Il est des semaines où le temps s’arrête et s’accélère tout à la fois. Cette fin septembre aura été aussi celle d’une époque qui oscillait encore entre le XIXème et le XXème siècle, mais n’étais jamais totalement entrée dans le troisième millénaire. Jacques Chirac était de ce temps et beaucoup ont mesuré, avec sa disparition, que c’était plus qu’une page qui se tournait à sa mort. Un livre s’est refermé, même si la vie continue.
Il n’acceptait pas, mais pouvait comprendre
Etrangement c’est Jean-Claude Gaudin qui aura été le plus authentique, dans son évocation du président de la République décédé. Renaud Muselier aura été, singulièrement, plus en retenue. Pourtant le maire de Marseille et l’ancien maire de Paris venaient d’horizons politiques différents. Le premier n’a jamais rien eu d’un gaulliste, quand le second a tracé son sillon en prolongeant ceux de De Gaulle, puis de Georges Pompidou. Mais les deux hommes avaient en commun ce goût des autres qui fait qu’une bonne pogne vaut tous les discours. Chirac homme du centre aimait le midi méditerranéen. Adolescent il usa ses culottes au Rayol-Canadel (Var) pendant la seconde guerre mondiale. De son vivant Etienne Gola, le maire se souvenait, avoir tancé ce chenapan qui rêvait de bouter l’ennemi hors de France en jouant les Maurin des Maures dans la forêt qui plonge jusqu’à la mer. A Marseille en 1988, avant d’être battu sévèrement par Mitterrand, Chirac mesura la puissance du poison que son adversaire avait introduit dans le jeu politique français, en permettant avec une dose de proportionnelle au Front National d’échapper aux deux trois pour cent dans lesquels l’extrême droite était jusque là reléguée. Au Parc Chanot Chirac eut une phrase ambigüe : « je n’accepte pas le racisme, même si je peux le comprendre ». Quelques mois plus tard c’est Gaudin qui emportait la Région avec le FN. C’est encore à Marseille que Chirac lança son assaut décisif en 1995, contre Balladur Sarkozy et Gaudin. Enfin, en 2002, il annoncera à Avignon qu’il repartait en campagne après un septennat mouvementé. Gaudin assure aujourd’hui que Chirac adorait la bouillabaisse. A Marseille, il fut servi.
En vert et contre tous
La tentation est grande, car d’Aix à Marseille, en passant par quelques cités aux premières loges des problématiques environnementales, l’écologie a la cote. Les écolos Marseillais se sont donné jusqu’au 5 octobre pour décider s’ils rejoignaient définitivement le « Mouvement sans précédent » qui associe PS, PC, France Insoumise et diverses forces associatives, ou s’ils tentaient, seuls, l’aventure. Avec plus de 13% des voix dans les Bouches-du-Rhône aux Européennes les amis de Yannick Jadot se sont légitimement pris à rêver d’autres conquêtes. La droite ne sous-estime pas le danger et elle vient de mettre un peu de carburant vert dans sa pratique, en faisant d’urgence voter un programme environnemental qui s’inscrit plus largement dans le Plan climat. Dans cette perspective sont évoquées des solutions qui étaient jusqu’ici réputées de gauche, comme la gratuité des transports publics pour sortir du tout automobile où la métropole s’est enlisée. La présidente UDI du Pays d’Aubagne, Sylvia Barthélémy, s’est du reste faite une défenseuse de l’héritage de ses prédécesseurs communistes, en précisant toutefois que « la gratuité n’est ni de droite ni de gauche ». Les Verts, comme le fait entendre aujourd’hui Sébastien Barles, sont donc légitimés à défendre comme leaders, leur modèle alors que se joignent à eux, dans une bouffée écologique inédite et dans un désordre aussi attendrissant que suspect, tant de sensibilités diverses. « Rien n’est plié » tente-t-on de rassurer chez les écologistes qui, à la manière de Jadot, ne conçoivent l’union que ralliée à leur panache vert. Les jours qui viennent seront décisifs pour savoir si l’union de la gauche a mis un tigre dans son moteur ou un paresseux.
Après 2600 ans l’Histoire reprend sa marche
On se souvient de la chanson du père de Michel Sardou Fernand : « Aujourd’hui peut-être ou alors demain… » Ainsi en allait-il de la manière dont était traité la mémoire de la ville, par les élus. Le patrimoine pouvait attendre d’autant plus que, souvent, il était enterré pour ne pas dire mort dans la mémoire collective marseillaise. Et puis est-ce l’air des cimes électorales qui se profilent à l’horizon, voilà que la cité phocéenne prend goût à s’enraciner à nouveau dans son passé. Les riverains du Centre Bourse (Photo) ont pu assister, quelque peu médusés, ces deux dernières semaines, à un ballet furibard de tractopelles et autres engins de chantiers, pour redonner un peu de prestige au jardin des vestiges. Il n’était jusque là qu’un angle mort que quelques passants pressés regardaient distraitement, en rejoignant la galerie marchande et les échoppes résolument contemporaines. Désormais ils peuvent enfin imaginer ce que fut un port grec, une voie romaine dont un maigre dallage a été reconstitué, et même, pour quelques jours, encore un frêle mais magnifique esquif, le Gyptis. On doit ce bel objet au pied du musée, au travail inlassable de Patrice Pomey qui, avec son équipe d’archéologie navale, a conduit les fouilles qui ont permis l’étude et la reconstitution de deux navires grecs (1993). C’est un Normand, le ministre Sébastien Lecornu, qui est venu éclairer de sa présence cette page d’histoire révélée au grand public. Lors de sa visite il s’est montré par contre pessimiste pour une émergence rapide de la métropole. Dans 2600 ans peut-être !
Mennucci conseille Biaggi
Est-ce parce qu’il est associé, dans une société de conseils avec Georges Fénech, ancien député (LR) mais aussi magistrat, que Patrick Mennucci (PS) a appelé Solange Biaggi à pousser un peu plus loin ses investigations avant d’assurer que 60% des commerces de la rue de la République étaient occupés ? L’ancien député est plus pessimiste et il constate que 70% des locaux commerciaux sont vides. Une chose est certaine, l’artère souffre et le turn-over incessant des enseignes, dont quelques locomotives comme H§M, est décourageant. La municipalité et des commerçants motivés prônent la mise en place d’animations diverses, à commencer par la restauration. Il faudra plus qu’un coup de fourchette. Historiquement cette rue, où des immeubles cossus étaient censés à la fin du XIXe siècle accueillir une population aisée, n’a jamais tout à fait réussi sa mue. C’est à une longue paupérisation à laquelle on a assisté, avec l’agonie, strates après strates, des divers quartiers qui la bordent. La gentrification qui a marqué le renouveau de certaines grandes cités, ne s’est jamais produite dans ce secteur de Marseille, à l’exception notable d’une petite partie du Panier. Un ancien maire Robert P. Vigouroux avait cru un temps que la population étudiante aurait pu prendre pied, rue de la République, avec la proximité de la faculté d’économie. Une capillarité qu’on avait aussi espérée pour la Canebière avec la faculté de Droit. Il aurait fallu sans doute être plus incitatif pour réussir la gageure. Et une fois encore, on en arrive à un constat : la superficie de la ville et l’absence d’un centre vital induisent un éparpillement qui freine sa dynamique. L’avenir « républicain » reste à inventer.
L’école meurt vive l’école
L’affichage est discret. Il vaut mieux éviter les caricatures rue Daumier, dans le 8e arrondissement. Le panneau indique que dans ce collège privé le conseil départemental met en place une numérisation à 100%. Ce qui fut naguère une bastide est aujourd’hui un établissement du secondaire éminemment moderne et bien entendu très prisé. Saint-Joseph de Cluny est placé sous les meilleurs auspices. Des autorités religieuses efficaces dans leur démarche éducative, soutenues par des familles motivées et aidées par un personnel politique très attentif au quotidien de ces populations. A Marseille où une grande partie de l’école publique est en souffrance, certains considèrent que de telles attentions pour l’enseignement privé qui ne cesse de prospérer, sont une injure à la laïcité et à la République. Les mêmes perçoivent comme un nouvel affront l’annonce d’un collège (600 élèves) fiché au cœur du 15e arrondissement. Son implantation a été facilitée par l’établissement public Euroméditerranée, le conseil départemental et la pugnace action de la compagnie de Jésus. Les Jésuites font autorité depuis longtemps dans l’enseignement dit libre et les disciples d’Ignace de Loyola n’ont jamais cessé depuis le XVIe siècle d’étendre leur influence. A Marseille leur réussite est aussi remarquable que le naufrage de l’Education nationale est spectaculaire.
La polémique inutile
Le conseil métropolitain a manifesté une solidarité quasi unanime aux policiers et à un de leurs syndicats, Alliance, vilipendés par Jean-Luc Mélenchon. Les gesticulations du député de Marseille et ses accusations de tentative de meurtre sur sa personne, auront eu pour effet donc de mobiliser une grande majorité d’élus dans l’indifférence notable de l’opinion publique. Une élue Aixoise, Gaëlle Lenfant, a fait entendre cependant dans l’enceinte métropolitaine une voix discordante, en évoquant le nom de Zineb Redouane morte dans des conditions toujours inexpliquées lors des manifestations des gilets jaunes du 1er décembre 2018, près du vieux port. Cette octogénaire a été touchée par un tir de grenade lacrymogène alors qu’elle tentait de refermer ses volets au 1er étage de l’immeuble où elle habitait. Deux enquêtes, l’une française, l’autre algérienne, tentent encore de faire la lumière sur ces faits. Il faudra bien qu’un jour la justice nous explique comment et pourquoi une vieille dame née en Tunisie, d’origine algérienne est morte des suites de ses graves blessures, à l’hôpital de la Conception. Comme il est urgent que les démocrates n’associent pas les turpitudes médiatiques d’un leader d’extrême gauche en perte d’influence, à cette « victime raisonnable » (Paul Eluard). Sur le pont qui enjambe le cours Lieutaud, un calicot portant le prénom de la vieille dame, flotte toujours au vent. La seule histoire qu’il ne faut pas enterrer.