C’est “la mesure qui fait du bruit”, “l’arrêté qui fait jazzer”: le 1er Juillet, « attendez-vous à la possible fermeture des bars d’Aix-en-Provence à minuit trente » au lieu de deux heures titrait la presse régionale épuisant tous les jeux de mots possibles. Nous sommes alors début juin. La rumeur court, La Provence confirme auprès de la sous-préfecture qui a transmis la demande du maire, la nouvelle mobilise très vite les réseaux sociaux aixois et l’adjoint délégué à la gestion de l’espace public « donne son point de vue » sans préciser s’il est en charge du dossier. Les Aixois attendent. Pas de nouvelle de Madame le Maire, Maryse Joissains, pourtant à l’initiative de la demande d’abrogation de la dérogation dont bénéficie les bars de la villes dans les Bouches-du-Rhône. « La mairie ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet » précisaient le 9 Juin les journalistes de France 3. Questionnés par GoMet, les commerçants visés par le possible arrêté ont souhaité rester dans l’anonymat. Pourtant, tous ont presque murmuré confiants : « vous verrez, ça ne passera pas. » Un mois après l’annonce choque, les festivités ne sont pas (encore) écourtées.
[pullquote] « Je ne reviendrai pas en arrière. Si le préfet y est favorable, l’arrêté sera acté en septembre […] et cela peut facilement durer un an en fonction des bons comportements citoyens […] de chacun. »[/pullquote] Interpellée mardi 30 juin à la sortie d’une réunion municipale, Maryse Joissains a accepté de répondre à GoMet’, affichant, elle, un discours tout autre. Sans hésitation elle a confirmé sa volonté de fermer les bars à minuit trente: « Je ne reviendrai pas en arrière. Si le préfet y est favorable, l’arrêté sera acté en septembre […] et cela peut facilement durer un an en fonction des bons comportements citoyens, responsables de chacun. » Une détermination dont de nombreux commerçants et riverains aixois doutaient en l’absence de communication officielle.
Le maire s’exprime avec fermeté sur la question: « c’est un ras-le-bol collectif concentré dans les plaintes des riverains pour nuisance sonore et trouble à l’ordre public qui s’accumulent exponentiellement depuis septembre. J’ai décidé d’agir. » Pas de doute possible sur le message que souhaite transmettre Maryse Joissains : la réaction de la municipalité face à ces incivilités nocturnes sera visible et punitive. certains commerçants et les consommateurs, notamment ceux qui abusent de l’alcool sur la voie publique n’ont qu’à bien se tenir. Pour la première étape de cette enquête nocturne, portrait de ce nouveau rapport de force que le maire d’Aix-en-Provence prévoit de mettre en place dès cet été pour rétablir l’ordre des nuits du petit centre-ville.
Ce que l’on sait déjà
Maryse Joissains a engagé en sa qualité de maire d’Aix-en-Provence une procédure en vue d’un arrêté prévoyant la fermeture des bars de la ville à minuit et demi. Ces établissements bénéficient jusqu’alors d’une dérogation dans le département, renouvelée en 2009, pour exercer leurs activités jusqu’à deux heures du matin. La demande du maire a été transmise à la sous-préfecture et se trouve aujourd’hui entre les mains du préfet de police des Bouches-du-Rhône. Ses conclusions sont attendues avant la fin des vacances scolaires, afin comme l’envisage la municipalité de rendre l’arrêté applicable au 1er septembre.
Les points de vue divergent sur l’efficacité de la mesure comme l’illustre le recueil d’opinions dans les rues aixoises présenté par la web TV Anonymal, qui a récolté plus de 17 000 vues à ce jour. Les commerçants dénoncent un manque à gagner conséquent (à hauteur de 1000 euros par mois sur un salaire mensuel de serveur de nuit); les jeunes employés seraient les premiers touchés par les restructurations nécessaires pour s’adapter à la nouvelle norme. Côté riverain, on continue de conter « les mésaventures d’un quartier qui ne veut pas devenir une décharge publique » , une indignation soutenue par les Comités d’Intérêt de Quartiers (CIQ) du centre-ville qui engagent, en parallèle des constats, des démarches citoyennes avec l’aide juridique de l’UNPI13 (Union Nationale de la Propriété Immobilière des Bouches du Rhône) —à retrouver sur leurs blogs.
Pour la mairie, l’heure n’est plus aux pourparlers
La majorité des patrons de bars interrogés par GoMet’ ont déclaré n’être informé de rien. « Si des mesures sont déjà prises, comme l’augmentation des rondes des policiers, rien n’est officiellement communiqué » critique un des intéressés. Deux tenanciers étaient même étonnés de découvrir il y a un mois dans les médias le projet de madame le maire. La mairie avait pourtant organisé une réunion début juin pour annoncer ses intentions. Depuis, plus de nouvelles selon une majorité de commerçants et de riverains.
Interrogée sur la raison de son silence ce dernier mois, Madame Joissains déclare avoir « essayé d’organiser de nombreuses réunions [avec les commerçants et autres partis impliqués] mais ça n’a pas fonctionné. » [pullquote] « Aujourd’hui je dis stop. Il y a trop d’abus, et ce crescendo depuis deux-trois ans. C’est ma décision , je discute avec dégun.» [/pullquote] Aujourd’hui, Madame le maire assume pleinement avoir fermé les canaux de communication volontairement, par manque de concessions faites de la part de ces gestionnaires de bars qui, toujours selon elle, « ont largement dépassé les bornes. » La réplique est sans appel: « Aujourd’hui je dis stop. Il y a trop d’abus, un vrai crescendo depuis deux-trois ans. C’est ma décision, je discute avec dégun.» Un propos qui confirmerait l’intuition de certains riverains et commerçants : Madame le Maire a pris en charge personnellement le dossier, à la place de M. Rolando, adjoint délégué à la gestion de l’espace public, qui était jusqu’alors l’interlocuteur principal des CIQ et des médias.
Contrôle estival avant l’arrêté automnal ?
A ceux qui dénoncent une décision réactive et ponctuelle pour faire taire les plaintes de certains riverains, Madame Joissains répond: « Je ne vais pas attendre, et je n’ai pas attendu les conclusions du préfet pour gérer les incivilités nocturnes. […] Je ne veux pas que ma ville subisse les faiblesses de l’Etat » ajoute-t-elle, assurant que la municipalité a déjà pris ses responsabilités en recrutant une dizaine de policiers supplémentaires pour contrôler les zones de bruits du centre-ville. [pullquote]« Je ne vais pas attendre, et je n’ai pas attendu les conclusions du préfet pour gérer les incivilités nocturnes.»[/pullquote]
En ligne de mire de l’action municipale figurent les bars en infraction. Madame Joissains insiste, elle portera « une attention vigilante aux bars à vins. » Sachant qu’il est interdit de consommer de l’alcool sur la voie publique, le maire rappelle qu’elle peut organiser la fermeture administrative, par exemple, « des terrasses illégalement installées ou des établissements qui servent des boissons à emporter sans licence adéquate.» Depuis deux semaines, il y aurait en effet de plus en plus de policiers municipaux qui contrôlent les rues « à l’affût d’un procès-verbal » déclare un restaurateur des Cardeurs. Vendredi dernier, certains habitués installés sur les marches du Forum , bouteilles de bières en mains, ont eux aussi été menacés d’une amende par les forces publiques. Une première selon ces étudiants étonnés.
Un commerçant installé rue de la Verrerie réitère: « Menacer de fermer les bars une heure trente plus tôt ? Une stratégie de la maire pour que chacun se remette dans les rangs ! Je ne sais pas si c’est le cas, mais ça marche ! »[pullquote] « Menacer de fermer les bars une heure trente plus tôt? Une stratégie de la maire pour que chacun se remette dans les rangs », déclare un gestionnaire de bars à vin. « Je ne sais pas si c’est le cas, mais ça marche ! » [/pullquote]Côté propriétaires de bars et autres établissements nocturnes visés, deux réactions s’opposent. Les uns assument « faire l’autruche » jusqu’à ce que la décision soit prise. Fatigués des rumeurs et autres indécisions sur le sujet, leur mot d’ordre est largement partagé: « on attend et on avisera si ça se fait.»
D’autres ont préféré agir avant que la municipalité parachève son coup de force. En juin, six commerçants du bas de la place des Cardeurs ont décidé d’investir dans un service de gardiennage tous les soirs de 23h à 4h pour « protéger leur mobilier de terrasses,» une présence dissuasive pour les groupes qui auraient la mauvaise idée d’occuper l’espace public en générant des nuisances. L’initiative ne remporte pas un soutien unanime: « Si ces tenanciers louent l’espace public le temps de leurs activités commerciales, la place est à tout le monde le soir ! » indique un riverain de passage qui déclare préférer « les solutions citoyennes à l’usage de la force, qu’elle soit symbolique ou effective.» La mairie est restée silencieuse sur la question. Certains y verront un gage de son efficacité: l’initiative a déjà séduit des commerçants implantés dans une autre zone de bruit du centre-ville. Afin de prévenir les débordements liés à leur activité, les établissements de la rue de la Verrerie prévoient eux d’engager deux gardiens pour limiter les nuisances de 1h à 5h du matin, comme nous a confié un des propriétaires du Shannon.
La cible de Madame Joissains: les incivilités de la jeunesse aixoise
« Je veux débarrasser la ville de ces moins que rien » lance Maryse Joissains en évoquant « les jeunes qui s’alcoolisent jusqu’à en vomir. » Et de poursuivre « Pour respecter [ses] balayeurs » , précise-t-elle, qui sont souvent confrontés matinalement à ces déjections diverses. Il s’agit également de « conserver l’unicité de la ville, » Aix-en-Provence, ce petit paradis d’art et d’eau calme pour vacanciers. [pullquote]« Vous savez, je ne veux pas que ma ville se paupérise. » [/pullquote] Puis il y a les riverains, bien sûr, dont les nuisances sonores pourraient affecter la santé, notamment lorsqu’elles dépassent les 70 décibels comme scientifiquement établi -ce qui reste encore à vérifier selon nos sources. Mais la motivation de la ville est aussi ailleurs, bien qu’elle incarne ce ras-le-bol collectif à tous niveaux: « Vous savez, je ne veux pas que ma ville se paupérise. » La présidente de l’UNPI13 installée à Marseille, dont l’assistance juridique a permis de concentrer les plaintes des propriétaires aixois, pointe du doigt « une situation injuste pour les propriétaires qui ont acheté leurs biens de longues dates et qui n’arrivent plus à vendre ou à louer aux saisonniers. » En accord avec ces propos, Madame le maire soutient que le parc immobilier aixois est directement affecté par ces nuisances grandissantes: « Les riverains sont fatigués de ces incivilités permanentes, les loyers diminuent et après c’est une autre population plus difficile à gérer qui s’installe. »
[pullquote]”Une fois encore la Mairie, sans proposer d’alternatives, fait le choix de stigmatiser les jeunes” [/pullquote] Ce discours, pour le moins en phase avec les préoccupations des riverains plaintifs fédérés par l’UNPI13 en nourrit un autre: « Une fois encore la Mairie, sans proposer d’alternatives, fait le choix de stigmatiser les jeunes » pourra-t-on lire sur la plateforme internet de mobilisation “Pour Aix”, une critique souvent entendue lors des tours de ville aixois de GoMet’.
La suite de notre enquête demain :
> [Fermeture avancée des bars aixois] Les 40 000 étudiants aixois: la part des riverains négligents ou négligés ?