En juin prochain, Marseille, capitale des Bouches-du-Rhône et du Sud, comptera un musée de plus. Un vingtième musée dédié à l’un de ses produits phares, universellement connu et imité : le savon de Marseille. Il ouvrira ses portes aux Aygalades, dans les murs de la Savonnerie du Midi.
Cet équipement culturel ne surgira pas comme une bulle venue du ciel. Il s’installe dans le quinzième arrondissement, en bordure du ruisseau des Aygalades et de l’autoroute du soleil, au cœur même de l’une des plus anciennes fabriques – la Savonnerie du midi – fondée voici plus de 120 ans, en 1894. Collectionneuse depuis 20 ans aux Chutes-Lavie, la famille Quittard (Josette et Vittorio) s’engage dans ce projet, en livrant des centaines d’objets et d’images liés à cette activité hygiénique.
Le lieu où se fabriquait un fameux couscous
Comptant cinq bâtiments industriels, ce site de production existe depuis 1870. Il servit successivement de moulin, minoterie et semoulerie avant d’accueillir d’énormes chaudrons. Dans les années 30, l’herboriste Garbit triait ici la graine, base de son fameux couscous éponyme (bon comme là bas…). Deux de ses bâtiments ont été classés « bâtiments industriels remarquables » par la mairie de Marseille.
À la fin du XIXe siècle, mêlant en cuisson huile d’olive et de coprah, soude et eau de mer, les maîtres savonniers du vallon des Carmes créent trois marques emblématiques : l’Aubépine, l’Aigle blanc et la Corvette.
En réalité, leur recette était déjà connue six cents ans plus tôt. Crescas Davin fut le premier savonnier de Marseille, en 1370 ! Peu avant la révolution, en 1786, la ville débitait déjà 75 000 tonnes de savon, avec une cinquantaine de fabriques, employant outre six cents ouvriers, mille cinq cents forçats prêtés par l’arsenal des galères. À la veille de la Première guerre mondiale, en 1913, 90 sociétés locales parviennent au chiffre record de 180 000 tonnes de savon.
Normes royales, savoir-faire hexagonal et familial
Ces fameux cubes, beiges ou verts, d’un demi kilo ne comportent aucune graisse animale, ni suif, ni colorant, ni parfum ; sans additif ni conservateur non plus. Tels sont les caractères du véritable savon de Marseille, qui a mijoté en chaudron métallique géant durant une dizaine de jours. Des normes édictées dès 1688 par Colbert, sous le règne de Louis XIV. Ce label n’étant pas protégé, de la Chine au Maroc, de la Pologne à la Turquie ou à l’Indonésie, partout le monde global confectionne du “savon de Marseille”… Plus de 3 millions de tonnes lavent ainsi 95% des populations de la planète tandis que la ville originelle ne pèse que mille fois moins !
En 2013, la petite entreprise Prodef (produits d’entretien français), hexagonale et familiale, achète à la Compagnie du Midi la savonnerie des Aygalades. Son président directeur général, Guillaume Fiévet, est l’arrière petit neveu du fondateur de Prodef, Raoul Nordling. Un personnage qui, en tant que consul de Suède en France, jouera un rôle essentiel en 1944. En dépit de l’ordre hitlerien de détruire Paris, Nordling parvient à convaincre le général gouverneur militaire allemand de ne pas faire sauter la capitale.
Avec trois autres compagnies marseillaises savonneuses, (Fabre, Sérail et Fer à cheval), le Midi constitue l’Union des professionnels du savon de Marseille. Un groupement visant à ce que les pouvoirs publics protègent l’authentique et l’information complète du consommateur. Il suffirait, à l’instar du champagne ou du nougat, que soit officiellement reconnu et protégé le process de fabrication et son implantation géographique exclusive. Une jolie bagarre en perspective car jusqu’alors l’État ne veut pas se prononcer. D’ici là, le public saura tout sur le savon de Marseille et pourra également faire quelques emplettes sur place, aux Aygalades.
C’est par hasard que Vittorio et Josette Quittard ont commencé à collectionner les savons de Marseille. En 1997, Vittorio Quittard acquiert auprès d’un antiquaire de Gémenos une boîte remplie de 1 900 négatifs et marquée Velaux. Comme il s’intéressait aux fouilles archéologiques dans ce coin, cet ancien traiteur pensait trouver là quelques images anciennes. En effet, il y avait bien des images anciennes, de 1933 à 1949, mais d’une savonnerie marseillaise, installée rue Sainte-Cécile et aujourd’hui disparue : la savonnerie Bellon et Dramart. Ce fut pour le couple Quittard le point de départ d’une collection insolite qui compte désormais plus de 300 savons et bien d’autres objets comme des planches à laver, battoirs… « Nous avons déjà organisé 94 expositions, produit 3 films et édité un livre », précise Vittorio Quittard qui se réjouit également d’avoir retrouver quelques descendants de ces hommes et femmes immortalisés sur papier jauni.
Mais ce ne fut pas toujours facile pour Vittorio. Un jour en se baladant dans les rues de Marseille, il s’étonne de voir un de «ses» clichés reproduit en grand format dans une boutique. Il apprend que ce cliché a été vendu par un ancien journaliste de presse locale, celui là même à qui Vittorio avait prêté un CD de photos pour un soit-disant article sur la Provence. « Je l’ai retrouvé à la frontière suisse et j’ai payé un huissier pour qu’il stoppe les tirages et les ventes en son nom sur son site, désormais interdit. »
C’est cet ensemble – photographies, savons, boîtes… – qui prendra place dans la troisième salle du futur musée de la savonnerie et du savon de Marseille aux Aygalades. Ce projet, d’une superficie de 170 mètres carrés à laquelle s’ajoute 100 mètres carrés de parcours de visite, se fera en collaboration avec la Cité des arts de la rue autour d’un chantier de réinsertion. Et pour le financement, Guillaume Fiévet a choisi de lancer une campagne de crowdfundig de 15 000 euros sur la plateforme Provence Booster, en avril prochain. « Comme le lieu a pour vocation d’accueillir du public, c’est une façon de l’associer en amont particulièrement intéressante », conclut-il. Les contreparties sont en cours de sélection. À suivre… Dominique Villanueva