Selon les données de l’Insee pour l’année 2021, les femmes gagnent en moyenne 1 553 euros net par mois, tandis que les hommes touchent 2 053 euros. Cet écart salarial moyen est de 500 euros par mois, ce qui représente une disparité de 24% entre les deux sexes. Ces chiffres prennent en compte tous les types de contrats de travail, qu’il s’agisse de temps plein, partiel ou intermittent. Pour mieux comprendre l’ampleur de la question, nous avons posé quelques questions à Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Nanterre, membre du réseau MAGE (Marché du travail et genre) et du Haut conseil à l’égalité professionnelle depuis 2022. Rachel Silvera est une experte française reconnue dans le domaine des inégalités au travail.
Inégalités salariales, où en est t-on ?
Rachel Silvera. Le bilan reste très négatif. Quels que soient les indicateurs retenus pour mesurer les écarts (et il y en a !), on ne peut que constater que les écarts stagnent. Les femmes touchent un quart en moins de rémunération que leurs hommes. Le temps partiel reste très féminisé, et dans l’écart des salaires, il joue un rôle considérable, et impacte le revenu global des femmes. Le temps partiel n’est pourtant pas un choix délibéré des femmes. Il est lié pour la majorité des cas à des emplois crées à temps partiel, dans des secteurs aussi très féminisés (commerce, services, aide à la personne…). Les salariées “invisibles”, qui travaillent très tôt le matin et/ou très tard le soir, ont des horaires impossibles et des trous dans leur journée, pour souvent un demi-smic mensuel. Et cette réalité entre dans les inégalités salariales. Pour d’autres femmes, comme les cadres ou celles de la Fonction publique, le temps partiel représente aussi une contrainte de vie. Elles réduisent leur temps de travail pour faciliter la vie de leur ménage. A quand une réduction collective du temps de travail ? C’est un choix de société.
Pensez-vous que la semaine de quatre jours pourrait combler l’écart des salaires entre les hommes et les femmes ?
R.S. Oui à condition que le temps de travail soit bien appliqué et pas que les journées ne soient surchargées. Allonger et intensifier une journée de travail n’est pas adapté aux horaires d’une vie de famille et beaucoup de femmes calent leur temps de travail sur les rythmes scolaires.
Depuis quand existe l’inégalité salariale ?
R.S. Depuis la nuit des temps ! A chaque fois que les femmes ont travaillé, leur travail était soit masqué, par exemple on parlait des “femmes d’agriculteurs”, soit invisibilisé, avec les travaux à domicile. Dans les usines et ateliers, le “salaire féminin” a été établi, avec un abattement sur les salaires des hommes. Pendant la Première Guerre mondiale, Pierre Hamp, un inspecteur du travail a constaté cet abattement, justifié par le fait que l’on a toujours considéré que le travail effectué par les femmes n’avaient pas la même valeur et efficacité que celui effectué par les hommes.
Les femmes se sont vues interdire des actions dans les usines, comme la réparation des machines, “au nom de leur sécurité”. Mais en réalité, même lorsque les hommes n’étaient pas là et que les femmes exécutaient toutes les tâches, leur salaire manquait toujours de ce quart en moins. Les fondements de l’inégalité salariale sont des stéréotypes sur la valeur du travail des femmes. Les salaires reflétaient aussi le besoin des salariés, on payait les hommes pour qu’ils puissent nourrir une famille, et pour les femmes, on considérait qu’un homme, que ce soit un père, un époux ou un fils, pouvait répondre à leurs besoins. Ce n’est qu’en 1946 que la loi a mis fin à l’abattement sur le salaire, puis en 1950 pour que les conventions collectives l’applique. Mais les patrons ont trouvé d’autres façons de maintenir un double régime de salaire en faisant des grilles pour les emplois qualifiés et non qualifiés, et les femmes ont pâtit de ce système. On a conservé ce principe, malgré un changement de législation.
Comment les politiques gouvernementales pourraient-elles être ajustées pour réduire les écarts de rémunération ?
R.S. L’index égalité mis en place par le gouvernement va être révisé. Un rapport sortira en mars. Il proposera des mesures plus proches de la réalité et rendra effective la dernière directive européenne sur la transparence salariale. La loi va devoir changer ! Il faudrait aussi de vraies campagnes de revalorisation des métiers, et là l’Etat est d’autant plus concerné puisqu’il est souvent l’employeur… Je pense à l’hôpital, aux collectivités territoriales entres autres. La mixité des professions doit aussi être promue, dès l’école. L’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle doit aussi être repensée.
L’Index d’égalité professionnelle, instauré en France en 2018 par la loi Pénicaud, est un outil clé pour promouvoir l’égalité des sexes au travail. Noté sur 100 points, il se base sur divers indicateurs tels que les écarts salariaux, la répartition des augmentations et des promotions, le nombre de femmes promues après un congé maternité et la parité parmi les 10 salaires les plus élevés. Les entreprises de plus de 50 salariés doivent publier leur index avant le 1er mars de chaque année pour l’année précédente.
Les entreprises obtenant moins de 75 points doivent mettre en place des mesures correctives, tandis que celles ayant moins de 85 points doivent définir et publier des objectifs de progression. Bien que l’index représente une avancée en faisant de l’égalité professionnelle une obligation de résultats, il est critiqué, notamment par Oxfam France, pour l’imprécision et l’ambition de ses indicateurs.