A Noël, Gomet a pu interroger l’économiste Julia Cagé, prix du meilleur Jeune Economiste 2023 décerné par Le Monde et le Cercle des Economistes. Economiste réputée, en partie formée à Marseille dans ses plus jeunes années, Julia Cagé est également douée en musique et s’intéresse particulièrement aux médias : sa spécialité principale est l’économie des médias, l’économie politique et l’histoire économique.
Julia Cagé, quel est votre parcours ?
Julia Cagé : Je suis professeure d’Économie à Sciences Po Paris. Avant cela, j’ai fait un bac économique et social à Bordeaux, une classe préparatoire lettres et sciences sociales à Marseille, avant d’entrer à l’École normale supérieure puis, après quelques détours par les lettres et la philosophie, de finalement faire un master puis un doctorat d’Économie. Mes travaux portent notamment sur les médias et la démocratie.
Parlez nous de de votre dernier ouvrage : Une histoire du conflit politique, Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022 (avec Thomas Piketty, Le Seuil, 2023).
J. C. : Dans mon dernier livre, Une histoire du conflit politique, écrit avec Thomas Piketty, nous avons étudié l’évolution des votes en France depuis la Révolution française. Notre objectif est de répondre à la question : qui vote pour qui et pourquoi ? et de le faire pour l’ensemble de l’histoire électorale française, car nous pensons que cette histoire peut éclairer la situation actuelle, et notamment la crise de la tripartition. Pour cela, nous avons collecté tous les résultats des législatives, des présidentielles, et des principaux référendums depuis 1793 au niveau des communes, données que nous avons mises en ligne sur le site unehistoireduconflitpolitique.fr.
Quel accueil votre livre a-t-il reçu ?
J. C. : Ce livre a reçu un très bon accueil depuis sa sortie, principalement je crois car il permet de remettre en cause un certain nombre de fausses idées reçues sur les comportements de vote. Par exemple l’idée selon laquelle les classes populaires auraient abandonné la gauche – ce qui est complètement contredit par les données, que l’on considère les élections récentes ou l’ensemble du XXe siècle – ou encore le fait que les citoyens voteraient principalement sur les questions identitaires.
Au contraire, nous montrons que ce qui compte avant tout aujourd’hui, c’est la classe géo-sociale, c’est-à-dire à la fois le territoire où vous vivez (rural ou urbain), mais également les questions de revenu, de patrimoine, de profession, d’accès aux services publics, etc. Cela nous rend relativement optimistes, car cela signifie qu’il est possible pour la gauche de véritablement élargir son électorat actuel, et notamment de reconquérir l’électorat populaire rural qui vote aujourd’hui Rassemblement National.
Comme vous savez, Gomet’ est un journal en ligne local, basé dans la métropole Aix Marseille Provence : avez-vous un souvenir personnel de la ville de Marseille ?
J. C. : Je connais très bien Marseille, puisque j’ai passé trois ans au lycée Thiers en classe préparatoire – et au Conservatoire adjacent ! – et que mes parents vivent encore aujourd’hui dans cette ville magnifique. Je n’ai découvert la région qu’à 18 ans, mais les années de 18 à 21 ans sont des années particulièrement importantes, et je reviens à Marseille plusieurs fois par an, chaque fois avec beaucoup de nostalgie.
Enfin, que vous inspire le concept de finance verte et solidaire, thème des Rencontres organisées par Gomet’ en novembre ?
J. C. : Le concept de finance verte et solidaire me semble un concept particulièrement important, à condition bien sûr qu’il ne soit pas utilisé à des seules fins de “greenwashing”, par exemple par un certain nombre de grandes banques, ce qui est un véritable danger. Mais je fais confiance à votre média indépendant pour enquêter sur ces sujets et démêler le vrai du faux !
Julia Cagé : un CV exceptionnel, des recherches et engagements multiples à la croisée de la démocratie et des médias
Professeur d’économie à Sciences Po Paris, Julia Cagé est également co-directrice de l’axe “Evaluation de la Démocratie” du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) et Chercheuse affiliée au Center for Economic and Policy Research (CEPR), où elle dirige le “Media Plurality Research Policy Network”. Multi-diplômée, notamment de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm), majeure Economie, elle a obtenu un PhD d’Economie de Harvard University, un mastère d’Economie de Paris School of Economics, un Bachelor d’Econométrie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et une habilitation à diriger les recherches de Sciences Po Paris. En 2021, elle a reçu un « starting grant » du Conseil Européen de la Recherche (European Research Council, ERC) pour son projet de recherche « Campaign finance, information and influence : A comprehensive approach using individual-level data and computer sciences tools ».
Les médias sont au coeur de ses recherches, enseignements et activités. Citons : ses livres “L’information est un bien public. Refonder la propriété des médias“ (avec Benoît Huet, Paris, Le Seuil, 2021), “Le prix de la démocratie” (Fayard, 2018, Prix Pétrarque de l’essai France Culture-Le Monde), et “Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie“ (Paris, Le Seuil, La République des Idées, 2015, Special Jury Prize for Best Book on Media, Prix des Assises du Journalisme); son cours à Sciences Po Paris, “Le prix de la démocratie : médias, participation et élections” (cours de master depuis 2019); ou ses publications : ” The production of information in an online world ” (avec Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, Review of Economic Studies, 2020), “Media competition, information provision and political participation: evidence from french local newspapers and elections, 1944-2014” (Journal of Public Economics, 2020) et “Newspapers in times of low advertising revenues” (avec Charles Angelucci, American Economic Journal Microeconomics, 2019).
Depuis 2020, Julia Cagé est membre du Conseil de surveillance de la Société Éditrice du Monde, présidente de la Société des lecteurs du monde (SDL), membre du groupe de travail sur les “infodémies” du “Steering committee” du Forum sur l’information et la Démocratie. Depuis 2019, elle est aussi membre du Comité d’experts sur la désinformation en ligne du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Enfin elle a des responsabilités éditoriales comme co-éditrice de The Journal of Law, Economics, and Organization (Oxford Academic) depuis 2021. Et si vous préférez varier de l’économie et des médias, vous pouvez l’écouter jouer Debussy au piano ou l’entendre au sein du Cesar Quintet.