« La réforme de l’apprentissage : un atout pour rénover notre modèle social ». C’était l’intitulé de la conférence animée par Sylvie Brunet, le 15 mars au Château Ricard. Présidente de la section du travail et de l’emploi au Conseil économique et social, Sylvie Brunet a mené la concertation sur la réforme de l’apprentissage. Une vingtaine de ses propositions figurent parmi les 44 du texte. Entretien.
Gomet’ : Quelles sont les grandes lignes de cette réforme ?
Sylvie Brunet : Le but est vraiment de simplifier le dispositif d’apprentissage pour deux publics fondamentaux : les jeunes, les apprentis et leur famille puis les entreprises. Pour les apprentis, il s’agit de faciliter l’orientation vers cette voie-là, c’est-à-dire leur permettre de mieux connaître les métiers, et les parcours possibles, mais aussi les dispositifs d’apprentissage. Ensuite, grande nouveauté : ils vont pouvoir entrer en apprentissage tout au long de l’année, alors que ce n’est pas le cas aujourd’hui. L’idée est de ne pas se retrouver coincé lorsqu’on n’a pas trouvé de contrat d’apprentissage en septembre. D’autres éléments sont importants, comme la rémunération qui a légèrement augmenté. Il y a aura différents critères à prendre en compte, mais pour les 16-20 ans elle sera de l’ordre de 30 euros. Le financement du permis de conduire à hauteur de 500 euros a été acté car il faut accompagner la mobilité, véritable enjeu dans le cadre de l’apprentissage. Autre point essentiel : l’information sur l’insertion professionnelle à l’issue du diplôme, qui manque beaucoup.
Et pour les entreprises, quels changements ?
S.B : L’accueil a été en premier lieu très positif. Elles se sont engagées à développer l’apprentissage. Le versant entreprise de la réforme comprend une révolution notable : le mode de financement du dispositif, puisque désormais il s’agira d’une rémunération au contrat, garantie par le gouvernement. Par exemple, si une entreprise souhaite accueillir dix apprentis, et qu’elle est prête à signer dix contrats d’apprentissage, ceux-ci seront bel et bien financés.
Selon quelles modalités ?
S.B: C’est l’étape que nous nous apprêtons à aborder à présent, la discussion dans le cadre du projet de loi. Ces modalités seront vraisemblablement établies par le biais de l’agence France Compétences, qui sera créée et qui établira le cadre. Pour un contrat d’apprenti boulanger par exemple, un CFA recevra un certain montant de subvention. Du coup lorsqu’une entreprise voudra accueillir un apprenti, le contrat sera financé par son organisme collecteur, qui va payer la formation, et l’entreprise, comme elle l’a toujours fait, n’aura plus qu’à verser la rémunération de l’apprenti. L’objectif est vraiment de faciliter ce dispositif, d’unifier et de simplifier les aides aussi, car elles sont nombreuses et différentes. Elles seront davantage dirigées vers les TPE/PME. Il existera également un guichet unique géré par les Régions.
Justement, comment travaillez-vous avec les Régions qui voient disparaître leur autorité de décision en matière d’ouverture et de fermeture de CFA ?
S.B : Ce point a fait l’objet d’intenses débats, compte-tenu du fait qu’il s’agit d’un acteur essentiel dans le domaine de l’apprentissage, et je comprends les réticences. Un contrat d’apprentissage, c’est un contrat de travail ! Si les entreprises n’ont pas de besoins et que l’offre ne correspond pas à des besoins qu’elles ont, elles ne vont pas recruter d’apprentis. De fait, le pilotage central de tout cela se fera par les branches professionnelles. Mais ça n’empêche pas que nous allons avoir des conventions d’objectifs et de moyens, établies avec les Régions, l’Etat, les entreprises, les branches professionnelles, bien évidemment multipartites… C’est évident qu’il faut que tous les acteurs se parlent. On sera obligé de croiser les besoins des entreprises, les besoins en termes de formation que vont dispenser l’Education nationale ou les CFA et ensuite les besoins du territoire. Ce qui disparaît, en effet, c’est l’autorisation que la Région donnait ou non pour ouvrir ou fermer un CFA qui fait débat incontestablement… C’est en tout cas ce que le gouvernement a décidé à l’issue de la concertation.
Quel sera le rôle des Régions alors ?
S.B : Il faut que ce soit très simple, très pédagogique pour les utilisateurs. Nous avons mené de nombreuses enquêtes dans le cadre de la concertation nationale et très franchement, bien souvent les gens ne savent même pas que les Régions traitent et ont une grande partie des actions. Les Régions vont récupérer l’orientation, qui est une attribution majeure. Il faut bien travailler aussi sur cet axe-là.
L’apprentissage va devenir une voie d’excellence ?
S.B: Souvent quand le jeune s’est orienté dans cette voie-là, c’est par défaut et il faut réformer grandement cela aussi. Nous sommes tous d’accord sur ce point. L’apprentissage représente 70% d’insertion professionnelle, c’est le plus fort taux et toutes les statistiques le montrent depuis plusieurs années. Ce n’est pas une surprise qu’Emmanuel Macron mette en oeuvre cette réforme qui faisait partie de son programme présidentiel, car depuis des années l’apprentissage stagne : on compte 400 000 apprentis. Ce chiffre ne décolle pas, quelles que soit les réformes de ces dernières années. Alors, on est parti du principe que si on faisait pivoter ça sur les professions, les entreprises, les secteurs professionnels… on devrait avoir un essor, des résultats. On va tous se retrousser les manches pour cela.
C’est une solution concrète pour enrayer le chômage chez les jeunes ?
S.B : Ça ne peut qu’être une bonne chose pour le chômage des jeunes. Il y a plus d’un million de jeunes dans la nature, qui ne sont ni au travail, ni en diplôme, ni en formation nulle part, soit parce qu’ils ont décroché scolairement, soit parce qu’ils ont commencé une formation et qu’ils se sont arrêtés parce qu’ils étaient mal orientés pour différentes raisons. On ne peut pas continuer comme ça.
Après la phase de concertation qui s’est achevée le 9 février à Matignon avec les arbitrages du gouvernement, quelles sont les étapes à venir ?
S.B: Là, nous avons établi les grands principes. La nouvelle étape, c’est celle du projet de loi avec des auditions à l’Assemblée nationale, et cela ne va pas se réaliser en six mois. Le calendrier n’est pas encore mis en place, mais l’idée est d’avoir avancé sur une bonne partie de la réforme pour la rentrée 2019 pour ensuite échelonner dans le temps. D’autant que le programme comprend également, en partie, la refonte des diplômes. Un travail de rénovation est à faire sur un certain nombre de diplômes, en les axant davantage sur les besoins des branches professionnelles, en travaillant aussi avec l’Education nationale. Il faut comprendre que la réforme de l’apprentissage est un atout pour rénover notre modèle social.
Christophe Madrolle, secrétaire général de l’UDE : « C’est une réforme fondamentale que nous devons porter collectivement ». Pour Christophe Madrolle, secrétaire général de l’UDE « il est important de réussir cette réforme, d’une part parce qu’elle touche la jeunesse. Celle qui a voté massivement pour Emmanuel Macron et qui ne peut pas être déçue. D’autre part, nous savons que nous devons faire des efforts pour les entreprises afin de leur simplifier les choses. Nous rencontrons tous les jours des chefs d’entreprises, tous les jours des syndicats par branches, et nous voyons qu’il y a des domaines où il y a des difficultés à créer des postes d’apprentis, avec un respect de l’humain derrière le poste et l’évaluation de ce travail d’apprenti au cours de sa vie doit être en permanence réfléchi et retravaillé. C’est donc une réforme fondamentale que nous devons porter collectivement, même si nous avons des divergences. » Malgré ce soutien clair, il y a deux points sur lesquels Christophe Madrolle n’est pas en accord. Le premier : se passer des syndicats est pour lui une erreur : « On ne peut pas faire dans ce pays sans les syndicats. Il faut qu’on arrête de penser que l’on peut se passer des corps intermédiaires. C’est un point que je ne comprends pas dans la réforme. Contrairement à l’Allemagne où il existe une culture de la discussion et des coalitions. Ne pas discuter, c’est se mettre une balle dans le pied puisqu’il y aura immédiatement des blocages ». Pour lui, il faut accompagner la réforme du gouvernement en privilégiant la concertation. Deuxième crainte : le rôle des Régions. Là encore, il estime qu’on ne peut pas faire sans : « Il faut faire confiance aux Régions. Elles sont les acteurs économiques sur les territoires, il faut s’appuyer sur le diagnostic régional en lien avec l’Etat pour créer des formations adéquates ».
La réunion organisée au Château Ricard s’est déroulée en présence des député(es) LaRem, Claire Pitollat et Cathy Racon-Bouzon, le député MoDem, François-Michel-Lambert ainsi que Miloud Boualem, président du MoDem 13. Photo: N.K.
> La réunion organisée au château Ricard s’est déroulée en présence de Corinne Versini, référente départementale LaRem, les députées LaRem Claire Pitollat et Cathy Racon-Bouzon, le député UDE, François-Michel-Lambert ainsi que Miloud Boualem, président du Modem 13.