Les croisières s’amusent, les Marseillais étouffent
Le cortège de petits trains n’en finit pas de prendre d’assaut les pentes qui conduisent à Notre-Dame de La Garde. Les vieux Marseillais appellent ces petits convois « les promènes couillons ». Mais dans l’affaire, il faut sans doute être plus prudent, car le couillon n’est peut-être pas celui qui passe, mais celui qui trépasse. Les croisiéristes qui font le bonheur des gestionnaires du port, font aussi le malheur de ceux qui respirent, à plein poumon, la fumée toxique des navires qui accostent tous les jours à la Joliette ou à l’Estaque. Certaines villes de France, comme Sceaux (Hauts-de-Seine), ont décidé la tolérance zéro pour les automobilistes qui font tourner leur moteur à l’arrêt. Il en coûtera désormais, a décidé le maire UDI, Philippe Laurent, 135€ d’amende par contrevenant. A Marseille, un paquebot qui fait la même chose, c’est plusieurs milliers de moteurs de voitures arrêtées qui tournent. Il n’est pas sanctionné, malgré les plaintes des habitants touchés et des études épidémiologiques incontestées. Certaines compagnies ont promis de se pencher sur la question qui fait tousser, dans les mois ou les années qui viennent. La municipalité est, une fois de plus, aux abonnés absents, mais ne manque jamais de brandir les chiffres exponentiels des escales et de leurs flots de touristes. Beaucoup d’entre eux utilisent les trottinettes, qui ont envahi la ville et filent sans aucune espèce de respect du code de la route, de trottoirs en corniche en passant par les places ou les quais. Là encore, Marseille, qui vient juste après Paris dans le triste palmarès des villes les plus embouteillées (146 heures perdues dans les bouchons par an) sera sans doute moins prompte à réagir que la capitale. Mme Anne Hidalgo vient d’annoncer des mesures répressives contre les dix sociétés qui exploitent ces engins, désormais dangereux. A Marseille on va là encore « laisser mesurer les autres ». Comme on le dit rue d’Aubagne, « on ne réagit que quand ça s’écroule ! » Hélas.
La salle de shoot et les coups pas très francs
Le sénateur Bruno Gilles (LR) a été prompt à récupérer la polémique. La salle de shoot ne plait pas à ses électeurs, habitant la rue Saint Pierre où on envisage d’installer dans des locaux appartenant à l’APHM (Hôpital de la Conception) une « salle de shoot ». Cette structure permet à des toxicomanes de s’injecter leur produit, en toute sécurité sanitaire et à terme, de les emmener vers un sevrage. Mais pour les riverains, la direction la plus indiquée pour ces naufragés, c’est celle du cimetière Saint-Pierre, situé au bout de cette longue rue. On comprend bien évidemment la grande peur des bien-pensants, devant l’émergence d’une telle stratégie préventive. Vouloir éviter que des jeunes gens à la dérive se « shootent » dans des parkings, au coin d’un immeuble ou encore dans une cave, est une bonne chose pensent les riverains, mais ils murmurent aussitôt à propos de cette salle officielle : « pas de ça chez nous ! » On est dans la même problématique, que pour la pratique de certaines religions. On veut bien tolérer les musulmans, mais on préfère l’islam des caves, plutôt que de voir ériger une mosquée à proximité. Cela donne des groupes sectaires, violents, éminemment dangereux. Pour les toxicomanes – les reportages n’ont pas manqué ici et ailleurs – cela débouche sur les trafics, la prostitution et malheureusement aussi le Sida. Des associations expérimentées et sérieuses ont beau le dire et le redire, on ne les entend pas. Le « pas de ça chez moi » relayé par les politiques opportunistes a encore de beaux jours – si l’on peut dire – devant lui.
Muselier et l’appel d’air de juin
En ces temps de commémorations, on entend et on voit beaucoup Renaud Muselier (LR) sur les ondes et dans nos étranges lucarnes. Normal, diront ceux qui connaissent sa généalogie. Son grand-père, il y a plus de 75 ans, a été un des premiers hauts gradés (Amiral) à libérer un territoire français (Saint Pierre et Miquelon). Il y fit flotter le drapeau tricolore frappé de la Croix de Lorraine et gageons que son petit-fils veut en faire de même, sur la marmite en surchauffe des Républicains. Invité de Jean-Pierre Elkabbach, le président de la Région Paca (ou Sud) n’a pas caché sa satisfaction de voir sa famille politique aborder enfin, frontalement, ses problèmes. Il a bien sûr parlé de Laurent Wauquiez, mais il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que le Marseillais visait tous ceux qui ont conduit LR dans la tourmente. Il a rappelé aussi qu’il était capable, au nom de l’intérêt supérieur des Provençaux et sans doute, en premier des Marseillais, de travailler avec d’autres familles politiques. Il n’a pas exclu LREM. Et pour prouver à quel point il était tolérant, il a confié qu’au parlement européen, ordre alphabétique oblige, il siégeait à côté d’une certaine Mussolini, petite nièce du Duce. Il a donc fait entendre sa petite musique, en attendant peut-être de faire retentir le clairon et battre tambour, avant de sonner la charge. Le petit-fils de l’amiral a hissé haut ses couleurs et il pourrait très bien débarquer bientôt en terre occupée.
La longue ou haute marche
Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. La sagesse antique nous rappelle que, si dans Rome on pouvait triompher après une bataille, on pouvait aussi périr en étant jeté dans le vide depuis cette roche proche du Capitole. Olivia Fortin qui a initié avec d’autres le collectif Mad Mars, souhaite un rassemblement très large de ceux qui, à Marseille, veulent en finir avec un système qui a que trop duré. Elle imagine un pont qui relierait la France Insoumise à La République en Marche, en passant par le PC, le PS, les radicaux, les écologistes, sans oublier toute une flottille d’associations citoyennes. I have a dream aurait dit ce bon Martin Luther King. Il faudra convaincre beaucoup de monde et dépasser autant d’égos, sans oublier les doctrines à géométrie variable. Sébastien Délogu ex-candidat aux Européennes pour LFI, a déjà prévenu qu’il ne faudrait pas compter sur lui et la suppléante de Jean-Luc Mélenchon, Sophie Camard estime qu’il n’est « pas question de signer un appel qui irait de la gauche à LREM ». Elle pourrait d’ailleurs se faire tancer par Alexis Corbière, un des proches du « leader massimo » qui ne veut plus entendre lui le terme « gauche », jugé obsolète. Bataille sémantique qui en dit long sur la déshérence intellectuelle, dans laquelle se noie ce qui reste de la gauche depuis 2017. Pour aggraver la caricature, on voit même dans ces maigres divisions-là, des Christophe Madrolle et François-Michel Lambert régler des comptes obscurs au nom d’intérêts opaques de l’écologie. Il y a cependant dans ce maelström une urgence : Marseille. A l’oublier, ceux qui prétendent faire de la politique vont finir par s’exclure de la cité.
Il faut savoir…
… chassez le doute ! chantait Charles Aznavour. Et pour ce faire, il est salutaire que les victimes survivantes fassent entendre leur plainte. Ce sera le cas pour une poignée de d’entre elles qui ont déposé, par l’entremise de leur avocat, Pascal Luongo, une plainte pour crime contre l’humanité. Les faits remontent à janvier 1943. 20 000 Marseillais, dont une grande partie était d’origine italienne et particulièrement napolitaine, ont été chassés de chez eux, le Panier ou le quartier Saint Jean. Cet épisode est connu comme « la rafle du Vieux Port ». Sur des images qu’il faudrait aller commenter dans les écoles, on voit des SS, mais aussi des uniformes français. Il y a cette terrible photo de René Bousquet, portant fourrure au col et ricanant en compagnie d’officiers allemands. Et puis il y a, comme nous le confiait il y a vingt ans un rescapé, ce silence des riverains qui ont vu passer les convois et qui sont restés claquemurés. On trouvera aussi au bout de ce terrible épisode, que le parquet de Paris a décidé de revisiter, des justes ou de simples braves gens qui ont tendu une main, ouvert une cave, caché une valise pour que quelques-uns échappent au piège. L’enquête dira tout cela et il faudra regarder la vérité, quoi qu’il coûte au beau récit national que l’on radote depuis 75 ans.
Trahis par les mots…
« Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée » confiait Jean-Paul Sartre, traversé par le doute. Les mots en tout cas peuvent trahir, voire dénoncer sans avoir l’air d’y toucher. Ainsi peut-on voir sur la digue du large une œuvre d’art éphémère. Celle d’Alexandre Périgot. Sur des conteneurs l’artiste a gravé une série de mots qui, additionnés, sonnent comme un « J’accuse ». On peut lire ainsi « Ozone », « Zéro » « Gag » « Grisou » et encore « Bravo » ou « Joker ». Juxtaposés dans une phrase, il pourrait nourrir un joli début de pamphlet et le Port Autonome n’échapperait pas à cette philippique. Autres mots, autres lieux. Un journal, La Provence, où l’on apprend qu’une femme a « planté » son compagnon (coups de couteau) ou que des « baffes ont été distribuées » par les auteurs de cambriolages violents. Franz-Olivier Giesbert, le directeur éditorial du journal, explique cette semaine dans Le Point que « l’investigation » se résume aujourd’hui à « recopier bêtement » ce que disent les enquêteurs et la justice. Il a raison, mais ce n’est pas nouveau. A force de s’immerger dans les réalités, certains oublient le surplomb sur lequel il faut se placer, pour essayer d’être objectif ou d’approcher au plus près de la vérité. Et ce n’est pas simple à dire, avec des mots.