Du haut de ses 42 ans la Cour régionale des comptes, qui en a vu et entendu d’autres, fait l’unanimité contre elle, de la gauche qui préside aux destinées de Marseille, à la droite qui rêve d’un retour en gloire en 2026, en passant par le représentant de l’Etat. Tous, alliés pour des raisons souvent diamétralement opposées, contestent le récent rapport de 180 pages qui s’interroge sur l’avancement du plan lancé en grandes pompes et sous l’œil des médias. Ils avaient été convoqués en 2021 à une grande messe par le président de la République qui promettait des jours meilleurs aux Marseillais. Emmanuel Macron qui ne fait jamais économie de grandiloquence, avait baptisé l’ambitieux projet « Marseille en grand ».
Depuis son palais élyséen, il doit considérer désormais si l’on se réfère à la réaction courroucée de son représentant, le préfet Christophe Mirmand, que les magistrats régionaux ont observé le dossier par le petit bout de la lorgnette. Les critiques des élus, Renaud Muselier, Martine Vassal ou Benoît Payan sont aussi vives, comme si le document incriminé valait condamnation.
« Vérifier si les résultats d’une politique publique sont à la hauteur des objectifs fixés »
Il convient ici de rappeler quelques principes. La cour régionale des comptes est un appendice décentralisé de la cour des comptes. Cette dernière a été créée en 1807 par Napoléon Bonaparte. Parmi ses missions : « Vérifier si les résultats d’une politique publique sont à la hauteur des objectifs fixés, et si les moyens budgétaires sont utilisés de manière efficace et efficiente. Le rôle de la Cour n’est pas de commenter les choix faits, mais d’évaluer les conséquences et de formuler des recommandations pour atteindre les objectifs. » C’est sans doute là que le bât blesse, car il est rare qu’un élu accepte des « recommandations » qui contestent la politique qu’il a mis en œuvre souvent à grand renfort de publicité, voire de propagande.
Rappelons-nous la réaction sanguine de feu Jean-Claude Gaudin, dont la gestion fut passablement remise en cause par la cour régionale des comptes en 2018 pour sa gestion financière, patrimoniale et humaine. Un pavé sans concession de 600 pages, qui revenait sur l’ensemble de « l’œuvre » de Gaudin et ses fines équipes, soit 24 ans de pouvoir absolu. Avec des accents outragés le maire de Marseille tonnait, annonçant alors qu’il allait « saisir le président de la Cour des Comptes ». Et pour faire bonne mesure il réclamait une « rectification de tout ce qui est inexact, déformé, oublié ou diffamant ».
L’ancien prof d’Histoire n’avait pas en l’occurrence révisé ses notions de droit constitutionnel, puisque la juridiction régionale est indépendante. L’orage passé ce sont les urnes qui ont finalement sanctionné l’ère Gaudin et c’est à la gauche qu’il revenait de vérifier que les juges de la cour régionale des comptes avaient à juste titre mis les points sur les i et les barres sur les t.
Cinq ans plus tard les mêmes acteurs, à quelques exceptions près, se retrouvent à jouer la même pièce chacun avec sa partition. Ainsi Renaud Muselier sonne la charge contre la municipalité Payan avec ses chevau-légers. Romain Simmarano, son directeur de cabinet à la Région, y va de sa diatribe en affirmant que « dès que la ville de Marseille est engagée dans un projet c’est le gâchis en grand ». Et ce collaborateur encarté à Renaissance de pointer du doigt le plan Ecoles qui, selon lui et contrairement aux récentes affirmations du maire de Marseille sur France Info, est un échec. Singulièrement la cour régionale des comptes n’a pas fait dans son rapport de ce thème une critique acerbe, mais le tempétueux Simmarano connait déjà semble-t-il l’art de détourner les regards du cœur de cible.
Sabrina Agresti-Roubache appelle à une mise sous tutelle de la Ville
C’est de son camp – Renaissance – que la contradiction a finalement surgi. L’ancienne secrétaire d’Etat, Sabrina Agresti-Roubache, désormais éloignée de la ville, reconnait que les constats faits par la cour régionale des comptes ont une cause majeure, la mésentente peu cordiale entre les élus locaux, départementaux et régionaux.
Remuant le couteau dans une plaie historique, l’incendie en 1938 des Nouvelles Galeries (78 morts) qui value à Marseille d’être placée sous tutelle, l’amie de Brigitte et Emmanuel Macron, a déversé sa bile dans Le Point : « Je souhaite sincèrement à Benoît Payan de réussir, mais il n’est pas aidé. Il n’a pas de stabilité dans son entourage et les bons sentiments ne règlent pas les problèmes. Il y a un vrai problème de compétences. Ça me rend folle. »
« Il faudrait une mise sous tutelle sur toutes les compétences de la mairie de Marseille ». Pour faire bonne mesure elle ajoute : « Si on ne leur impose pas une surveillance stricte, les équipes locales désignées ne travaillent pas ».
Elle épargne au passage la Métropole et le Département que le Préfet dans une langue fort diplomatique a pourtant désignés, en regrettant qu’une convention cadre n’ait pas été signée à l’origine pour le plan Marseille en grand. Le représentant de l’Etat expliquant, sans s’étendre, que les différents partenaires s’y étaient opposés « pour des raisons locales ». Un ange passe sur Notre-Dame de la Garde, à moins que ce ne soit une « escadrille » comme le claironnait Jacques Chirac lorsqu’il évoquait des « emmerdes ».
Dans ce tumulte, le silence prudent de Martine Vassal jure avec la canonnière sur laquelle, outre les petits soldats de Muselier, on retrouve Sébastien Delogu (LFI) et Franck Allisio (RN). On l’aura compris sur cet esquif-là il n’est plus question de viser la cour régionale des comptes mais, dans son rapport tout ce qui peut être reproché à la municipalité de Benoît Payan. A Aix, où il vient de réunir 900 élus locaux, Renaud Muselier se félicitait récemment d’avoir renoncé à organiser dans la cité phocéenne ce raout qui existe depuis cinq ans. « Georges Cristiani (Ndlr : président de l’union des maires des Bouches-du-Rhône) m’a conseillé Aix parce que Marseille c’est une impasse ! » Pas que pour les réseaux routiers et autoroutiers, visiblement !
Lien utile :
Notre dossier d’actualités consacré à Marseille en grand