I have a dream. Ou plus sûrement, une conviction : « Le sport n’a de raison d’être qu’à travers sa dimension sociale ». En quelques mots, Anthony Thiodet, expert en management sportif, a tout dit. Tout avait pourtant été déjà écrit, voté, promulgué, avec la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives qui « […] constituent un facteur d’équilibre, de santé, d’épanouissement de chacun. Elles sont un élément fondamental de l’éducation, de la culture et de la vie sociale ». Bref, un cercle vertueux auquel s’est substitué un serpent qui se mord la queue. Avec derrière la tête, l’État. Ce dernier offre en effet un cadre légal en centre duquel surgissent chapelles et querelles de clochers :
« Lorsqu’un club atteint un niveau élevé, il est dans l’obligation de se constituer en société, scindant nécessairement ses activités en deux branches bien distinctes : les professionnels tout en haut et les amateurs tout en bas.»
Et les fédérations, au regard de la loi, ne font qu’alimenter plus encore ce phénomène de clivages, en délégant aux ligues la gestion des championnats professionnels. Et dire que le basket serait né dans l’esprit de James Naismith, un professeur d’éducation physique et docteur en théologie canadien qui, pour occuper les étudiants durant la période hivernale, auraient eu l’idée d’installer des filets de pêche dans un gymnase. Et de faire jouer fraternellement son auditoire.
La métropole par le sport
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C’est précisément pour « faire à nouveau ensemble » qu’Anthony Thiodet persiste à rechercher une fenêtre de tir.
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C’est précisément pour « faire à nouveau ensemble » qu’Anthony Thiodet persiste à rechercher une fenêtre de tir. Il est persuadé que de nouvelles perspectives de développement s’ouvrent au sport, ajoutant toutefois que cela ne « concerne pas le rugby et le football ». Car cet écosystème, il le connaît de l’intérieur et sous toutes ses coutures : il en a tour à tour éprouvé la branche professionnelle, le monde fédéral, celui des détenteurs de droit, des annonceurs aussi. Et le rire jaune aux lèvres de raconter cette troublante expérience : « Deux sponsors concurrents associés à l’image d’un même club ». Une fois encore, professionnels tout en haut, amateurs tout en bas. C’est également de là, de tout en bas, que viendra finalement la fenêtre de tir qu’il attend. Quatre opportunités et un coup de fil : celui des responsables du seul club de basket professionnel situé en Provence, à Fos-sur-Mer.
Les dirigeants du club fosséen reconnaissent leur incapacité à pousser leur équipe vers de nouvelles ambitions parce qu’ils n’en ont plus les moyens, notamment financiers. Les recettes peinent à se renouveler du fait de la fragilité du tissu économique local. Le vivier démographique limité — Fos-sur-Mer compte environ 15 000 habitants — ne lui permet plus d’augmenter le nombre des entrées au guichet. Appelé à la rescousse, Anthony Thiodet perçoit à travers cette « rare lucidité des dirigeants » une première vraie opportunité à saisir. Et ces derniers n’en sont pas à leur coup d’essai en termes de « lucidité » : ils ont en effet accompagné la progression constante de leur équipe première, gravissant les échelons les uns après les autres, jusqu’à l’accession à la Pro B en 2009. Une intuition rapidement confirmée par la conjoncture.
La réforme territoriale entérine la disparition du SAN Ouest Provence – intercommunalité à laquelle appartient la commune de Fos-sur-Mer – et Anthony Thiodet se tourne naturellement vers la future métropole :
« Elle devient de fait la collectivité la plus pertinente pour proposer un nouvel avenir au basket provençal ».
Ce projet de fédérer le territoire derrière une seule équipe professionnelle, et d’impulser une même dynamique à l’ensemble du basket métropolitain, séduit à la fois les porteurs de la mission interministérielle, les instances régionales et départementales du basket, et les clubs amateurs. Confrontés à l’explosion de leur modèle (complexification de la gestion, système D, baisse des subventions), ces derniers ne parviennent plus à s’en sortir. Anthony Thiodet et son équipe ne leur proposent ni plus ni moins que des valeurs, des savoir-faire, de l’ingénierie. Du basket et du social.
Provence Basket : vecteur d’intégration
Le projet est en cours de structuration mais les outils sont déjà clairement identifiés. Avec une ambition : la transversalité et la coopération entre le monde du sport, la société, le secteur économique, les institutions publiques, le tout de l’échelle la plus locale à la dimension la plus internationale. À quelque chose près, les quatre axes détaillés par Najat Vallaud-Belkacem, ministre en charge du dossier, dans l’avant-projet de loi relatif à la modernisation de l’organisation et de la gouvernance du sport (présenté dans sa 11e version en mars 2014).
Éducation et société se nichent derrière chacun des dispositifs envisagés pour développer le basket, tous les baskets, et accompagner amateurs comme professionnels. Trois exemples permettent d’en comprendre le processus : ils s’appellent pacte de cohésion sociale, emplois d’avenir et réforme des rythmes scolaires. Et « je ne fais pas de politique. Je constate seulement que 40 % des budgets alloués à la pratique sportive dans le cadre du pacte de cohésion n’ont pas été engagés ». Rappelons que Jean-Marc Ayrault était venu en novembre 2013, chez le voisin marseillais, présenter ce plan d’investissement de cinq milliards d’euros. Les petites structures n’ont, semble-t-il, pas compris le message. Il en va de même avec les emplois d’avenir : pour y être éligibles, les clubs doivent compter au moins un salarié à temps plein ; mission presque impossible.
« Provence Basket envisage donc de créer un groupement d’employeurs sur lequel ces clubs modestes pourront ainsi s’appuyer pour embaucher un jeune en contrat d’avenir, formé à devenir agent de développement de clubs sportifs ».
Et le gain pour la collectivité ? Il faut aller le chercher dans les écoles confrontées à une pénurie de ces intervenants qualifiés rendus précieux par la refonte des rythmes scolaires : « Les mairies pourraient désormais, à moindre coût, engager ces nouvelles forces vives ». CQFD, encore, et encore. Parce qu’Anthony Thiodet ne doute surtout pas de la réussite de Provence Basket, peu importe pour cela le temps qu’il faudra.
(Crédit photo : Guillaume Chagnard)