« Il y a quinze ans, les grands groupes du secteur de la santé fonctionnaient en vase clos. Ils développaient leur propres innovations en interne en gardant scrupuleusement le secret de leurs découvertes », raconte Alain Miara, directeur de la stratégie médicale et des partenariats chez Janssen, filiale de Johnson & Johnson. Aujourd’hui, la donne a changé. Les grosses compagnies ne veulent plus supporter à elle seule le risque de la recherche. Ce sont désormais les start-ups qui mènent l’innovation et les plus gros attendent de trouver la perle rare pour s’engager. A l’occasion de son assemblée générale du jeudi 21 juin, le pôle de compétitivité Eurobiomed a invité quelques unes des plus grandes compagnies du secteur santé pour expliquer le fonctionnement de cette nouvelle relation.
Les pôles de compétitivité font le lien avec les grands groupes
« Les pôles de compétitivité jouent un rôle de facilitateur de rencontres et de découvertes des meilleures innovations au niveau des territoires », explique Eric Vacaresse, directeur des relations scientifiques chez Sanofi Europe. Le géant français prospecte les futures pépites de la santé tout autour du globe : Etats-Unis, Chine, Allemagne mais aussi la France à cause de ses origines. Au national, il s’appuie sur les clusters pour effectuer une veille des dernières startups et de leurs innovations. « En Rhône-Alpes, on travaille beaucoup avec Lyonbiopôle pour qui nous indique les meilleurs PME du moment en fonction de nos besoins », avance Isabelle Fugier, directrice adjointe, responsable France R&D Network & Initiatives chez Sanofi. En Paca et Occitanie, Eurobiomed joue le même rôle et met les grands groupes en relation avec les jeunes sociétés pour nouer d’éventuels partenariats. Par exemple, sur les projets FUI (Fonds unique interministériel) ou encore les RHU (réseau hosipitalo-universitaire), les gros doivent systématiquement s’associer avec une PME pour répondre au cahier des charges. C’est un bon moyen de débuter une association qui peut s’étendre par la suite. Sanofi propose d’accompagner les start-ups via plusieurs modèles : accord de licence, prise de participation, soutien matériel…
De la recherche clinique au rachat
Depuis dix ans, le groupe Orange s’est également lancé dans la santé avec Orange HealthCare et s’intéresse également beaucoup aux petites entreprises innovantes notamment dans le domaine de la e-santé. Le mois dernier, il a par exemple noué un partenariat avec le montpeliérrain Biomouv pour lancer le premier programme d’activité physique adaptée, connecté et adapté en temps réel, destiné aux patientes prises en charge pour un cancer du sein localisé. A Toulouse, Orange Healthcare accompagne aussi la société Telegrafik pour tester son application d’aide au maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie. « On a de grosses velléités de développement dans le sud de la France », annonce Frédéric Attia, directeur partenariat et stratégie chez Orange Healthcare. La filiale du groupe de télécommunications va notamment absorber les équipes du marseillais Enovacom dont il a annoncé le rachat en février dernier. Cette importante implantation locale, avec 140 salariés, va permettre à Orange de se rapprocher des acteurs de la région : « Cette acquisition va grandement accélérer notre développement sur la région », promet Frédéric Attia. Sous quelle forme ? Mystère pour l’instant…
Johnson & Johnson réfléchit à créer un incubateur à Marseille
L’américain Johnson & Johnson s’intéresse aussi de plus en plus au Sud de la France et plus particulièrement à Marseille. Depuis près de deux ans, ses cadres ont multiplié les visites sur les campus de Luminy et de la Timone. Le groupe prospecte notamment pour sélectionner les villes qui pourraient accueillir un Jlab, son incubateur maison qu’il a développé un peu partout dans le monde sauf en Europe pour l’instant : « Jusqu’à maintenant, le groupe ne pensait pas que la formule du Jlab convenait à la mentalité européenne où les jeunes biotechs sont moins nombreuses qu’aux Etats-Unis mais on a changé de politique », explique Alain Miara. Alors Marseille va-t-elle bientôt accueillir un incubateur de Johnson & Johnson ? « Il ne faut pas être trop pressé. La priorité en France reste Paris mais c’est vrai qu’on a plus de foncier disponible à Marseille, ce qui joue en sa faveur », ajoute-t-il. Autre signe positif pour la candidature de Marseille à un Jlab, le responsable Europe des incubateurs du groupe nommé il y a tout juste quelques jours s’est rendu à Marseille mercredi 20 juin pour rencontrer les équipes de Provence Promotion qui œuvre pour attirer l’américain sur ses terres. Lors de ses récents voyages à Marseille, J&J a même rencontré le patron d’une société prometteuse dans le domaine des neurosciences à Luminy. Des discussions sont en cours pour une prise de participation dans l’entreprise marseillaise. Si le groupe ne souhaite pas divulguer pour l’instant l’identité de la biotech, sur le campus de Luminy, l’entreprise de Yehezkel Ben Ari, Neurochlore, qui travaille sur un remède contre l’autisme, apparaît comme le candidat idéal pour ce partenariat.
Sanofi, partenaire incontournable des neurosciences et de l’immunologie marseillaise
Si le géant français n’a pas de bureaux à Marseille à proprement parler, il n’en est pas moins très actif dans l’écosystème local. Toujours en veille active des dernières innovations au sein des jeunes sociétés françaises, il porte une attention toute particulière aux projets marseillais. Depuis 2015, il est partenaire de Vect-Horus, une PME installée à Saint-Antoine, pour le développement de molécules vecteurs facilitant le ciblage de médicaments ou d’agents d’imagerie dans les organes, notamment le cerveau et les tumeurs. Sanofi utilise la technologie de l’entreprise marseillaise pour transporter dans le cerveau des anticorps destinés au traitement d’une maladie neurodégénérative. Ce partenariat a même donné des idées à un autre poids lourd du secteur, Servier, qui a également signé un accord de même type quelques mois plus tard avec Vect-Horus.
La réputation grandissante de la place marseillaise dans le domaine de l’immunologie n’a pas non plus échappé à Sanofi. Le groupe est fortement impliqué dans l’ambitieux projet Mi-mabs, le centre d’immunotechnologie de Luminy destiné à accélérer la mise au point de nouveaux anticorps d’immunothérapie contre les cancers et les maladies inflammatoires. Sanofi met à disposition de la plateforme du personnel et des capacités de production en matière de protéines recombinantes et son expérience dans le développement de médicaments biologiques. Et la Big Pharma française ne compte pas arrêter de soutenir la recherche et les biotechs marseillaises. « Nous disposons de deux outils principaux de financements, Sanofi Sunrise et Sanofi Ventures, sur lesquels de nombreuses jeunes pousses de la région peuvent postuler. On a vu de belles startups, les candidatures sont ouvertes », annonce Eric Vacaresse, directeur des relations scientifiques chez Sanofi Europe.