Quand le Français ne comprend pas, il dit en soupirant :”c’est du chinois”. Quand ça le lasse , il réplique :”bla bla bla”. Déjà les Grecs de l’Antiquité traitaient de “barbare” celui qui ne parlait pas leur langue, ressentie comme unique et universelle. Et quand le Chinois ne saisit pas, il évoque “l’intestin du poulet”, ou l’écriture du ciel ! En hébreu, Babel signifie confusion. D’où viendra Babylone, puis le babil des bambins.
Comment s’opère le passage d’une langue à l’autre, comment se transmet le savoir, d’Athènes à Rome, de Rome au monde arabe ? C’est ce que tente d’élucider la nouvelle exposition du Mucem, intitulée “Traduire”. Parfois , c’est impossible. “Saudade”, familier aux Portugais et Brésiliens, est l’un de ces vocables affiché sur le mur des mots qui ne trouvent pas vraiment d’équivalent dans les autres formes d’expression.
D’où vient Ève ?
Entre 1980 et 2000 toutefois, le nombre de livres traduits dans le monde a augmenté de 50%. Et l’exposition montre comment les traductions de la bible ont contribué à fixer certains alphabets et nombre de langues d’aujourd’hui : l’allemand, avec Luther, le tchèque et l’arménien ou encore le cyrillique. A propos de bible, une équivoque ici observée : Ève est-elle née “de la côte d’Adam”, en femme soumise au premier homme, ou surgit-elle “à côté” de lui ? La controverse ne se réduit pas à une simple question d’accent !
Aux naïfs se figurant que la langue des signes -indispensable aux sourds et muets – serait universelle, l’actrice Emmanuelle Laborit fournit ici un souriant, mais vigoureux démenti filmé. Les verbes “aimer” ou “penser”, tout comme le mot “bleu” ne se représentent pas du tout par les mêmes gestes, selon que l’on s’adresse à un italien, un anglais ou un japonais.
Spirale révolutionnaire
Quant à la tour Tatline, ce monument tournant et haut de 400 mètres, dédié à la troisième Internationale, il ne dépassera jamais l’étape de la maquette. Ce chef d’œuvre du constructivisme russe aurait dû abriter, à Petersbourg, le quartier général du mouvement communiste planétaire. Telle une spirale en rotation perpétuelle, elle aurait libéré l’humanité de la malédiction babelienne. Le centre Pompidou a prêté au Mucem l’ébauche de ce projet inabouti.
Ouverte par la formule d’Umberto Eco “la langue de l’Europe, c’est la traduction”, la manifestation s’achève par cette sentence paradoxale, mais savoureuse, de Jorge Luis Borges : “L’original est infidèle à la traduction”. Entre temps, le visiteur aura pu circuler dans l’espace et le temps avec Aristote ou Tintin, Rosette et Duchamp, ou les mille et une nuits. Si friande de mots et d’échanges, Marseille ne pouvait, en cette période de fêtes, espérer plus beau cadeau que cette stimulante exposition.
Repères :
> “Après Babel, Traduire” du 14 décembre au 20 mars 2017.
> De 11 à 18h, tous les jours sauf mardi ; 5 à 9,50 l’entrée.
> Site Internet : mucem.org