« Un grand bon en avant », c’est ainsi que Mondher Mahjoubi qualifie la nouvelle étape que vient de franchir Innate Pharma. Le président du directoire de la biotech marseillaise avoue qu’il a dû batailler ferme pour boucler le nouveau partenariat avec Astrazeneca. Et pour cause, les montants affichés donnent le tournis. La firme britannique va débourser 118 millions de dollars d’ici la fin de l’année et 124 millions en 2019 pour acquérir les droits de Monalizumab, molécule phare d’Innate Pharma, et poser une option sur cinq autres produits prometteurs. Mais surtout, le contrat parle d’un versement potentiel de 5 milliards de dollars si les médicaments vont jusqu’au marché. De quoi donner une nouvelle dimension à la « petite » société pharmaceutique née à Luminy.
Un pionnier de l’immunothérapie
Innate Pharma est un pur produit de la recherche marseillaise. Tout a commencé au Centre d’Immunologie de Marseille Luminy (CIML) créé en 1976 par François Kourilsky et Michel Fougereau, professeurs à l’université d’Aix-Marseille. Cet équipement fut la première pierre d’une coopération scientifique qui a donné vie aux premières entreprises locales spécialisées en immunologie. En 1981, François Kourilsky, Michel Delaage et Antoine Béret ont créé Immunotech, société pionnière du genre sur le campus qui conçoit des réactifs pour l’analyse cellulaire et l’immunoanalyse, rachetée en 1995 par Beckman Coulter. Quatre ans plus tard, Hervé Brailly, l’un des cadres de l’entreprise, François Romagné et Eric Vivier décident de tenter leur chance en lançant leur propre structure : Innate Pharma. Ils font alors figure de pionniers dans un domaine inexploré : l’immunothérapie. Cette nouvelle approche vise à développer des médicaments qui vont cibler le système immunitaire du patient plutôt que la tumeur elle-même. Le 1er octobre dernier, l’académie Nobel a consacré cette discipline en décernant la récompense suprême à deux chercheurs en immunologie, James Allison et Tasuku Honjo, pour leur découverte du traitement du cancer par inhibition de la régulation immunitaire négative. C’est cette même approche qui a été très tôt choisie par Innate Pharma et lui promet aujourd’hui un brillant avenir.
Les médicaments d’Innate Pharma valent des centaines de millions d’euros
La société a fondé son modèle sur les partenariats avec les plus grosses firmes du secteur des biotechnologies pour se financer. En 2003, le danois Novo Nordisk est le premier à s’intéresser à ses travaux et investit 10 millions d’euros pour 20 % du capital de la société marseillaise. En 2011, Bristol-Myers Squibb conclut un accord pour le développement et la commercialisation de l’IPH2102. Le groupe américain s’engage alors sur des montants plus conséquents avec 465 millions de dollars et des royalties à deux chiffres sur les ventes futures. Aujourd’hui, avec Astrazeneca, Innate Pharma voit encore plus grand car les clauses de l’extension de son partenariat prévoit un potentiel de plus de 5 milliards de dollars pour six molécules, soit plus de 800 millions chacune. Les candidats d’Innate Pharma lui rapportent de plus en plus d’argent et les prochaines transactions pourraient encore grimper. Consciente de cette réalité, Astrazeneca a décidé d’entrer au capital de l’entreprise marseillaise. Elle a même accepté de payer le double du prix de l’action lors de la transaction, soit 10 euros par actions, pour une enveloppe totale de 63 millions d’euros et 9,8 % des parts. Le groupe anglais rejoint donc au capital Novo Nordisk qui détient 15,5 % d’Innate, BPIFrance (7,6 %), Wellington (6 %) et le management (2 %). Les 68,9 % restants sont flottants sur le marché boursier. Depuis l’annonce du partenariat avec Astrazeneca, l’action d’Innate Pharma a pris plus de 50 % et elle devrait rapidement atteindre les 10 euros. Dans le domaine de la recherche, le chiffre d’affaires n’est pas représentatif de la valeur d’une entreprise. Innate n’affiche que 44 millions d’euros pour le moment mais cela pourrait rapidement changer. Dans quelques jours, elle va démarrer la commercialisation de son premier médicament qui lui permettra de faire décoller son chiffre d’affaires.
De la recherche clinique à la vente de médicaments
Aujourd’hui, il n’y a qu’une dizaine de traitements d’immunothérapie sur le marché. Dans le cadre de son accord avec Astrazeneca, Innate Pharma a également acquis pour 50 millions de dollars les doits commerciaux de Lumoxiti, un médicament contre la leucémie à tricholeucocytes, une maladie rare qui touche 1 000 nouveaux cas par an aux Etats-Unis. « C’est une étape transformante pour nous. On va vendre notre premier produit en propre », se félicite Mondher Mahjoubi. La société de recherche et développement va devoir apprendre un nouveau métier : la vente. Une équipe commerciale d’une trentaine de visiteurs médicaux est en cours de recrutement pour sillonner les Etats-Unis dès que possible. Elle s’attaquera ensuite à l’Europe dès l’obtention de l’autorisation des autorités espérée pour fin 2020. La commercialisation de Lumoxiti sera un bon galop d’essai pour Innate Pharma qui compte se concentrer sur la vente de médicaments contre des cancers rares. « Notre stratégie est claire. On a pas les moyens de toucher des millions de patients alors on va se positionner sur des maladies rares et uniquement en Europe et aux Etats-Unis », explique le patron d’Innate. Après Lumoxiti, l’entreprise mise sur IPH4102, un médicament de son crû contre les lymphomes T cutanés. Elle vient de présenter les résultats encourageants d’une étude de phase I et se prépare à la phase II. La société espère commencer les ventes d’ici quatre à cinq ans. Enfin, Innate pourrait chercher à terme, l’obtention d’une autorisation d’indication en deuxième ligne de traitement pour Lumoxiti.Pour poursuivre ses travaux cliniques, Innate recrute en permanence des techniciens et des chercheurs. En 2013, ils étaient 80 à travailler à Luminy et ils seront plus de 200 d’ici la fin de l’année.
Les premières ventes de Lumoxiti assureront un socle de revenus à long terme à Innate, permettant à la société d’endosser le nouveau statut de biotech commerciale, certes loin de la rentabilité, mais susceptible d’attirer, peut-être, de nouvelles catégories d’investisseurs, jusque-là réticents à investir dans une société de pure R&D. La biotech marseillaise est déjà capitalisée à 480 millions d’euros sur le marché et devrait rapidement dépasser les 600 millions d’euros.