Attaché à la vitalité du débat local, Gomet’ Media donne régulièrement la parole à des contributeurs extérieurs pour des points de vue, chroniques et autres tribunes (*). Aujourd’hui, Paul Poulain (spécialiste des risques et des impacts industriels, auteur de l’ouvrage « Tout peut exploser »)
et Sébastien Barles (adjoint la transition écologique du maire de Marseille, conseiller métropolitain, responsable du collectif écolo-citoyen Vaï Marseille) soulèvent la question des PFAS et interrogent sur la capacité de l’incinérateur de Fos à assurer leur destruction complète avant le rejet dans l’atmosphère. Paul Poulain et Sébastien Barles tiendront une conférence de presse sur le sujet lundi 8 décembre à Marseille.
Le recours massif à l’incinération pour traiter nos déchets sur l’aire métropolitaine, conjugué à l’absence de politique de réduction à la source (nous produisons deux fois plus de déchets ménagers que la métropole lyonnaise par habitant) engendrent des risques sanitaires et environnementaux souvent minorés, invisibilisés ou ignorés.
En Normandie, plusieurs collectifs se mobilisent déjà contre la manière dont l’État et les industriels communiquent sur l’incinération de déchets contenant des PFAS, ces “polluants éternels” qui s’accumulent dans les organismes et les milieux.
Les documents techniques et les synthèses d’expertise reconnaissent que la destruction quasi complète des PFAS n’est réellement garantie qu’à des températures supérieures à 1 000–1 100 °C, maintenues pendant plusieurs secondes, avec des conditions de combustion très rigoureusement contrôlées.
Or, dans la pratique, les fours d’incinération de déchets ménagers ou de combustibles solides de récupération (CSR) fonctionnent le plus souvent autour de 850 °C, avec des procédés et des systèmes de filtration qui n’ont ni été conçus ni sont pilotés pour garantir une destruction totale de ces composés.

Ce décalage entre le discours rassurant et les paramètres réels des installations a été documenté en Seine-Maritime et dans l’Eure, où des incinérateurs de CSR sont présentés comme capables de “faire disparaître” les PFAS alors même que la réglementation ne leur impose ni les 1 100 °C, ni un suivi en continu des PFAS dans les fumées.
Des travaux récents, en Europe et au Royaume‑Uni, convergent pour dire qu’en dessous de ces seuils de température et de temps de séjour, la destruction n’est que partielle et peut générer des sous‑produits fluorés plus mobiles, susceptibles de se retrouver dans l’air, les cendres, les sols et les nappes.
On mesure très peu ce qui est réellement émis et stocké
On voit se dessiner un schéma désormais bien connu : on affirme qu’on “détruit” ces substances, alors qu’en réalité on les déplace, on les transforme, et on mesure très peu ce qui est réellement émis et stocké.
Nous exigeons la transparence de la part d’EveRé et de la Métropole concernant l’incinérateur de Fos-sur-Mer. L’installation traite chaque année plus de 450 000 tonnes d’ordures ménagères pour le territoire Marseille‑Provence, avec une part très majoritaire consacrée à l’incinération.
Elle a été mise en service en 2010 au cœur d’un paysage déjà saturé d’installations industrielles lourdes, dans une zone où la question de la santé environnementale des populations riveraines est loin d’être théorique et a déjà donné lieu à des contentieux et des mobilisations.
Les procès, les contestations municipales et les critiques récurrentes sur le faible taux de recyclage réel montrent bien que le choix de l’incinération n’est ni neutre, ni secondaire dans la politique de gestion des déchets.
À Marseille comme en Normandie, on retrouve les mêmes ingrédients : un discours de “valorisation énergétique” et de “modernité” de l’outil industriel, des promesses de contrôles réglementaires jugés suffisants, mais très peu de transparence sur les paramètres réellement critiques quand on parle de PFAS, de dioxines, de métaux lourds ou de particules ultrafines.

Les retours d’expérience internationaux sur l’incinération des PFAS indiquent que, dans les meilleures conditions (au‑delà de 1 000–1 100 °C, avec un temps de séjour de 2 à 3 secondes, une bonne turbulence et un traitement des gaz adapté), on peut atteindre des taux de destruction supérieurs à 99,99%, mais que la moindre dérive de température ou de temps de résidence entraîne la formation de sous‑produits persistants et mal suivis.
Quel est le régime réel de fonctionnement de l’incinérateur de Fos‑sur‑Mer ?
La question centrale pour notre territoire devient alors très concrète : quel est le régime réel de fonctionnement de l’incinérateur de Fos‑sur‑Mer, en termes de températures maximales, de temps de séjour des fumées, de nature des déchets acceptés, et de suivi des composés fluorés et des autres polluants organiques persistants dans l’air, les cendres et les lixiviats des installations qui reçoivent les résidus ?
Il ne suffit plus de dire que “la réglementation est respectée”. La leçon de l’amiante, du sang contaminé ou de certains incinérateurs très contestés, c’est qu’un système peut être parfaitement légal tout en étant toxique, parce que la réglementation arrive en retard sur les connaissances scientifiques ou parce que certains paramètres cruciaux ne sont tout simplement pas mesurés.
Les PFAS sont en train de devenir le symbole de ce retard : des substances reconnues comme très persistantes, bioaccumulables, associées à des risques pour la santé, mais pour lesquelles les outils de suivi dans les émissions atmosphériques et dans l’environnement restent lacunaires, y compris autour d’installations que l’on présente comme “vertueuses”.
Le fait que l’État mette seulement maintenant en place des campagnes de surveillance PFAS dans l’environnement et, progressivement, à la cheminée des incinérateurs montre bien que les promesses de “destruction” ont longtemps précédé l’organisation de la preuve.
Enfin, il convient de rappeler, nous qui avons mené la bataille contre l’incinérateur de Fos aux côtés des riverains, la hiérarchie des modes de traitement des déchets que nous défendons politiquement : réduction à la source, réemploi, compostage et recyclage, puis, en dernier recours seulement, incinération et enfouissement, avec un plan explicite de réduction puis de sortie progressive de l’incinération des déchets ménagers et assimilés à l’échelle de la métropole.
Ce sujet devrait être un sujet central de le future mandature métropolitaine.
Paul Poulain (spécialiste des risques et des impacts industriels, auteur de l’ouvrage « Tout peut exploser »)
Sébastien Barles (adjoint la transition écologique du maire de Marseille conseiller métropolitain, responsable du collectif écolo-citoyen Vaï Marseille)
(*) Les opinions exprimées dans les tribune diffusées sur Gomet’ n’engagent pas la rédaction.












