Candidate à l’avenir de Marseille
Martine Vassal a appris, auprès de Jean-Claude Gaudin, l’art de la guerre politique. Inutile d’afficher trop tôt son étendard et ses armes. En revanche, faire savoir qu’on a des troupes parfaitement identifiables avec soi, est indispensable pour affaiblir l’adversaire et lui laisser entendre que le pire est à venir… pour lui. Le maire de Marseille tient ce savoir-faire d’un maître absolu en la matière, Gaston Defferre, et d’une longue expérience dans les différentes commissions d’investiture de ses partis successifs. Defferre n’a pas toujours été le maître absolu du jeu dans les Bouches-du-Rhône, mais il avait l’audace de faire croire à ses ennemis qu’il était insubmersible. Au sortir de la résistance, ils n’étaient qu’une poignée avec lui, mais avec ce qu’il faut de représentants des cercles qui faisaient alors la ville, y compris le milieu. Homme de gauche, il a su pactiser avec le centre, en désignant un seul empêcheur de gouverner en rond, le Parti Communiste. La suite, on la connait. Mitterrand l’a contraint à l’union de la gauche en 1983. Il l’a fait ministre mais un accident a mis fin, prématurément, à son règne, parti pour durer longtemps encore. Jean-Claude Gaudin est dans cette lignée d’hommes politiques. Il ne cesse de dire, à ceux qui prétendent accéder au trône municipal, qu’il faut rassembler d’abord son camp. Cette citadelle reconstruite, il sera grand temps d’affronter l’adversité. Martine Vassal a, depuis ce dernier mardi, rassemblé tous ceux qui portent un projet pour la ville. Si ce miel-là attire, il sera grand temps de construire une ruche, autour de la reine. Puis viendra le moment où d’un coup de dard on terrassera les importuns. Ainsi va le bestiaire politique.
Une voix et des voies
Ceux qui ont eu le privilège de l’entendre et parfois même d’être écoutés par elle, se souviennent d’abord de sa voix. Celle d’une maîtresse femme s’adressant à chacun avec l’autorité d’une enseignante de latin-grec, ne souffrant la contradiction que lorsqu’elle était parfaitement étayée. Edmonde Charles-Roux impressionnait, même si quelques-uns, dès qu’elle s’éloignait, retrouvaient au fond de leurs poches bourrées de billes volées, le courage dont ils avaient manqué devant elle. On s’amusait par exemple du récit d’un de ses chauffeurs, confiant que, un jour où il était bloqué par des manifestants dans une petite rue qui donnait sur la Canebière, elle lui avait intimé l’ordre suivant : « allez-les voir, dîtes-leur qu’on est avec eux, mais qu’ils nous laissent passer ! » Ainsi allait cette aristocrate « rouge ».
[pullquote]L’aristocrate rouge : « vivre, c’est dire non »[/pullquote] Elle tenait ses certitudes des voies qu’elle avait empruntées, dans sa jeunesse tumultueuse. Fille de diplomate et issue d’une lignée de princes du négoce ou de riches armateurs, elle était faite pour la légèreté et l’insouciance. Elle avait néanmoins une certitude : « vivre, c’est dire non ». Elle choisit donc le risque, la Résistance, le patriotisme. Fut blessée, fut soldat, fut militante, fut amante… Bernard Pivot regrettait récemment dans sa chronique du JDD, qu’elle n’ait jamais couché ses incroyables souvenirs sur le vélin d’un livre. Elle préféra vivre Marseille au quotidien, avec ses aspérités, plutôt que de faire exister sa ville au passé, dans le confort d’un récit. Un ami skipper se souvenait comment, lorsque « Gaston » rentrait d’une virée en mer, elle enfilait un tablier pour préparer quelques côtelettes rue Sainte, pour son marin. C’était la même qui s’opposait, altière et impassible, à quelques chenapans venus apporter violemment dans un amphi de la fac Saint Charles, la contradiction à des intellectuels. Ces derniers soutenaient alors, comme elle, Robert P. Vigouroux. A 95 ans elle s’en est allée sans faire de bruit. Dominique de Saint Pern vient de livrer aux éditions Stock une somme, « Edmonde » , (410 pages) qui comble en partie nos lacunes.
La faute au millefeuille
J’interpelle le maire de secteur (6-8), Me Yves Moraine. Il me répond avec force civilité, me félicitant au passage pour la beauté de l’immeuble où je réside. « Monsieur le maire il y a sur un peu moins de deux cents mètres sur ce boulevard, trois écoles et une crèche, ne croyez-vous pas que des ralentisseurs seraient nécessaires pour éviter que les deux et quatre roues n’approchent les enfants à grande vitesse ? ». « Ah oui mais ça c’est la Métropole… » me répond l’édile, avant de poursuivre son chemin. Quinze jours après ce court dialogue impromptu, un écolier de dix ans, passager du scooter de son père, est renversé par une voiture (photo) et transporté à l’hôpital avec une jambe blessée. C’est un accident de plus, au même endroit où la priorité revient à celui qui la prend le premier. Le boulevard Vauban est devenu une autoroute où tous les matins et chaque soir conflue un trafic de plus en plus dense. Au de-là de cette saynète, c’est toute la complexité de la gestion du territoire qui apparait. Il y a pour le gérer, une mairie de secteur, un arrondissement, un canton, une mairie centrale et désormais une Métropole. Une image en raccourci de ce qui fait aujourd’hui la France. On appelle cela un millefeuille, et pour les victimes ce n’est pas du gâteau.
La tour de Babel
Depuis la nuit des temps c’est le rêve des grandes civilisations. La tour de Babel, cette cité idéale où la création, l’énergie, la politique dans le meilleur sens du terme, les hommes et les femmes, vivent, travaillent, se construisent et prospèrent de génération en génération. Autre temps, et l’anglais en prime, on parle désormais de Babel community. Certes l’ambition est réduite ; mais la communication qui n’est pas toujours là pour informer sur le réel, est superbe. A regarder l’illustration du journal, l’immeuble de cette Babel-là a un petit côté, en moins étroit, « fer à repasser », ce Flatiron building situé à New York au croisement de la 5ème, de Broadway avenue et de la 23ème rue. Bon, on s’enflamme, car on est ici sur la rue St Fé en piteux état et où les boutiques ferment rideau les unes après les autres. Qu’importe ce concept, en lieu et place de feues les Galeries Lafayette, nous dit la communication ; mélange coworking, résidents, restaurant avec roof et vue imprenable, salles de sports, de réunion…, n’en jetez plus, il est promis à un avenir extraordinaire. Mieux Marseille sera le modèle, qui a vocation à être reproduit dans d’autres villes. Et on va voir ce qu’on va voir, puisque ce sont des jeunes actifs qui occupent déjà les 95% des locations ou colocations proposées. La rue St Fé n’avait pas connu une telle bouffée d’espérance depuis le Virgin Megastore. Ce magnifique temple de la culture, mort et enterré et où H&M s’est installé depuis. Allez ! On croise les doigts…
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
[pullquote]Cette incroyable mosaïque dessinée par les immigrations successives.[/pullquote] C’est plus fort que lui. C’est dans ses gènes et pourtant quand il y a du gène, dit à peu près l’adage, il n’y a pas de plaisir. Stéphane Ravier, sénateur RN des Bouches-du-Rhône, s’est réjoui sur une antenne nationale des événements que traverse l’Algérie. Cette foule qui a emporté une élection truquée en attendant – peut-être – d’emporter un pouvoir corrompu. Mais derrière cette satisfaction, il y avait le sarcasme et le souhait que les Algériens – de Marseille en particulier – rentrent chez eux. Et si on appliquait cette logique à tous ceux qui autour du Vieux-Port n’ont pas d’origines provençales ? Même si la loi interdit d’établir des statistiques ethniques, on imagine le trou d’air que devrait traverser la ville, sans ses Africains, Arméniens, Italiens, Grecs, Sépharades, Comoriens… cette incroyable mosaïque dessinée par les immigrations successives. Elle fait de la capitale du Sud-Est une ville monde, qui remplit par exemple le stade vélodrome autour d’un ténor du Rap, un fils d’immigrés lui aussi, Soprano. Mais ne nous trompons pas, certains ont ici la phobie sélective. On sait qu’ils ne visent que ce Nord de l’Afrique qu’ils n’acceptent pas d’avoir dû abandonner un jour. Ravier dit finalement tout haut ce que continuent à murmurer discrètement son parti.
Comme une coïncidence
Y-a-t-il un point commun entre Clara Luciani, récente lauréate des Victoires de la Musique, et Maryse Joissains, récemment convoquée devant la cour d’appel de Montpellier pour « prise illégale d’intérêts et détournement de fonds publics » ? Aucun, si ce n’est que les deux femmes sont Aixoises. Mais en regardant de plus près et à lire les paroles de celle qui triomphe sur les hit-parades, on peut faire un rapprochement saisissant. Que dit Clara ? : « Hé toi. Qu’est-ce que tu regardes? T’as jamais vu une femme qui se bat. Suis-moi. Dans la ville blafarde Et je te montrerai. Comme je mords, comme j’aboie. Prends garde, sous mon sein la grenade. Sous mon sein là, regarde Sous mon sein la grenade (…) Hé toi. Mais qu’est-ce que tu crois? Je ne suis qu’un animal. Déguisé en madone… » Bon la différence, c’est que Clara est condamnée, semble-t-il, à un bel avenir, quand Mme Joissains peut l’être à un an de prison avec sursis et dix ans d’inéligibilité. Ce n’est pas la même chanson.