Vous avez dirigé la Caisse des dépôts durant trois ans en Provence Alpes Côte d’Azur. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Elisabeth Viola : C’est le formidable potentiel de cette région avec un atout incontestable : celui de son équilibre territorial. Travailler au développement d’une région, qui compte deux métropoles Aix Marseille Provence et Nice, avec Toulon qui assure « le bridge » et renforce le développement économique, et Avignon et les territoires alpins qui complètent l’effet levier touristique et culturel, est une vraie chance.
La présence de trois aéroports, dont le deuxième français, du premier port industriel français, près de 150 ports de plaisance, un tissu de PME et ETI dynamiques et des universités et instituts de recherche de premier ordre font de cette région une terre d’exception et un carrefour d’échanges vers l’Afrique et l’Europe. Savoir exploiter cette situation géo-politique constitue un enjeu majeur.
Mais je retiendrai surtout l’engagement, le professionnalisme des acteurs des services de l’Etat, des collectivités locales, et des partenaires privés publics, tous animés individuellement par la volonté de servir le territoire. Aujourd’hui la création de la Métropole Aix Marseille Provence est un formidable terrain de jeu pour cultiver ce goût du collectif, comme lors de Marseille capitale européenne de la culture.
Pourquoi faut-il, selon vous, mettre en commun ?
E.V. : L’histoire de la région, sa position géostratégique, sa diversité environnementale, son climat, ont naturellement contribué à son expansion, mais pour rester dans le peloton de tête, avec un poids à l’international elle doit cultiver le goût de la performance. La concurrence entre régions est stimulante pour faire évoluer les mentalités. [pullquote]La transformation réussie de notre territoire dépendra de notre capacité à travailler ensemble. [/pullquote] Alors que d’autres régions réorganisent leur gouvernance, Paca peut se projeter pour créer et accompagner le développement des entreprises et la création de l’’emploi, confirmer son attractivité et sa créativité. Tous les ingrédients de l’économie de demain et du bien vivre ensemble sont présents sur notre territoire et ils ne demandent qu’à s’exprimer mais pour les exploiter, il faut savoir réunir pour transformer. Et donc la transformation réussie de notre territoire dépendra de notre capacité à travailler ensemble. Si je reprends l’enjeu majeur de la métropole et de la région, celui de la mobilité, le jeu collectif, les synergies et complémentarités sont incontournables pour réussir.
Comment traiter ce sujet de la mobilité sans être découragé par l’ampleur des chantiers et les délais de réalisation ?
E. V : Travailler et conjuguer les actions sur les trois horizons de temps : le court, le moyen et le long terme. La difficulté est de pouvoir répondre aux urgences sans sacrifier la vision de long terme. L’ADN de la Caisse des dépôts est le long terme, soit en qualité d’investisseur soit de prêteur, et de mobiliser de l’expertise pour accompagner les collectivités locales sur des projets de grande ampleur avec le soutien de l’Etat, voire du législateur comme cela a été le cas pour le Grand Paris avec la création d’une société dédiée au financement de nouvelles infrastructures clés pour le territoire.
[pullquote]Les élus de la Métropole et les services de la Métropole définissent actuellement la stratégie des transports métropolitains[/pullquote] A partir des différentes contributions des collectivités locales, des conseils de territoire et des travaux techniques effectués, notamment le livre blanc sur les transports métropolitains, accompagnés par la CDC, sous l’égide de la de la mission métropole, les élus de la Métropole et les services de la Métropole définissent actuellement la stratégie des transports métropolitains.
La Caisse des dépôts, en concertation avec l’ensemble des autres parties prenantes Etat, collectivités locales et entreprises, est prête à mobiliser, dès maintenant, toutes ses capacités d’ingénierie financière et de projets qui englobent tous les modes de financement (fonds propres et prêts) et tous les modes de gestion (directe ou indirecte) pour développer des solutions de mobilité intelligente et durable.
[pullquote]C’est aussi la rationalisation et l’optimisation des services existants qui permettront de dégager des marges de manœuvre supplémentaires[/pullquote] L’enjeu, c’est de faire mieux qu’aujourd’hui avec des moyens financiers contraints : cela peut passer par un plus grand recours aux transports collectifs propres, une interopérabilité à l’échelle de la métropole, une complémentarité entre des solutions à base de route et d’autres à base de rail, et la création de nouveaux services numériques et équipements publics pour s’adapter aux nouveaux usages de mobilité et faciliter l’inter-modalité. Sur le plan financier, c’est aussi la rationalisation et l’optimisation des services existants qui permettront de dégager des marges de manœuvre supplémentaires pour investir dans de nouvelles infrastructures métropolitaines.
La convention de partenariat signée fin mai entre le Président de la Métropole Jean-Claude Gaudin et le directeur général de la CDC Pierre René Lemas [photo ci-dessus] rappelle que la CDC sera aux côtés des services de la métropole pour faciliter la mise en œuvre de cette stratégie des transports métropolitains, colonne vertébrale du développement et de la compétitivité du territoire.
Concernant la mise en place de la Métropole, ne trouvez-vous pas que les choses avancent trop lentement ?
E. V. : Non pas du tout, vu le contexte de sa création. Forcément on peut toujours trouver que cela ne va pas assez vite parce qu’il y a tellement d’attente vis-à-vis de la Métropole. Pour autant, les sujets sont pris dans le bon ordre, l’organisation se cale progressivement et les équipes administratives ont été très vite opérationnelles. La vraie difficulté, me semble-t-il, c’est de se dire que l’addition des projets de chaque conseil de territoires ne fait pas forcément un projet métropolitain, il y aura donc à définir des priorités, à mailler les projets et à opérer des arbitrages qui tiennent compte des capacités financières d’AMP. C’est cette dynamique collective avec le sens et la prise des responsabilités de chacun qui est en train de se construire et je suis résolument optimiste quant à la suite.
Quel est, selon vous, le délai raisonnable pour créer ce projet métropolitain ?
E.V. : Difficile de répondre à cette question. Il me semble utile d’envoyer très rapidement des signaux positifs à la population métropolitaine et faire savoir que les problématiques de mobilités qui empoisonnent le quotidien et freinent le développement du territoire seront prises en charge. Après la responsabilité de chacun est de faire en sorte que la démarche soit la plus fluide possible pour servir le territoire. On ne part pas d’une feuille blanche, Il y a eu beaucoup de contributions et de réflexions pendant des années, chaque conseil de territoire connait bien les enjeux. Et chacun collectivement et individuellement peut se demander comment contribuer efficacement à l’émergence de cette métropole au service des citoyens.
La définition du projet peut se faire en moins d’un an avec une mise en œuvre sur 30 ans. Je m’explique. Dans le domaine des transports métropolitains marqué par des temps de développement de projets et de construction comptés en années, l’agenda annoncé de la métropole fera forcément ressortir :
> les initiatives susceptibles d’être mise en œuvre à brève échéance (principalement dans le champ des services innovants de mobilité intelligente et durable, ou le renouvellement du matériel roulant.
> les projets d’infrastructures de transport, dont la maturité en termes techniques et de consultation publique est propice à un montage rapide du projet dans un schéma juridique et financier identifié.
> les projets d’infrastructures de transport devant être développés à un horizon plus lointain. Cette feuille de route des élus de la métropole ainsi établie permettra naturellement d’apporter ainsi rapidement aux habitants, actifs et visiteurs de la Métropole un changement perceptible rapidement dans leurs modes de déplacement.
Demain, la suite de notre entretien (réalisé le 23 août 2016) avec Elisabeth Viola.
Reportage réalisé en partenariat avec la Caisse des depôts