Lundi 11 février, un débat organisé par le cercle Condorcet à l’IEP d’Aix a rempli l’amphithéâtre Bruno Etienne. Le public s’était déplacé en nombre pour écouter Anne Fournier (professeur agrégé d’histoire, ancienne conseillère à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et Raphaël Liogier (sociologue spécialiste du fait religieux, professeur à l’IEP d’Aix).
Qui sont les radicalisés ?
Cette question fait débat entre les deux intervenants. Pour Anne Fournier, les personnes qui se radicalisent sont des musulmans issus du salafisme et du wahabisme, deux mouvances considérées comme extrêmes de l’islam : « dans le salafisme, il y a des gens prêts à en découdre» ajoute-t-elle. Pour la chercheuse, ce courant de l’islam qui veut mettre Dieu au centre de la société prend ses sources dans la colonisation. « Le salafisme veut remettre une religion au centre parce que celle-ci a été conquise. Le salafisme est anti-occidental ». Daech et les individus qui se radicalisent tirent-ils donc les origines de leur croisade contre l’Occident de la période coloniale ?
Selon Raphaël Liogier, les radicalisés sont tout autre. Ce sociologue estime que parmi les radicalisés, « aucun individu n’est passé par une pratique de l’arabe classique, n’a intensifié sa pratique religieuse» affirmant même que « ces terroristes ne sont pas intéressés par l’islam jusqu’au moment où celui-ci les embrigade. » A partir de ces constats, que proposent les deux chercheurs pour lutter contre la radicalisation ?
«Cette politique sécuritaire est en fait insécuritaire»
Pour Raphaël Liogier, le gouvernement se place dans la posture d’un médecin pour lutter contre le terrorisme. Seulement il n’établit « pas de diagnostic clair » car il est « trop impliqué émotionnellement. » Pour Raphaël Liogier, il faut distinguer les musulmans pratiquants et les terroristes qui utilisent l’islam comme justification à leurs actes. De ce fait, il pense que « la politique actuelle du gouvernement ajoute de l’huile sur le feu, accentue la mise en scène de guerre et fait le marketing de Daech.» concluant que « cette politique sécuritaire est en fait insécuritaire.»
«Je ne crois pas en la déradicalisation de ceux qui sont passés à l’acte»
Pour Anne Fournier, la réponse au problème réside surtout dans la prévention « qui aurait dû commencer en 2001 ». Car, une fois la radicalisation, il serait particulièrement difficile d’effectuer le chemin inverse. « Je ne crois pas en la déradicalisation de ceux qui sont passés à l’acte» affirme-t-elle, se justifiant ensuite « car lorsqu’on est sous emprise, il est très difficile d’en sortir ». Ainsi, cette historienne qui aide le préfet à l’égalité des chances en formant des personnels en interaction avec la jeunesse préconise la prévention, mais se montre prudente sur la durée du processus : « Il va nous falloir dix ans pour que les futurs adolescents ne plongent pas sous l’emprise des religions et dans les théories du complot ».
En guise de conclusion, Raphaël Logier observe : « Chez les êtres humains, il y a le désir d’être et de paraître qui consiste à construire du sens entre l’absurdité de la naissance et de la mort. Et le religieux fait partie de ce désir d’être, de ce besoin de se raconter. »