« Aganter », « bouléguer », « cagnard », « de longue », « esquiché », « moulon »… Vous n’y comprenez rien à cette Provence qui blague à tour de bras ? Alors découvrez sans tarder toutes les subtilités du provençal marseillais. Les connaisseurs sont invités à partager avec GoMet’ leurs expressions favorites !
Précis à l’usage des individus vêtus d’un bermuda, d’un T-shirt à manches courtes, de chaussures en toile, d’un chapeau et de lunettes opaques, cela quel que soit et le temps et la saison (c’est ainsi que le natif de Provence reconnaît les touristes estrangers) :
Aganter. Dans le coin, il n’est pas rare d’aganter un ballon, davantage avec les pieds. Sens figuré : les gifles sont ici agantées, non subies. Vous les saisissez. Vous les attrapez.
À l’agachon. Vous n’êtes plus à l’affût mais à l’agachon du moindre rayon de soleil. Entre midi et quatre, méfiez-vous tout de même du cagnard estival.
Blaguer. Sachez que tous les autochtones ne sont pas forcément drôles. Mais ils sont susceptibles de parler sans même reprendre leur respiration.
Bouléguer. Ce que font certaines personnalités politiques. Et elles ne sont pas les seules à faire du vent, à s’agiter, à remuer. Également usité pour sommer l’organisateur d’un loto de tourner avec plus de vigueur sur la manivelle afin que les numéros se mélangent davantage.
Brave. Voilà l’éclaircissement qui risque de fâcher tous ceux qui se sont vus maintes fois qualifiés sur un ton (probablement condescendant) de « bien brave ». Car les interlocuteurs condescendants auraient également pu dire « bien simple » ou encore « bien naïf ».
« Il est bien brave lui, mais il ne boulègue pas des masses ! »
Caguer. Ce qui suit la digestion.
Se caguer. Ne signifie pas suivre ce qui suit la digestion. Mais avoir peur.
S’en caguer. Ne signifie pas intérioriser ce qui suit la digestion. Mais s’en moquer, n’en n’avoir rien à cirer.
Cagnard. Comme si le soleil avait soudainement atterri sur le coin de votre nez. Chaleur étouffante.
Cagole. Sens subjectif car il se fie aux apparences. Fille, semble-t-il, vulgaire. Probablement existe-il autant de cagoles que de juges des apparence. À chacun sa cagole. Ou ses cagoles.
Capèou. Cet accessoire que vous placez sur votre tête avant même d’avoir posé une première chaussure en toile sur le tarmac de Marseille-Provence. Ou bien sur le sable.
Dégun. Robinson Crusoe avait dégun pour voisin. Bref, il était seul au monde.
De longue. Longueur locale. C’est-à-dire très très très longue, continuellement, qui n’en finit jamais.
« On est de longue tanqués dans les embouteillages en fin de journée, de longue on nous serine que c’est la crise », entre autres exemples.
Esquiché. Être comme une sardine qui partage sa boîte avec une dizaine d’autres. Serré. Comprimé. Écrabouillé.
Ensuqué. À choisir, mieux vaut être ensuqué que brave. C’est-à-dire idiot au sens tête en l’air plutôt que gentil au sens simplet.
Fada. Du fada tout court au fada de toi, il n’y parfois qu’un pas. Fou tout court. Passionné par quelqu’un ou par quelque chose.
Fatche de ! Indissociable de son point d’exclamation. Si vous pratiquez donc à l’oral, il va falloir y mettre le ton pour exprimer votre incroyable surprise. Possibilité de compléter l’interjection par un complément d’objet direct. Exemple : Fatche de con !
« Fatche de con ! Avec un cagnard pareil, il a encore oublié le capèou… »
Minot, -otte. Le pitchounou et la louloutte de Gal Elmaleh, sac Bob l’éponge sur le dos. À savoir que pitchoun également provient du parler local. Bambin. Gamin.
Moulon. Sorte de flash mob très local. Dans les cours de récréation provençales, ils poussent comme des champignons. Y’a moulon ! Y’a moulon ! Comprenez qu’un attroupement hostile de minots s’est spontanément formé, jusqu’à prendre une ampleur nécessitant l’intervention des adultes. Un tas.
Peuchère. Si l’on parle de vous en ce terme-là, c’est qu’il devient urgent de vous installer comme Pascal dans une pièce sombre, vide et fermée. Et de faire le point sur le sens de votre existence. En français générique, on dirait « ohhhhh, le pauvre……… »
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Mais, au fait, d’où vient-il ce provençal marseillais ?
Sachez déjà que Word 2011 parle aussi ce langage. Et, nous ne vous la faisons pas à la marseillaise, comprenez « tendance certaine à l’exagération », en affirmant cela. Sur les 20 mots sélectionnés ci-dessus, communément employés de Marseille à Martigues, en passant par Salon-de-Provence, Aubagne et le Pays d’Aix, cinq seulement se sont vus discriminer par Microsoft : aganter, l’agachon sans à, cagole, fatche mais pas de et moulon. Orthographe invalidée. Pour le reste, il semblerait bien que notre suite Office n’y perde nullement le nord. Celui-là même contre lequel s’est aussi développé ce français du sud.
Langue française, langue d’oc et dialecte
Aux côtés du gascon, du languedocien ou encore du limousin, le provençal n’est autre que l’une des formes prises par la langue d’oc, avec un vocabulaire, une grammaire et une conjugaison. Ni plus ni moins qu’une langue romane finalement délestée de ses influences liées aux invasions barbares ; là-bas, dans le nord, certains diront au-dessus d’Avignon. Ne vous en formalisez pas. Une langue française, tout comme l’espagnol, le catalan, le portugais ou encore le roumain, héritière du latin. Mais qu’ils sont fous ces Romains ! Et ces Gaulois ! Et ces Francs ! Etcetera. De nous perdre dans tant de méandres linguistiques. Et ces Marseillais, alors ?
À la folie, s’il en est une, ils préfèrent la Provence. Et s’élèvent donc contre les dictats de la capitale gouvernante : dès la deuxième moitié du XIXe siècle, le français du nord impose ses règles. Les Marseillais lui dictent encore leur cadence : une façon de parler, un accent, des principes, bref autant de traces de provençal qui semblent clamer « c’est plus fort que nous ». Car le parler marseillais est surtout une variante du français, au même titre que le québécois (rassurez-vous — ou pas — l’accent demeure différent). Et à bien l’écouter, ce dialecte semble souvent blaguer, soit « parler à plus soif », avec ses cousins transalpins, entre Naples et le Piémont.
Le rôle de l’immigration
Quelques fous de plus, peut-être ? Seulement des Italiens, pauvres pour la plupart, arrivés en nombre dans la cité phocéenne, toujours à la fin du XIXe siècle, à la recherche de travail. C’est bien simple : en 1900, un Marseillais sur quatre est italien. Des immigrés qui ne sont pas venus la bouche vide, assénant leur accent tonique sur la Canebière ; l’essentiel dans les ravioli, ce n’est donc pas la farce, mais l’avant-dernière syllabe. Et celle-ci de faire ainsi chanter le parler marseillais.
[pullquote]« Le marseillais est constitué à 90 % de vocabulaire provençal brut ou francisé et à près de 10 % de termes italiens » Mederic Gasquet-Cyrus.[/pullquote]
Dans les années 1930, la tchatche (potentialité énorme de parole) est tchatchée. Les migrations en provenance d’autres horizons ne modifient qu’à la marge le Bescherelle local, exception faite des Pieds-Noirs suite à la guerre d’Algérie : le lexique s’enrichit alors de termes arabes et de nouvelles manières de prononcer. Désormais, les Marseillais, les Provençaux parfois, palatalisent. Ils chuintent. Ty’as compris ? Ou ty’as pas compris ? Ces évolutions, aussi mineures deviennent-elles, sont le signe d’un langage qui n’est pas encore mort. Qui bat aujourd’hui depuis Marseille, cœur d’un flux de paroles à double sens, et jusqu’à l’Étang de Berre. Il y a les termes marseillo-marseillais. Les mots uniquement employés chez les voisins provençaux. Enfin, ceux qui recueillent au quotidien tous les suffrages. D’Aubagne, de Marseille, de Salon-de-Provence, de Martigues, du Pays d’Aix. Nous avons bien dit « du Pays d’Aix ». Car si la tentation de faire parler les Aixois comme des Parisiens est grande, n’en reste pas moins que les citoyens de la cité rivale sont aussi des Provençaux. Qui parlent la langue de Mistral, pas le vent torride mais l’écrivain nobélisé, du moins en distillent-ils quelques mots et expressions. Parfois même, sans s’en rendre compte : il n’est pas rare ainsi d’entendre, dans les villes et villages du Pays d’Aix des fifi (maigre), pitchoun (enfant), calu (tête brûlée), traviole (ruelle étroite), pègue (collant), partir en biberine (partir en vrille) et autres expressions, sorte de joyeux mélange d’influences, mais de français toujours. Comme une aïoli (mayonnaise à l’ail et à l’huile d’olive, à moins que ce ne soit l’inverse) qui aurait bien pris, presque par hasard.
*Ce précis enrichi d’explications a été fomenté à l’aide notamment des explications fournies par Médéric Gasquet-Cyrus, maître de conférences en sociolinguistique à l’université d’Aix-Marseille et chercheur au Laboratoire Parole et Langage (CNRS), également Directeur littéraire des Éditions du Fioupélan ainsi qu’en feuilletant Le Marseillais pour les nuls (éditions First)
(Crédit photo : Flickr/cc/Marc Mateus)