Les préjugés sur Marseille ont la vie dure. Pour ceux qui n’y habitent pas, la région est peuplée de buveurs de pastis qui parlent avec les mains et s’emportent pour un rien. Même si dans toute caricature il y a une forme de vérité, les clichés sur les Marseillais sont parfois erronés. La preuve ici.
> Et vous, quels sont les clichés qui vous énervent le plus ? Laissez nous votre avis dans les commentaires.
1) Ils parlent tous avé l’accent
« Putaing », « peuchère » et autres farandoles peuplent l’imaginaire de ceux qui n’habitent pas à Marseille. Selon eux, les Marseillais déforment les mots avec leur accent à couper au couteau. Et il faut reconnaître que… c’est quand même bien vrai ! La preuve dans l’histoire, c’est Fernandel. L’acteur et chansonnier est né boulevard Chave, à Marseille, et il incarne l’esprit de la ville comme personne. Son accent légendaire inspire encore un autre Marseillais, né à Mazargues, qui a beaucoup fait pour la réputation de cette ville : Jean-Claude Gaudin. Le maire de Marseille utilise de nombreuses expressions cultes et ne manque jamais une occasion, lorsqu’il monte à Paris, de parler avec gourmandise de sa ville natale.
Parmi ceux qui ont rendu l’accent marseillais célèbre, il y a également les rappeurs, comme Bouga et son célèbre Belsunce breakdown ou encore la Fonky Family. Mais il faut savoir de quoi on parle ! Car il y a finalement plusieurs « accents » marseillais qui se distinguent à travers l’histoire.
« Le tout est très largement influencé par le provençal et, de façon plus nuancée, par les différentes langues apportées au fil des ans par les migrants et leurs enfants », explique Médéric Gasquet-Cyrus, maître de conférences en sociolinguistique à l’université d’Aix-Marseille, interrogé par Sciences et Avenir.
L’accent marseillais s’est forgé à la charnière des 19e et 20e siècle, c’est-à-dire avant les vagues migratoires. Ce que l’on appelait alors le « provençal » était un concurrent du français, considéré à l’époque comme une langue étrangère… Mais aujourd’hui, qui en est vraiment l’héritier ? Finalement, le « parler » de Marseille est surtout, pour les marseillais, un vecteur fort d’identité régionale. Pourtant, les producteurs de la série Plus belle la vie, tournée à la Belle de Mai, n’ont pas jugé bon de faire parler leurs acteurs avec l’accent. Surement pour ne pas prêter le flanc aux préjugés les plus sommaires…[pullquote]Ce n’est pas à Marseille qu’on achète le plus de pastis… mais à Béthune, dans le Nord ! [/pullquote]
2) Ils boivent tous du pastis
Le petit jaune trône en maître dans la forteresse marseillaise. Et chacun goûte cette boisson anisée dont l’odeur est reconnaissable entre mille. Pourtant, ce n’est pas à Marseille que l’on achète le plus de pastis mais… à Béthune, dans le Nord, si l’on en croit une analyse du magazine LSA ! Si le pastis est largement acheté là-haut, dans le Nord, ça n’empêche pas de le boire ici, dans le Sud. Car comme chacun le sait, il est servi au comptoir ou en terrasse plus souvent que chez soi.
3) Ils font tous la sieste et, du coup, ne travaillent pas beaucoup
Si les Marseillais sont réputés pour faire la sieste, admettons qu’ils ne sont pas les seuls. En Chine, cette pratique reposante et stimulante à la fois (et oui, on fait la sieste pour être ensuite plus efficace au travail), est inscrite dans la Constitution depuis les années 1950… pour des raisons de productivité. En effet, la sieste est bénéfique pour la santé. Si bien que certains chinois viennent même s’installer dans les canapés des magasins Ikea pour piquer un petit somme, comme l’a montré un journaliste du South China Morning Post, photos à l’appui. Alors, vous voyez que les Marseillais ne sont pas les pires.
4) Ce sont tous des voyous
Une ville plaque tournante de la drogue et des balles qui valsent dans tous les sens. C’est French connection (1971), le film qui va consacrer la cité phocéenne comme carrefour de tous les voyous. La presse, elle, tourne en boucle sur cette ville “gangrénée” par la violence. Et il faut bien admettre que les règlements de compte ne manquent pas à Marseille. Mais la ville se résume-t-elle pour autant à cela ? En 1999, le correspondant de Libération dans la cité phocéenne, Michel Henry, écrit un article titré « Marseille : jeunes voyous contre vieux bandits ». 14 ans plus tard, Frédéric Ploquin raconte dans Marianne, la nouvelle guerre que se livrent les délinquants : « Les nouveaux voyous vont-ils faire la peau aux anciens ? ». Toujours une affaire de voyous, donc. Ce qui fait dire à l’Express qu’à Marseille, « les truands sont éternels ». Sous entendu, ils existeront toujours…
Mais alors, y a-t-il plus de voyous à Marseille qu’ailleurs ? Depuis le début de l’année 2014, on compte une quinzaine de règlements de compte. Dans les années 1980, ce chiffre atteignait les 40 par an. Et surtout, il y a des voyous partout ! Les médias nationaux, qui ne manquent jamais une occasion de se focaliser sur ce phénomène, n’auraient-il pas une part de responsabilité dans cette vision de la ville ?
5) Ils exagèrent tout le temps
C’est tellement vrai qu’ils racontent même qu’un jour, une sardine a bouché l’entrée du Vieux-Port. Enfin, l’expression est devenue si populaire en France qu’on en vient à croire que ce sont les Marseillais eux mêmes qui ont propagé la rumeur… Mais comment quelqu’un aurait pu proférer un tel mensonge ? On est à Marseille, d’accord, mais quand même : une toute petite sardine ! C’est qu’en réalité, la sardine était plutôt… la Sartine, une frégate de commerce construite en 1775, ensuite reconvertie en bateau de guerre, qui tenait son nom du ministre de la Marine sous Louis XVI. Jusqu’ici tout va bien. En 1779, le navire est affrété au retour de prisonniers de guerre. À son bord donc, des français libérés par les anglais, qui se dirigent vers la cité phocéenne. [pullquote]Les marseillais exagèrent tellement qu’ils racontent même qu’une sardine a bouché le Vieux-Port. Ce qui n’est pas totalement faux…[/pullquote] Ils naviguent sous pavillon blanc et sont désarmés. Mais au moment d’atteindre Marseille, le capitaine commet l’irréparable, et hisse haut et fort le pavillon français. La foudre des anglais s’abat sur la frégate, qui coule à-pic à l’entrée du Vieux-Port. Et l’obstrue pendant plusieurs jours. Une Sartine déformée se transforme vite en sardine : vous voyez donc bien que l’histoire est vraie !
6) Marseille est une ville sale et qui sent mauvais
La faute au « fini-parti », ce système de ramassage des ordures plutôt synonyme de partir sans avoir fini. En moyenne, les éboueurs de la ville travaillent 3 h 30 par jour, alors qu’une tournée est censée durer deux fois plus. Voilà peut-être l’explication de la saleté légendaire des rues de Marseille, qui attirent logiquement les rats déambulant alors dans le centre-ville… Pourtant, les Marseillais paient la taxe sur les ordures ménagères la plus chère de France : 149 euros ! Presque deux fois plus qu’à Lyon, qui n’est pas connue pour sa saleté…
7) Ils n’aiment pas Paris
Il y a vingt ans, quand l’OM dominait l’Europe, personne ne songeait à se ballader sur le Vieux-Port avec un maillot du PSG. Certes, le classico anime encore les foules, et entre les deux clubs, c’est une histoire de coeur. Mais on dit que la pluie d’étoiles qui filent sur le Parc des Princes commence à essaimer jusqu’à la Canebière. Certains Marseillais, et surtout les jeunes, se prendraient au jeu d’Ibrahimovic et de ses gestes spectaculaires. Peut être même qu’on pourra, bientôt, supporter Paris tout en vivant dans une ville qui bat au rythme de l’OM. A voir… [pullquote]Lorsqu’on regarde vers la mer, depuis Marseille, on tourne le dos à la capitale…[/pullquote]
Il faut dire que la rivalité entre les deux clubs n’a pas toujours existé. Leur première confrontation, pendant la saison 1971/1972, s’est déroulée dans un quasi anonymat. Ce n’est que dans les années 1990 que la fièvre va s’emparer des deux villes. À cause d’un homme : Bernard Tapie. Quand il reprend le club en 1986, Bordeaux, l’historique rivale de Marseille, n’est plus en mesure de concurrencer l’OM. C’est alors que le gourou des années fric va sentir le coup : monter une confrontation entre Paris et Marseille, pour faire gonfler la pression. Canal + vient de racheter le club de la capitale. Les médias se chargeront du reste. Jusqu’à aujourd’hui.
Et puis, comme chacun le sait, Marseille est tournée vers la Méditerranée. Or lorsqu’on regarde vers la mer, depuis Marseille, on tourne le dos à Paris.
8) Toutes les filles marseillaises sont des cagoles
Une cagole c’est, selon le Larousse, « une jeune femme extravertie, un peu écervelée et vulgaire », originaire du sud-est de la France. Pour l’Internaute, la définition est un peu édulcorée : « une jeune femme dont l’attitude et la tenue sont vulgaires et provocantes ». Il y a plusieurs types de cagoles, expliquent les jeunes femmes de la région : des brunes, des blondes, des grosses, des minces… Mais une chose les réunit : elles sont extra-va-gantes ! Ou sophistiquées. Qu’importe : n’y aurait-il vraiment que ce type de filles à Marseille ?
9) Ils jouent tous à la pétanque ou au football
Ce n’est pas Daniel Lauclair qui nous démentira, lui qui commente chaque année Le Mondial de pétanque, organisé par le journal La Marseillaise, dont la finale se déroule jusqu’à la nuit tombée sur le Vieux-Port. À Marseille, la pétanque est un sport national. Mais plus encore, le football, lui, passionne les gamins dès leur plus jeune âge. À Marseille, les minots qui dribblent sur les terrains de terre et de poussière sont légion. Pourtant, à y regarder de plus près, ce n’est pas à Marseille que l’on trouve le plus grand nombre de joueurs licenciés… mais en Bretagne, comme le rappelle Slate.fr. Le pourcentage oscille à Marseille entre 2 et 3 % de la population. La faute, peut-être, à des infrastructures défaillantes…
Vous ne le savez peut être pas, mais ce ne sont pas les Marseillais qui ont inventé le jeu de boules, mais les Lyonnais en 1850. Cependant, au 19e siècle, la section provençale de la Fédération française de boules codifie le jeu dit “à la longue”, plus simple, et du coup plus prisé. Le “jeu provençal”, comme on l’appelle alors, donnera ensuite naissance en 1910 à la pétanque, à La Ciotat.
> A lire aussi : il n’y a pas que la pétanque, le foot (et l’OM) dans la métropole d’Aix-Marseille-Provence en matière de sport…
10) Ce sont eux qui ont inventé La Marseillaise
Ce chant patriotique qui s’est peu à peu imposé comme l’hymne national de la France a été composé par Rouget de Lisle à… Strasbourg, dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, et à la suite de la déclaration de guerre du roi à l’empereur d’Autriche. Son nom : Chant de guerre pour l’armée du Rhin. Mieux, il a été entonné pour la première fois dans cette même ville, place Broglie, devant l’Hôtel de ville. Le chant n’a été rebaptisé La Marseillaise qu’en 1795, après qu’il ait été repris par les soldats républicains de Marseille qui participèrent à l’insurrection des Tuileries d’août 1792. Enfin, Rouget de Lisle n’était même pas de Marseille, mais originaire de Lons-le-Saunier.
> Bonus : mais bon sang, pourquoi cette ville concentre tous les clichés ?
[pullquote]«Marseille est un résumé de France : on y croise riches et pauvres, Comoriens et pieds-noirs, restes du Parti communiste et PS en morceaux, bouts d’histoire coloniale et fragments de modernité, réseaux du Front national ou UMP en crise.» (Michel Samson)[/pullquote]Michel Samson, auteur de Gouverner Marseille (La Découverte, 2006) avec Michel Peraldi, tient peut-être la réponse. Il s’interrogeait lui aussi sur le fait que Marseille cristallise tous les préjugés, sans réussir à les disperser totalement : « Après tout, ce n’est plus qu’un petit port européen vivant de la rente pétrolière », relativisait-il. Il donnait ensuite sa réponse dans Libération, il y a déjà quelques mois : « Il y a au moins une bonne raison à cet inamovible statut. C’est que, étant une ville de quartiers mais sans banlieues, Marseille est une scène globale, un résumé de France : on y croise riches et pauvres, Comoriens et pieds-noirs, restes du Parti communiste et PS en morceaux, bouts d’histoire coloniale et fragments de modernité, réseaux du Front national ou UMP en crise. » Et de conclure : « Chacun peut donc raconter ce qu’il pense à partir de Marseille. ».
De quoi donner raison à André Suarès, qui écrivait dans son texte magnifique Marsiho : « De toutes les villes illustres, Marseille est la plus calomniée. Et Marseille calomnie Marseille. Chaque fois qu’elle tâche à ne plus être elle-même, elle se gâte au miroir de sa lie. »