Déjà président de 2005 à 2012, vous redevenez président du Conseil mondial de l’eau en 2018. Pourquoi ce nouveau mandat ?
Loïc Fauchon : J’ai été en effet élu à nouveau, à l’unanimité. Il n’y a pas eu d’autres candidats parce que sans doute, l’ensemble des 400 organisations membres du conseil, dans un mandat de transition, a considéré que j’étais le mieux placé. Je n’avais pas fait acte de candidature souhaitant que quelqu’un de plus jeune, d’un autre continent, soit candidate. Nous avions d’ailleurs pensé à l’américaine Karin Krchnak, la directrice générale de l’eau de WWF, mais elle a été appelée à d’autres fonctions plus importantes en tant que responsable de l’eau à la Banque mondiale. Les règles et l’agenda de cette organisation ne lui permettaient plus de s’investir comme présidente du conseil mondial de l’eau. J’ai proposé comme vice-présidente Asma El Kasmi, c’est l’une des dirigeantes de l’Onee (Office national de l’électricité et de l’eau du Maroc). Il y a aussi une dirigeante chinoise qui entre au bureau. Je tenais à ce qu’il y ait au moins deux femmes. C’est toujours compliqué de constituer un bureau dans ce type d’organisation. Il faut respecter les équilibres géographiques, il faut un équilibre entres les collèges ou aussi le genre.
Quelles sont les directions que vous souhaitez donner à ce nouveau mandat ?
[pullquote] Les agressions sur l’eau, le laisser-aller, l’insouciance, voire l’incompétence, se sont étendus[/pullquote] L.F. : L’eau, dans la quasi totalité des pays du monde, se trouve fragilisée et la situation s’est plutôt dégradée ces dernières années, la où elle aurait du s’améliorer. Les agressions sur l’eau, le laisser-aller, l’insouciance, voire l’incompétence, se sont étendus aux pays développés, à commencer par le nôtre, qui pensait avoir résolu le problème de l’eau depuis longtemps. Il y a encore un mois, 70 départements métropolitains étaient sous astreinte préfectorale d’économie d’eau. Ce qui ne s’était jamais vu en cette saison. Parfois il y a eu de la sécheresse mais pas partout. Ici, entre début juin et fin septembre il a plu cette année dix fois plus sur le bassin d’Aix-en-Provence qu’en 2017. Depuis les années 50, la France a environ 50% de population en plus. Or, depuis cette époque, nous n’avons pas construit un barrage de plus et nous n’avons pas un réservoir d’eau supplémentaire. Et quand on veut en faire un, même petit, c’est l’objet de toutes les discordes. Prenez l’exemple du bassin d’Adour Garonne où il pleut très significativement. Il n’y a plus le compte. Idem sur le bassin de la Loire. Puisque nous ne construisons plus de barrages et avec eux les réservoirs associés, nous ne sommes plus capables de garder l’eau d’hiver pour l’été. Pourquoi les châteaux-forts et les cités médiévales étaient équipées de de grandes citernes ? Parce qu’elles servaient à capter l’eau d’hiver pour la boire toute l’année. Regardez la crise de l’eau en Californie ou à New York. L’Inde souffre. Les pays riches et les pays pauvres sont tous sont confrontés aux difficultés liées à l’eau. Seuls quelques pays du Nord sont épargnés.
La Provence et sa métropole Aix Marseille bénéficient également d’une situation plus favorable. Comment l’expliquer ?
L.F. Oui, nous avons un accès à la ressource en eau exceptionnel. Je crois qu’il faut le dire avec simplicité. Le barrage de Serre-Ponçon et les barrages du Verdon nous ont sauvé la vie. Ils nous ont permis d’éviter la soif. Et nous sommes l’une des rares régions du monde aussi bien desservies, avec autant de sécurité. Marseille est la seule ville au monde à avoir entre 22 et 25 jours de réserves d’eau à l’intérieur de la cité. Paris ne dispose que de 36 heures… Mais c’est une situation tout à fait exceptionnelle.
Quels sont les facteurs qui aggravent les problèmes d’accès et de ressources aujourd’hui ?
[pullquote] Dans ces cités géantes se créent des pollutions gigantesques[/pullquote] L.F. : Comme je le disais, nous n’avons pas été assez prévoyants. Les comportements, à commencer par les nôtres, sont empreints de toutes sortes de gaspillages en matière d’eau et d’énergie. Donc tout cela, avec la croissance démographique dans le monde, l’urbanisation, les grandes mégapoles qui sont les monstres de ce siècle, constitue une grave fuite en avant. Et l’on ne sait pas où l’on va. Dans ces cités géantes se créent des pollutions gigantesques, la qualité de l’eau y est souvent sujette à caution. Bref, il y a une demande beaucoup plus forte. Des pays comme l’Inde, la Chine ou encore l’Indonésie veulent accéder à la société de consommation, elle-même énormément consommatrice d’eau. Il faut donc se mobiliser pour la sécurité de l’eau. Sécurité de la ressource et de l’usage, sécurité des technologies et des comportements. Si chacun analyse son propre quotidien il voit très bien que tant en matière de consommation d’électricité que d’eau il peut faire des progrès significatifs. Et pas seulement parce que vous prenez une douche à la place d’un bain. Les études faites par des chercheurs anglais sur le gaspillage ont montré il y a déjà quelques années qu’en faisant un peu attention un ménage économise de 20 à 30% de sa consommation tout en gardant la même qualité de vie. De même que d’autres études soulignent que 30 à 40% des récoltes se perdent entre la récolte et l’usage final.
A cela s’ajoute des pollutions diverses et variées ?
L. F. : Aujourd’hui les questions d’urbanisation et de littoralisation font que les méga cités, ces grands rassemblements de population, n’ont pas les ressources suffisantes pour leur industrie, leur agriculture et leurs usages domestiques. A cela s’ajoute la création de pollutions considérables qui peu ou prou aboutissent à la mer, qu’ils s’agissent de produits chimiques, industriels voire demain médicamenteux. Et il y a les plastiques… Un chercheur disait récemment qu’en Méditerranée, il y aura bientôt plus de plastiques que de poissons. Toutes les informations convergent pour dire que la situation de la Méditerranée, en particulier à l’Est, est extrêmement préoccupante. C’est une mer fermée, le plastique s’y accumule.
Demain la suite de notre entretien avec le président du Conseil mondial de l’eau, Loïc Fauchon