L’affluence des candidatures à la mairie de Marseille étonne, tant la tâche pour relever cette ville s’annonce ardue. Certes, la ville et son devenir ne peuvent laisser indifférents. Qui n’a pas été conquis par la baie de Marseille, ses îles et ses calanques, impressionné par ses 2600 ans d’histoire, séduit par son caractère populaire et authentique ? Aux réalisations du passé, sont venus s’ajouter le Mucem, la rénovation des docks et des hautes tours de bureaux construites par des architectes de renom. Les croisiéristes se pressent désormais sur les quais du Vieux-Port, dans les musées et les centres commerciaux.
Et pourtant, au-delà de cette façade attrayante, les failles sont visibles. L’anarchie des embouteillages est la conséquence du manque d’infrastructures et de services de transport. Le mistral pousse les déchets mal triés et mal ramassés. Mais plus grave, on peinerait à citer un secteur où la ville est en avance, malgré un endettement record. Mais l’essentiel n’est pas là. Avant même de miser sur ses atouts, il faut poser un diagnostic sur les handicaps considérables dont souffre Marseille pour avoir une chance de les résoudre.
Alors qu’il est désormais incontournable d’opposer les métropoles dynamiques à une France de villes moyennes en déclin, la création d’emplois place Marseille à l’avant-dernier rang des villes de plus de 200 000 habitants. Quand Lyon et Toulouse gagnaient 20 000 emplois supplémentaires entre 2011 et 2016 selon les chiffres du recensement, Marseille n’en gagnait même pas 1000.
Marseille reste une grande ville pauvre, à croissance lente.
Parmi ses consœurs villes-centre métropolitaines, la réalité est que Marseille sous-performe économiquement. Il n’est que de voir la rue de la République, œuvre du Second Empire splendidement restaurée, et dont les commerces s’étiolent pour fermer les uns après les autres, deux ans après avoir ouvert. En dépit du fait que les sciences dures de l’université d’Aix-Marseille soient essentiellement localisées à Marseille, c’est Aix qui tire la croissance en matière de start-up. Marseille reste une grande ville pauvre, à croissance lente, terriblement inégalitaire et ségrégée où se forme des ghettos de pauvreté et de trafics.
Un seul nom résume cette béance : les quartiers Nord. Dans les 1e, 2e, 3e, 14e et 15e arrondissements le taux de pauvreté dépasse 40% en 2015, pour une moyenne nationale de 14%, avec un record national pour le troisième arrondissement, dont le fameux quartier de la Belle de Mai à 54%, en hausse de trois points par rapport à 2012. La malédiction de ces quartiers au Nord de la Canebière vient de loin.
Une étude récente sur des données britanniques centenaires révèle l’importance historique des facteurs environnementaux dans la ségrégation urbaine. Lors de l’industrialisation, le prolétariat s’est installé à proximité des usines malgré les fumées de cheminées sur des espaces rapidement délaissés par la population aisée. Une fois la population pauvre fixée dans ces parties par défaut, une très légère préférence pour l’entre-soi, comme l’a révélé le sociologue Thomas Schelling, Nobel d’économie 2005, suffit à en faire partir les couches moyennes. Dès lors, les derniers immigrants se fixent dans ces quartiers sans partage.
Les quartiers nord de Marseille, coincés entre le port, les entrepôts, les usines, l’autoroute et la ligne de chemin de fer ont suivi la règle et ont été choisis comme réceptacle des vagues d’immigration.
Le port de commerce a fait place aux paquebots de croisiéristes, la fumée des usines a été remplacée par le nuage de pollution aux hydrocarbures, à l’ozone et aux particules fines des voitures et des bateaux qui plane désormais sur toute la ville quand le mistral ne souffle pas. Même si toute la ville est impactée, les quartiers Nord sont en première ligne. L’héritage du handicap environnemental se révèle tenace !
Trop d’inégalité et de pauvreté fixe les trafics et freine la croissance.
Aussi faut-il dire avec force que tant que la ville ne fera pas le choix de résoudre le problème posé par les quartiers nord, la croissance de la ville restera anémique par rapport à son potentiel. Trop d’inégalité et de pauvreté fixe les trafics et freine la croissance. Ce constat universel fonctionne aussi pour Marseille.
Or la politique de la municipalité actuelle est d’ignorer les quartiers Nord. Ne devant pas son élection à ces quartiers, le Maire s’en est désintéressé comme explicité dans une tribune précédente. Et d’ailleurs dans ces quartiers, le mandat qui s’achève verra encore le taux de pauvreté progresser. Sous-dotés en infrastructures et en transports, ghettos communautaires, scolaires et culturels, abandonnés des politiques publiques, la participation électorale aux dernières législatives n’y aura pas dépassé 17 % des inscrits. La pauvreté économique est entretenue par la pauvreté politique. A Marseille, la fabrique de Français qui tournait à plein régime par l’apport des générations successives d’immigrants s’est enrayée. Or, Marseille reste une ville jeune et cette jeunesse, si elle était bien formée, représenterait le meilleur espoir d’énergie et de renouvellement pour l’avenir en s’ouvrant sur la Méditerranée et au monde.
Casser le ghetto des quartiers nord en retissant une trame urbaine
L’économie de toute la ville en dépend. Dans cette aridité, la venue aux responsabilités du Font national serait l’étincelle de nature à embraser nos quartiers nord. A une politique passive de relégation aux marges de la République, se substituerait une politique active d’apartheid.
Nommer les problèmes c’est commencer à les résoudre. La prochaine élection municipale devra poser cet enjeu de casser le ghetto des quartiers Nord en retissant une trame urbaine. L’économie de toute la ville en dépend. Un retour des investisseurs permettra d’attirer des activités et des emplois, réduire les résurgences identitaires et redonner des perspectives à la jeunesse. Le social et l’économique vont de concert. Avant de demander une aide à l’Etat, les Marseillaises et Marseillais doivent se saisir de l’enjeu et relever le défi démocratique. C’est la clé de la renaissance de Marseille.