Après avoir réalisé des films courts, tournés principalement en Arménie, Levon Minasian scénariste et cinéaste signe son premier long-métrage, produit par Robert Guédiguian. Bravo Virtuose ! raconte les péripéties d’un jeune clarinettiste Alik (Samuel Tadevossian) qui va usurper l’identité d’un tueur à gages pour sauver son orchestre classique de la banqueroute et protéger sa bien-aimée Lara (Maria Akhmetzyanova). Un conte parodique dans lequel le cinéaste s’empare habilement des codes du polar burlesque, quiproquos, joutes verbales, personnages mafieux hauts en couleur, femme fatale, pour mieux dénoncer la corruption du système post-soviétique et le peu de considération pour la musique classique dans l’Arménie d’aujourd’hui. Un cinéaste prometteur, à découvrir … Rencontre avec Levon Minassian, accompagné de Michel Pétrossian, compositeur, lors de la présentation du film en avant-première au cinéma les Variétes.
Gomet’ : Quelle est la genèse du film ?
Levon Minassian : C’est une histoire entièrement inventée. Je voulais faire un film où mélanger les genres, éviter ce cinéma social qui est un peu imposé au cinéma de l’Est et montrer une autre image de l’Arménie. Je voulais faire une comédie jubilatoire avec de beaux acteurs, de beaux décors où on peut rire, mais aussi réfléchir sur un problème très important qui est la disparition de l’art dans une société libérale et sur-consommatrice. Car, après la chute de l’Union soviétique dans laquelle l’art en général était supporté par l’État, quand le capitalisme sauvage est arrivé, les grands artistes comme les musiciens ont tous été obligés d’immigrer. Aujourd’hui ça commence à changer, il y a des subventions pour les concerts classiques etc. mais le cinéma qui était aussi un art subventionné a du mal à être financé car il n’y pas suffisamment de fond. Mon film parle métaphoriquement de ce problème.
Justement peut-on voir dans le portrait des mafieux, vieux et libidineux une image du passé tandis qu’Alik et Lara, jeunes et beaux portent un espoir dans l’avenir ?
L.M. : En effet, c’est une opposition de la nouvelle génération à l’ancienne qui a tout détruit et de ces jeunes avec leurs talents, leur beauté et leur intelligence qui pourraient éventuellement sauver le monde. Mais c’est valable pour tous les pays, pas seulement l’Arménie.
L’utilisation de la métaphore dans les films n’est-elle pas justement concomitante à l’histoire du cinéma soviétique, bien que vous soyez d’une autre génération ?
L.M. : L’Arménie aujourd’hui c’est un pays assez libre, c’est un pays européen quand même ! Et même si ça se durcit un peu avec ce tout ce qui se passe en Russie…, on n’est pas obligé de cacher les choses pour pouvoir les dire clairement. J’ai même tourné chez les oligarques sans problèmes. Mais c’est vrai que dire les choses indirectement m’a toujours intéressé plus que frontalement. Je crois que dans l’art, plus on fait des dérives plus c’est intéressant, parce qu’il y a un travail intellectuel du spectateur qui est nécessaire.
Pouvez-vous nous parler du casting notamment de Samuel Tadevosian ?
L.M. : Concernant le rôle d’Alik, j’ai beaucoup cherché. J’avais sélectionné un jeune homme qui était de Gyumri comme moi (N.D.L.R : ville du nord-ouest de l’Arménie, victime du séisme en 1988) mais comme il avait un fort accent régional, les producteurs arméniens ont hésité car il pouvait être gênant pour une sortie du film en Arménie. Alors j’ai revu Samuel qu’on m’avait conseillé auparavant, on m’avait dit que c’était un garçon très doué et effectivement, la deuxième fois, je l’ai trouvé très rayonnant.
Et vous Michel Pétrossian en tant que musicien, avez-vous trouvé l’interprétation de Samuel convaincante comme clarinettiste ?
M.P. : C’est un jeune homme très doué excessivement jeune. Aussi bien Samuel que Macha ont quelques réflexes musicaux et des accointances avec la musique notamment Macha Akhmetzyanova qui se destinait à une carrière de danseuse professionnelle. Concernant Samuel, on a travaillé vraiment les doigtés pour qu’il puisse être crédible et apparemment il l’est.
L’esthétique de la “Cène” des mafieux est très proche de l’univers de Serguei Paradjanov, est-ce intentionnel ?
L.M. : Toutes les images de Paradjanov sont des icônes et des tableaux magnifiquement mis en scène. Oui, cette scène était voulue pour faire un clin d’oeil et pour créer une image iconique. Et je vois que cette image est très souvent privilégiée dans les médias.
Michel Pétrossian, qu’est-ce qui vous a séduit dans la composition de ce concerto pour clarinette et orchestre ?
M.P. : Premièrement, Levon m’a dit d’emblée : « L’objet principal du film, c’est la musique ». Être mis ainsi au défi, ça m’intéressait. Et ça m’a stimulé. Deuxième chose, il y avait Tigran Hamasyan (N.D.L.R pianiste compositeur de la bande-originale du film ) que j’admire beaucoup. Levon m’a dit, alors « il y a deux univers qui se confrontent ». Caractériser chacun des univers était un deuxième défi. Puis, Levon m’a vraiment intrigué quand il a aligné une série d’exigences contradictoires : « Je voudrais quelque chose que je puisse chanter et en plus je veux que ce soit très virtuose ». Là, c’est un peu contradictoire. « Et puis je voudrais qu’il y ait deux solos, une fois quand le soliste joue son solo, puis dans l’intervalle de sorte que le soliste puisse aller tuer quelqu’un, revenir et jouer son deuxième solo ». Et puis la présence de Philippe Berrod qui est l’un des meilleurs clarinettistes en France, à la fois dans la musique classique et dans les musiques improvisées c’est un immense virtuose ! On a eu une équipe assez saisissante qui fait qu’il y a quelque chose d’assez organique.
Quelle a été la participation de Robert Guédiguian producteur du film, a-t-il contribué à l’écriture ?
L.M. : Robert m’a beaucoup aidé notamment pendant la post-production, au montage, et il m’a vraiment conseillé parce qu’il a un oeil très exercé. Il était vraiment très utile comme spécialiste. Sinon, pendant le tournage du film, il est venu deux fois mais n’est jamais intervenu. Il n’a pas participé à l’écriture et il ne m’a jamais influencé, mais il disait il faut pousser un peu plus loin, il faut aller dans cette direction.
> En salles dès le 14 février 2018