînon manquant de l’innovation dans nos entreprises ? Dans l’état actuel des choses, certainement. Toutefois en matière de développement de l’entreprise il n’y a pas de super héros ni de sauveur providentiel. Beaucoup de choses reposent sur le chef d’entreprise : Il y a sa volonté de changer, la conviction qu’il faut plus de créativité dans les processus et la confiance en un intervenant, le designer, qui va le bousculer et peut être « retourner » tout ou une partie de ce qui a fait son outil de travail. Plutôt que d’être Le Chaînon, le designer serait à la fois le maillon manquant d’une nouvelle chaine de l’innovation et l’architecte de cette même chaîne qu’il construit à partir de la précédente, celle qui vient de se briser et dont il ramasse les morceaux. Une chose est sûre la capacité à innover d’une entreprise sera indiscutablement renforcée par l’intégration, temporaire ou permanente, d’une fonction design, laquelle deviendra un élément incontournable du succès de l’entreprise.
C’est pourquoi, il nous semble important que les pouvoirs publics, en collaboration avec les systèmes d’accompagnement régionaux, se penchent (à nouveau) sur les entreprises qui, malgré leur potentiel, ont du mal à décoller afin de diagnostiquer l’intérêt de l’apport d’un designer et en vue de les doter d’un dispositif d’accompagnement incitatif. Tout le monde y gagnera : l’entreprise d’abord, l’écosystème d’accompagnement et enfin les designers, dont le travail en France, est encore mal reconnu. Ce sont pourtant eux qui sont aujourd’hui les mieux placés pour pallier à la carence de l’imaginaire technologique.
* Pépinières d’entreprises localisées à la Belle de Mai et à la Technopole de l’Arbois
* Livret de l’opération en PDF disponible sur demande à l’ARII Paca
* Bel exemple de la société Uniflockage, basée à Berck, qui produit maintenant des revêtements pour voitures automobiles : http://www.velvet-cars.com/fr/ (accompagnée par DICI Design)