Palmyre est menacée de destruction par les guerriers de l’Etat islamique. Les « barbares » veulent détruire ce qui n’est pas dans leurs conceptions religieuses. Ils veulent détruire au nom des forces du Mal qu’ils vénèreraient ou plutôt celles du Néant, car leur but n’est pas de bâtir mais d’éradiquer tout ce qui fait sens et élève l’Homme.
Il y a donc de fortes raisons de craindre, avec les archéologues du monde entier que Palmyre soit détruite. Car Palmyre est plus qu’une oasis où resteraient des ruines magnifiques, d’un royaume allié longtemps de Rome et qui avait épousé jusqu’à ses lois et la construction de ses Palais. Palmyre est un symbole nodal entre occident et orient. Un monde frontière et un monde passage dans le même lieu. C’est pourquoi Palmyre fut si souvent envahie et détruite.
Détruire Palmyre c’est aujourd’hui plus qu’abimer un patrimoine archéologique mondial. C’est aussi s’attaquer au cœur d’un des piliers de l’imaginaire euro-méditerranéen.
Ce que représente Palmyre
« La Cité des palmiers », jadis nommée Tadmor, a des origines qui remontent dès la fin du IIIe millénaire avant J.-C. Oasis du désert de Syrie, elle a constitué tout au long de l’Antiquité une étape du commerce entre la Mésopotamie et la côte méditerranéenne. Cité pont entre la Méditerranée et l’Eurasie elle connut sur plusieurs siècles plusieurs dominations ou influences politiques telles que celles des Amorrites, des Araméens, des Syriens hellénisés, qui la nomment Palmyre (grec Palmura), et des Arabes. L’État palmyrénien fut allié de Rome dès le début de l’Empire, a adopta ses institutions et le droit latin. L’Etat de Palmyre resta fidèle aux Empereurs romains contre leurs ennemis durant des siècles.
Palmyre est donc bien un symbole pluriel qui, de la route de la soie aux passages des civilisations, de sa prise par Alexandre le Grand à l’alliance avec Rome, de l’occupation des Perses à celle des Arabes, en fait une fabrique des imaginaires avec une kyrielle de Dieux, de croyances et de mélanges politiques. Les grands monuments encore debout aujourd’hui représentent le syncrétisme religieux et politique dès le IIe s. romain. Détruite par les Arabes en 634 , Palmyre devint musulmane mais ne perdit rien de sa splendeur passée entretenue et intégrée à la geste du Prophète.
Mais Palmyre dénota aussi pour son rapport à la spiritualité. Cette cité célèbre aussi pour ses chambres funéraires et son art palmyrien de la sculpture exprimait de manière originale le rapport à la spiritualité : par le « regard ». Ce maître mot qui vient du grec « theoria »… Ce que l’esprit grec et romain y sanctuarisèrent, c’est d’abord un hymne à la vie, à ce qui élève la vie humaine. Chaque colonne dressée vers le ciel est à considérer comme une joie et une fierté d’être civilisé. D’être bâtisseur dans un monde si rude qui n’a peut-être pas de sens en tant que tel mais dans lequel il est possible de donner du sens.
[pullquote]Un hymne à la liberté de se représenter et de représenter le monde. [/pullquote] C’est donc aussi à un hymne à la liberté de se représenter et de représenter le monde que les Islamistes de Daesh veulent s’attaquer avec rage. Car cette liberté est celle qui les met le plus en danger. Or, au bord de la Méditerranée, berceau de tant de civilisations et de « regards – théories » sur le monde, les guerriers de la haine savent la force des imaginaires dans la résistance des peuples. Car là où il y a une esthétique du pouvoir, il y a une éthique inébranlable.
Détruire Palmyre, c’est donc aussi tenter d’anéantir le rêve méditerranéen né à Cordoue et Palerme, où au Moyen-Age, toutes les cultures et religions participèrent à une vision commune du lien entre savoir et croyances, durant quelques décennies. De ces deux foyers, virent à la suite du miracle de la pensée grecque, la Renaissance de l’Europe et l’avènement de sa singularité dans le monde. Cette singularité devenue civilisation des Droits de l’Homme qu’il leur faut anéantir.
La destruction de Palmyre ne serait donc pas une étape de plus vers la folie meurtrière et destructrice des mémoires par Daesh mais un nouveau chapitre de la guerre pour déstabiliser les imaginaires des populations de la jeunesse à venir sur la Méditerranée et demain l’Europe.
Alain CABRAS
Spécialiste des relations méditerranéennes.
(Illustration : Vue générale du site de Palmyre. CC Eustache DIEMERT)