Ils veulent perdre le sud
Pour avoir résisté vainement à César (-49 avant Jésus-Christ), Marseille perdit, au profit de Lyon, son rôle central. La capitale des Gaules serait donc plus au nord et la ville paierait longtemps sa résistance à la puissance romaine. Plus de 2 000 ans plus tard, un certain Renaud Muselier devenu président de l’assemblée régionale tente de redonner tout son lustre à une cité, qu’il veut au cœur d’une « région Sud ». Ce sont d’autres résistances que doit du coup affronter ce gaulliste revendiqué, quelques bonnes âmes s’élevant contre ce qualificatif de « sud » qui ne dit rien à vouloir embrasser trop large. Sud de l’Europe, sud de la France, sud des Alpes… Des voix s’élèvent à commencer par les tenants des langues de pays. Le Che Guerrera d’Aix (Hervé Guerrera du partit occitan) a lancé sur les réseaux sociaux une pétition. Il prône le seul nom qui s’impose à ses yeux et ses oreilles : « La Provence ». Des études du marché touristique international attestent de plus qu’avec « Paris » et « Saint-Tropez », le mot Provence était reconnu dans le monde entier, notamment au Japon ou en Chine. Peter Mayle peut en témoigner son livre « Une année en Provence » ayant battu des records de vente bien au-delà du Luberon qu’il y décrit. Hélas ceux qui s’accrochent à ce nom, issu du latin « provinsia » ont déjà essuyé le refus catégorique des Azuréens et des Alpins. On imposa finalement, en 1976, l’acronyme très laid de PACA. Il faudra suivre cette guerre de sécession entre les sudistes et les… sudistes. En espérant que le soleil brillera une deuxième fois pour Provence. Après tout c’est l’Arlésien Yvan Audouard qui disait que dans ce beau pays le soleil se levait deux fois : « le matin et après la sieste ».
Les villes à la campagne
« On devrait construire les villes à la campagne car l’air y est plus pur ! ». L’auteur de « A se tordre », Alphonse Allais, ne croyait pas si bien écrire. Le dernier recensement national (réalisé en 2015) révèle un certain nombre de faits têtus. La démographie des grandes villes comme Marseille reste stable ou en légère hausse, mais c’est au profit des périphéries où les citadins sont allés chercher l’oxygène dont peu à peu les hypercentres les privaient. Pour être juste il faut ajouter le prix de l’immobilier, dissuasif dans bien des quartiers intramuros. Pour autant, assurer à ceux qui ont fait le choix de s’expatrier l’inviolabilité de leurs poumons serait être audacieux. Dire par exemple que Plan de Campagne a encore, en dehors de son nom, quelque chose de rural voire une nature préservée, serait pousser le bouchon – automobile bien sûr – un peu loin. Peu à peu, c’est un phénomène pour l’heure irréversible : les villes se vident et Marseille n’échappe pas à ce mouvement. Certes, les arrondissements les plus déshérités gardent encore une part de population de souche, mais d’autres à la manière de ce que l’on a pu voir à New York ou à Paris sont soumis à la gentrification et le grand remplacement est en marche. Peut-on reprocher à ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir des vacances tout au long l’année, de vouloir changer d’air ? Sans doute pas, mais il n’est pas certain que ce que les urbanistes appellent le « périurbain » soit à la hauteur de l’espérance.
Ils n’iront pas en cure ensemble
Maryse Joissains apprécie, une fois l’an, d’aller se remettre en forme dans un des beaux établissements du pays Basque. Jean-Claude Gaudin a aussi ses habitudes thermales. Il n’est pas certain que les maires d’Aix et de Marseille partagent prochainement un bouillon aux légumes dans une de ces cures. Ce sera plutôt une soupe à la grimace, tant leur désamour a été grand en cette fin d’année. Dernière victime du conflit qui dure depuis le début des années 80, le professeur Gérard Bramoullé. Premier adjoint de Mme Joissains, ce libéral historique, est un intime d’Alain Madelin que M. Gaudin n’a jamais porté dans son cœur. L’universitaire est un farouche opposant, au nom justement d’un libéralisme revendiqué, à la Métropole comme il était précédemment un adversaire convaincu de la fusion entre les trois universités. Bramoullé annonçait alors qu’Aix serait la grande perdante de cette opération au profit de Marseille et de la médecine. Il voyait le Droit et l’Economie en difficulté et estimait que la méga université les affaiblirait. Aujourd’hui l’économiste estime que la bonne gestion passée d’Aix va être effacée par une mauvaise gestion de la Métropole, au seul profit de la grande ville en difficulté et endettée, Marseille. Il a donc perdu ses responsabilités au sein de la nouvelle institution et Jean-Claude Gaudin a gagné, après Maryse Joissains un ennemi irréductible de plus, dans son propre camp. Plus que jamais il faut mettre un pluriel au mot « droite ».
On est chez nous
L’Etat – c’est-à-dire ses représentants, les préfets – va alourdir les sanctions pour les communes qui ne respectent pas la loi SRU (Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain). Son article 55 prévoit, notamment dans l’aire Marseillaise, que les villes de plus de 3500 habitants disposent d’un parc de logements sociaux d’au moins 25% de l’habitat. On est loin du compte autour de Marseille et une vingtaine de communes devraient faire l’objet de lourdes pénalités. On entend déjà les cris d’orfraie et nul doute que le président de l’union des maires, Georges Cristiani, ne sera pas le dernier à faire entendre sa voix comme il l’a déjà fait retentir pour les réformes des territoires envisagées par le pouvoir. A regarder la carte des mauvais élèves de cette loi SRU créée en 2000, sous le gouvernement Jospin, et retoquée en 2013 sous la présidence Hollande, on constate que la droite républicaine n’est pas seule à faire de la résistance. La question est malgré tout de savoir si Marseille peut continuer à accueillir toute la misère du monde selon la formule rocardienne. Ces mêmes villes reprochent justement à la capitale régionale de coûter trop cher à la Métropole, en raison de sa pauvreté et donc de ses besoins. Il est urgent que ces édiles prennent en compte un des mots de la loi SRU : « solidarité ». Victor Hugo disait que « le propre de la solidarité, c’est de ne point admettre d’exclusion. » L’aire marseillaise peut-elle continuer à exclure ?
Et de huit
Edouard Philippe a fait un beau cadeau de Noël à la région marseillaise. Le Premier ministre a signé, le 21 décembre, le décret qui fait de la Sainte-Beaume un parc naturel régional. Il sera le huitième en Provence Alpes Côte d’Azur et on attend désormais le classement du mont Ventoux. A regarder la carte des parcs naturels régionaux en France qui en compte 52, la région est donc largement en tête pour la préservation et la mise en valeur de son environnement. La légende veut que Marie-Madeleine, femme pêcheresse à qui le Christ avait donné son pardon, est venue finir sa vie sur les pentes de la Sainte- Beaume. Et si l’eau est aussi abondante sur le massif c’est qu’elle a été nourrie, dit-on, des larmes de cette repentie. Mais trêve de chagrin, l’heure est à la joie, à commencer pour les randonneurs qui apprécient les hêtres, chênes et autres pins, qui peuplent d’abondance ces pentes rocheuses. Avec les Calanques, la Camargue, les Alpilles, Sainte-Victoire, la Sainte-Beaume peut regarder de haut l’avenir. Aux amoureux de ce paysage sublime d’exercer désormais le droit simple de s’y poser.
La rue nous regarde
Sur un mur du sixième arrondissement, rue Jules Moulet, une main a gravé d’une écriture joliment scolaire cette phrase, « la rue assourdissante autour de moi hurlait… » Le vers est de Charles Baudelaire et son poème s’adresse à une passante. Dans les rues de Marseille, alors que le vent mordait la chair, ce sont les silences qui étaient les plus assourdissants en cette trêve réputée généreuse. Des hommes sont morts dans l’indifférence générale, malgré le dévouement remarquable d’associations caritatives courant, maraude après maraude, à leur secours. Notre très jeune président de la République, du haut de ses 40 ans, a imprudemment promis, il y a quelques mois, qu’il n’y aurait plus personne pendant cet hiver dans la rue. Emmanuel Macron était sans doute sincère mais il n’avait pas mesuré l’ampleur de la tâche. A Marseille comme dans tous les ports, ils sont plus nombreux à s’échouer qu’à s’embarquer vers un avenir prometteur. Les plus pressés diront qu’il en a toujours été ainsi. D’autres, plus brutaux, expliqueront doctement qu’il s’agit d’une des lois de la nature avec ses forts et ses faibles. Quelques-uns, après deux pièces déposées dans une main transie, s’interrogeront sur l’inacceptable qui perdure. Il y aura aussi les donneurs de leçon, pour désigner des coupables sous la chaleur rassurante des projecteurs. Restent ces rues, ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui se noient dans Marseille. Nous sommes trop nombreux à passer sans les voir.