Depuis sa reprise en 2016, Corsica linea a engagé une profonde transformation de son organisation. Grâce à des performances économiques retrouvées, elle affiche l’ambition d’être la compagnie maritime la plus moderne de Méditerranée à l’horizon 2030. Sa stratégie se déploie autour de trois piliers : la satisfaction client, l’engagement sociétal et territorial, et l’environnement. Explications à deux voix avec Pierre Mainguy, directeur commercial et marketing et Chloé Taverni, responsable du développement durable.
Comment la transformation environnementale de Corsica linea a débuté ?
Pierre Mainguy : Il faut faire un peu d’histoire et revenir huit ans en arrière à la naissance de Corsica linea. Avant d’arriver au plan de transition environnementale, il y a eu deux étapes préalables. La première, c’est dès la création de la Compagnie, en 2016, avec l’objectif de retrouver de la stabilité et d’instaurer de la confiance en interne et en externe. Au-delà de la rentabilité économique, le niveau de satisfaction client a évolué rapidement de manière très positive grâce à une offre de qualité et à l’engagement des marins à bord. Il y avait une réelle volonté est de se projeter collectivement dans un nouveau projet d’entreprise.
Quelle a été donc la deuxième étape ?
Pierre Mainguy : La structuration de l’entreprise dès 2017-2018 autour de trois engagements forts. Le premier pilier socle, c’est le client. Relever de manière pérenne le défi de la fidélité et de la satisfaction clients. Nous avons très rapidement voulu être au plus près des attentes des passagers avec l’intégration dès 2017 d’un outil robuste de collecte des avis clients par des enquêtes de satisfaction après chaque traversée qui nous permettent de piloter au plus près notre niveau de qualité de services sur l’ensemble du parcours passager, de l’embarquement au débarquement.
C’est grâce à ces milliers d’avis analysés chaque semaine que l’on a pu flécher nos investissements pour améliorer l’expérience passager (rénovation des cabines et espaces communs, montée en gamme de la carte de restauration…).
Ces retours clients sont regardés de près par le personnel de bord qui sait que son rôle est déterminant pour garantir une haute qualité de service. En huit ans, notre taux de satisfaction client a évolué de 15 points pour arriver à 88% (sources : Avis vérifiés).
Quel est le deuxième pilier de cette structuration de l’entreprise ?
Pierre Mainguy : C’est l’engagement sociétal qui revêt plusieurs dimensions. Tout d’abord, ce sont des valeurs : naviguer sous pavillon français premier registre pour la desserte de la Corse et du Maghreb (Algérie, Tunisie) C’est notre made in France à nous, si j’ose dire. C’est le choix d’opter pour les plus hautes normes de protection sociale pour nos marins et les standards parmi les plus rigoureux au monde en termes de sécurité, de formation et de règles environnementales. Le pavillon français fait partie de l’ADN de la Compagnie, une valeur fondamentale totalement alignée avec nos missions d’opérateur de service public pour la desserte de la Corse.
Corsica linea : une ETI ancrée dans les territoires qu’elle dessert
Ensuite, il y a le double ancrage Corse-Continent et la volonté d’être une ETI ancrée dans les territoires qu’elle dessert. Cela signifie travailler avec des prestataires et partenaires locaux comme pour la restauration à bord ou nos agences communication et de marketing. Ces choix contribuent à faire rayonner le tissu économique et social corse et marseillais. L’ancrage, c’est aussi être un acteur des métiers de la mer par le biais de partenariats étroits avec les écoles (Lycée maritime de Bastia, Ecole Nationale Supérieure Maritime) et l’accueil de plus de 50 alternants et stagiaires à bord et à terre chaque année. Enfin, nous avons une responsabilité pour assurer la continuité territoriale de la Corse et, notamment, faciliter l’accès des résidents insulaires aux soins médicaux sur le continent.
En termes d’emplois, comment évoluent les effectifs ?
Pierre Mainguy : En 2016, nous étions 875 personnes. Aujourd’hui, nous sommes autour de 1400. Notre flotte a également grandi pour passer de six à neuf bateaux avec l’accroissement du personnel de bord qui va avec. Nous transportons près d’un million de passagers et 125 000 remorques de fret.
Le troisième ancrage c’est l’environnement. Comment avez-vous procédé pour faire évoluer la compagnie ?
Pierre Mainguy : Ce pilier a été identifié très rapidement et nous avons procédé par étapes. Souvent en avance de phase sur le cadre réglementaire qui était historiquement moins contraignant dans le maritime au niveau mondial. Nous avons engagé un plan d’investissements avec des réalisations emblématiques telles que la connexion électrique des navires à quai (CENAQ) à Marseille, la baisse des taux d’émissions atmosphériques des carburants (soufre, azote, particules fines), puis l’acquisition d’un 1er navire neuf propulsé au GNL pour la desserte de la Corse, A Galeotta, inauguré en janvier 2023 avant l’arrivée d’un deuxième navire de ce type en 2026.
Quelles sont les initiatives phares matière de transition énergétique ?
Chloé Taverni : Corsica linea est la 1ère compagnie à être passée au GNL pour la desserte de la Corse. Il s’agit d’une énergie fossile transitoire avant de pouvoir migrer vers du bio-GNL dont la disponibilité reste encore à sécuriser aujourd’hui. En attendant, le GNL demeure l’une des énergies parmi les plus matures industriellement pour le maritime et permet de réduire de 20% les émissions de CO2.
Le cap de notre ambition est clair : être à l’horizon 2030 la compagnie maritime de transport de passagers et de fret la plus moderne de Méditerranée en étant leaders sur la satisfaction client, l’engagement sociétal dans les territoires et la transition environnementale. Les objectifs sont fixés et chiffrés : réduire nos émissions de CO2 de 40% d’ici à 2030 (vs 2022) pour atteindre la neutralité carbone en 2040.
Nous constatons d’ores et déjà l’efficacité du mix de solutions déployées. En 2023, nous avons réduit de 8% en 2023 nos émissions par mille nautiques par rapport à 2022.
Quel a été le déclencheur pour déclarer cet objectif ?
Chloé Taverni : Notre approche est très pragmatique en la matière : de la rentabilité économique pour être en mesure de franchir le mur d’investissements à réaliser pour la transition énergétique de notre flotte (nouveaux bateaux, nouveaux carburants…) Mais un changement de paradigme ne peut s’opérer sans des valeurs et des convictions fortes incarnées par la tête de l’entreprise.
Biodiversité et coopération avec les parties prenantes
La participation de notre directeur général à la Convention des Entreprises pour le Climat Provence Corse (CEC) en 2023 a confirmé nos ambitions et les a mêmes rehaussées pour arriver aux objectifs chiffrés de 2030 et à la volonté d’aller plus loin sur le volet biodiversité et de coopération avec nos parties prenantes pour construire ensemble des solutions qui amèneront vers une ère bas carbone.
L’urgence climatique se ressent dès aujourd’hui et nos organisations doivent impérativement gagner rapidement en maturité sur ces sujets en étant capables notamment d’embarquer l’ensemble du corps social vers de nouvelles manières d’opérer et de produire.
Et il y a aussi la pression sociétale autour des préoccupations face au réchauffement climatique ? Que disent vos retours clients sur ces préoccupations ?
Pierre Mainguy : Oui, il y a une accélération en général sur ces sujets. Côté clients (passagers et transporteurs), cela ne ressort pas forcément spontanément. En revanche, lorsqu’on les interroge sur leur facteur de choix entre différentes compagnies, cela peut faire la différence. A titre d’exemple, naviguer avec des marins français est plébiscité par nos clients. Ils sont également réceptifs aux sujets environnementaux lorsque nous savons faire de la pédagogie sur les projets concretsque nous menons pour réduire les émissions de CO2 de nos bateaux.
Ces mouvements sociétaux de fond nous obligent à redoubler d’exigence et à être proactifs.
Avec des investissements aussi associés qui sont importants. Les scrubbers par exemple c’est combien d’investissements ? Jusqu’à 2030 par exemple, on peut évaluer l’investissement à venir ?
Chloé Taverni : Nous avons investis d’ores et déjà plus de 250 millions d’euros sur l’adaptation et le renouvellement de la flotte. Les engagements financiers d’ici à 2030 sont du même ordre de grandeur. Le soutien public à l’investissement des collectivités, comme la Région Sud, et de l’Etat avec l’Ademe est essentiel.
Parmi le mix de projets techniques en cours pour améliorer l’efficience énergétique des navires : la peinture de la coque en silicone pour permettre de mieux glisser dans l’eau, le changement des bulbes de navires, des pales d’hélices pour moins consommer, etc. Sans compter le levier de la sobriété avec la réduction des vitesses de navigation qui a un effet direct sur la baisse des émissions de CO2.
C’est à dire ? Le voyage est plus long ?
Pierre Mainguy : Oui, nous activons deux leviers très efficaces pour réduire nos consommations de carburants et, par conséquent, les émissions de CO2. Premièrement, l’allongement des temps de traversées avec des départs avancés en moyenne d’une demi-heure sur les lignes Corse, voire de plusieurs heures pour le Maghreb. Deuxièmement, l’optimisation de temps d’escale à quai, notamment en Afrique du Nord pour avoir plus de temps de navigation et aller moins vite en mer.
Cela a deux effets immédiats très positifs : une réduction de l’empreinte carbone des traversées et des clients plus satisfaits parce que l’été, que ce soit à Marseille, Alger ou Tunis il fait très chaud sur les quais, donc monter très vite sur le bateau est très apprécié. La sobriété représente 5% de notre objectif de 40% de réductions des émissions.
Comment êtes-vous organisés pour gérer cette transformation ?
Chloé Taverni : Une fois que le cap a été fixé et annoncé par la direction, nous avons déployé une méthode pour engager tous les services de manière transversale, de la direction technique à la finance en passant par le juridique et la direction de la flotte. Depuis un an, notre plan stratégique, décliné en 60 projets, est suivi mensuellement par un comité de pilotage qui permet de décloisonner les différentes directions et de croiser les regards entre les profils très variés de l’entreprise, à terre comme à bord.
Une telle transformation ne peut s’opérer dans un mode de fonctionnement pyramidal traditionnel. Tous les sujets doivent être abordés avec un prisme collectif.
D’autant plus qu’il ne s’agit pas seulement de transformer notre outil industriel naval. Nous devons également intégrer des questions communes à toutes les organisations : l’optimisation énergétique des bâtiments, la mobilité décarbonée des collaborateurs etc.
Parmi les projets, est-ce que certains sont à l’initiative de salariés ?
Chloé Taverni : Oui. Nous avons des commandants de bord très impliqués et leaders sur certains projets à bord comme la production d’eau douce ou l’intégration d’outils d’intelligence artificielle pour optimiser les plans de route et ainsi limiter les consommations de carburants. Un grand travail de pédagogie doit se faire pour être sûrs que les 1400 salariés de la Compagnie comprennent les enjeux et le niveau d’exigence et d’exemplarité dont nous devons faire preuve.
Comment travaillez-vous avec les fournisseurs de Corsica linea sur ces sujets de transformations environnementales ?
Chloé Taverni : Les sujets extra-financiers sont progressivement intégrés dans nos relations avec les fournisseurs. Nous avons profité de la restructuration de notre service achats pour intégrer la dimension environnementale dans les contrats et dans les appels d’offres. Nous avons la volonté d’aller plus loin.
En parallèle, la réglementation évolue vite. Nous avons réalisé notre 1er bilan carbone scope 3 en 2023 et serons soumis aux règles du reporting européen de la CSRD qui renforceront le pilotage de notre politique de développement durable.
Transition environnementale et valeur d’entreprise
Vous soulignez l’apport de la CEC dans vos réflexions stratégiques. Allez-vous assurer un suivi de la feuille de route que vous avez définie ?
Chloé Taverni : Nos engagements ont été rendus public et matérialisés par une feuille de route. Nous avons défini des indicateurs de résultats. C’est un alignement global entre des ambitions qui étaient déjà fortes et une méthode CEC qui nous aide à les atteindre. Nous avons tout intérêt à respecter notre plan d’actions car, en parallèle, la législation évolue, comme l’entrée du maritime dans le marché européen des crédits carbone, par exemple. La CEC a été un propulseur pour assoir notre plan vers une vision innovante du transport maritime, notamment dans le cadre d’un service public pour la desserte de la Corse depuis Marseille. Nous sommes convaincus que la réussite de notre plan de transition environnemental accroîtra la valeur de l’entreprise.