C’est à Sainte-Marthe, un quartier perché sur les hauteurs de ville, que la savonnerie Fer à cheval fait toujours fonctionner ses sept chaudrons de quinze tonnes chacun. Un patrimoine qui a bien failli disparaître, il y a trois ans, lorsque la société était en quasi-faillite. L’arrivée d’un fonds d’origine belge, Cortez Capital, domicilié à Hong Kong, avait soulevé quelques interrogations. Aujourd’hui, la Nouvelle Compagnie des détergents et du savon de Marseille (NCDSM), propriétaire de la marque Fer à cheval, est labellisée Entreprise du patrimoine vivant, détient le label Qualité tourisme et lance deux nouvelles gammes. Rencontre avec ses dirigeants, Raphaël et Yannick Seghin, pris de passion pour le petit cube 100% authentique.
Que s’est-il passé depuis que vous avez repris la savonnerie ?
Raphaël Seghin . Nous avons investi un million d’euros pour consolider l’entreprise et créer du renouveau. Concrètement, nous avons sécurisé les lieux, conservé vingt-quatre salariés et recruté onze nouveaux, amélioré les lignes de production avec l’achat de certaines machines.
Deux nouvelles gammes et une nouvelle identité. Pourquoi et comment ?
R.S. Le lifting se poursuivra jusqu’en 2018 mais nous voulions marquer ce nouvel élan à l’occasion des 160 ans de la savonnerie. Hypoallergénique, sans conservateur, sans parfum, sans colorant ni graisse animale, le véritable savon de Marseille revient en belle position dans l’envie de mieux consommer. La gamme « L’authentique savon de Marseille » a été développée et relookée dans une présentation « brute » et la gamme « Maison », toute nouvelle bien que nous ayons toujours fourni du détergent aux professionnels, arrive avec douze nouveaux produits, dont certains en petits formats pratiques comme le stick détachant de 150 g par exemple. Avec cette nouvelle gamme, nous entrons d’ailleurs à La Maison Empereur, rue des Récolettes à Marseille.
Comment sont distribués les produits Fer à cheval ?
R.S. Pour le savon de Marseille, deux boutiques, en ligne et sur place, et une cinquantaine de revendeurs. Pour l’autre process, le détergent, qui représente 2/3 de notre chiffre d’affaires, nous comptons environ 200 clients à travers un réseau de distribution qualitatif également de professionnels, hôtels et restaurants.
Et dans les années à venir, qu’envisagez-vous ?
[pullquote]Près de soixante-dix produits seront disponibles en 2017, dont une gamme cosmétique.[/pullquote] R.S. La croissance a été multipliée par deux depuis 2015. Notre chiffre d’affaires prévisionnel pour 2016 est de 6,6 millions d’euros. Près de soixante-dix produits seront disponibles en 2017, dont une gamme cosmétique. Nous démarrons une levée de fonds pour accompagner l’accélération de la société. Deux millions d’euros supplémentaires permettront, notamment, de poursuivre l’amélioration des lignes de production, la commercialisation, mais également de créer un parcours visiteur, par exemple.
Yannick Seghin : Avec un tel savoir-faire ancestral préservé, le potentiel de développement est grand. En Chine, par exemple, il y a une crainte vis à vis des produits fabriqués sur place. D’où un intérêt croissant pour ceux fabriqués en France, comme le savon de Marseille. C’est une raison aussi pour laquelle, en rachetant la savonnerie, nous ne voulions absolument pas déménagé ! Notre charte de formulation est écocertifiable, ce sera aussi une piste de travail à venir.
Comme dans de nombreux métiers artisanaux anciens, le savoir-faire est difficile à transmettre.
R.S. Bien sûr, il faut y penser et Michel Bianconi est depuis trente ans le maître savonnier du Fer à cheval. Il a accepté de préparer sa relève en formant depuis trois ans, d’ailleurs, le fils d’un ancien maître savonnier.
Qu’en est-il alors du véritable savon de Marseille ?
R.S. Avec trois autres savonniers, Le Sérail, Marius Fabre et La Savonnerie du Midi, nous avons fondé l’Union des professionnels des savons de Marseille. Nous avons déposé un dossier à l’Inpi et nous attendons la réponse. Je sais qu’il y a d’autres dossiers déposés, mais il faut faire la différence entre « maître savonnier » et « façonnier », deux métiers différents qui n’utilisent pas le même process. On ne pourra certainement pas empêcher la vente de savons dits de Marseille mais nous voulons juste que les consommateurs apprennent à faire la différence. D’où le logo noir “savon de marseille” créé en commun pour nos quatre maisons, en attendant l’obtention d’une indication géographique protégée (IGP).
Y.S. Le réflexe à avoir pour le consommateur est de regarder la liste des ingrédients. Le véritable savon de Marseille n’en contient que six au maximum. Il ne peut être que vert (huile d’olive) ou blanc (huile de palme et de coprah).
Alors quand un produit bien de chez nous est en passe de devenir un produit de luxe par la simplicité et la qualité de ses ingrédients, il mérite de trouver une place privilégiée à la maison…