Dans le monde régional de l’hydrogène, les deux sociétés Hy2Gen et H2V portent des projets en concurrence frontale sur le marché en devenir de l’hydrogène. Pourtant dans un communiqué commun, elles annoncent avoir constitué un consortium qui aura un impact important, s’il va au bout de sa vision, sur le projet H2V à Fos-sur-Mer. Entretien de Gomet’ avec les deux directeurs généraux Julien Marteau, pour Hy2gen et Alexis Martinez, pour H2V.
Qu’est-ce qui a provoqué votre rapprochement et votre volonté de travailler ensemble sur une nouvelle version de l’unité de production de Fos-sur-Mer H2V ?
Julien Marteau : C’est un appel à projet émis par l’Ademe qui cherche à identifier les projets de production de carburant d’aviation durable. Il sera octroyé éventuellement une subvention pour financer des frais de développement. Les dossiers doivent être remis vendredi 28 juin, c’est un dossier assez costaud nous y travaillons depuis trois mois avec un binôme de deux employés à plein temps l’un d’Hy2Gen et l’autre de H2V.
Nous avons été sélectionnés après un pré-dépôt, une présentation PowerPoint qui a été faite à l’Ademe le 28 mai dernier. C’est un appel à projets ouvert à tous les acteurs des carburants renouvelables de France. L’Ademe procédera à une à une évaluation des dossiers, potentiellement à des consultations supplémentaires additionnelles et d’ici à l’automne 2024 donnera son verdict.
Pourquoi Hy2gen, pourquoi H2V ?
Alexis Martinez : Je pense que nous sommes très complémentaires. H2V est bien positionné pour la partie amont, la sécurisation des fonciers, le développement des projets et la partie hydrogène et Hy2Gen et beaucoup plus sur la partie aval, la production des carburants de synthèse et sur les marchés. L’union des deux fera plus que deux !
Les débouchés sont finalement assez limités à court terme. En synthèse, nous avons un projet avec un terrain, la techno, et les clients. Ça faisait sens de s’allier. Nous ne sommes pas assez de deux pour mener à bien ces projets qui sont d’une grande complexité
En s’associant sur ce projet spécifique, avec nos compétences qui sont propres, qui se complètent et certaines qui se recoupent, nous serons en mesure d’être un acteur extrêmement solide avec nos empreintes territoriales puisque nous sommes tous deux basés à Marseille. Nous sommes un acteur de la promotion de la filière de carburants durables depuis le Sud pour alimenter toute la zone de chalandise de Toulouse jusqu’à Nice et de Marseille jusqu’à Genève.
C’est un projet industriel gigantesque à plus d’un milliard d’euros, comme la France n’en a pas connu ces 30 dernières années.
L’aéroport, vous apporte son soutien, mais il soutient aussi Total à la Mède…
Julien Marteau : Il faut partir du marché et ce marché, est créé par la réglementation européenne qui impose à partir de 2030 un certain volume de carburant renouvelable dans les réservoirs des avions. Et ces volumes de carburant renouvelable se divisent en deux types de carburant renouvelables,
- Les carburants classiques à partir à partir de synthèse d’huile, des biocarburants.
- Les carburants de synthèse comme les nôtres.
En 2030, il faudra 6 % de carburant durable en général, dont 1,2 % de synthèse.
L’aéroport doit forcément s’approvisionner en carburant d’aviation durable. C’est un avantage concurrentiel par rapport à d’autres aéroports, une forme de concurrence.Nous avons d’autres soutiens d’aéroports dans notre dossier…
Quels changements cela aura-t-il sur le projet industriel H2V à Fos ?
Alexis Martinez : C’est une brique additionnelle. La phase A du projet n’est pas modifiée, avec 2 mégawatts et 140 000 tonnes de méthanol. Pour la phase B, nous avions prévu l’équivalent de 400 mégawatts fléchés pour de l’hydrogène en vue de fabrication de carburants de synthèse. Au lieu de 400 mégawatts d’hydrogène, nous en ferons moins : 200 mégawatts ce qui nous permettra de produire 50 000 tonnes d’e-Safe. On fabrique d’abord du méthanol. Et après, on le transforme
À la fin, nous aurons l’équivalent de 400 mégawatts pour les deux projets cumulés, 400 mégawatts d’hydrogène, 280 000 tonnes de méthanol et 50 000 tonnes de eSafe sachant que 140 000 tonnes de méthanol seront utilisées pour la fabrication de 50 000 tonnes de eSafe.
L’investissement et l’emploi évoluent-ils ?
Alexis Martinez : Sur la phase B, l’investissement est supérieur au milliard d’euros. L’investissement va plus que doubler. L’effectif restera autour de 200 emplois.
La concertation devra reprendre puisque le projet a muté…
Julien Marteau : Nous sommes dans une concertation continue donc il est prévu avec les garants d’avoir des réunions et des ateliers qui débuteront à la rentrée.
Quel est le planning de financement, vous parlez en milliards pour l’installation, mais nous sommes en millions d’euros dans cette phase ?
Julien Marteau : Il y a plusieurs phases de développement du projet. La phase de développement est de 40 millions d’euros partiellement subventionnée, nous l’espérons par l’Ademe et le reste en fonds propres dans le cadre de la co-entreprise par H2V et Hy2Gen. D’autres partenaires industriels viendront se joindre à nous et apporteront leur quote-part de frais de développement. Une fois que nous serons à la décision finale d’investissement, nous entrerons dans une nouvelle phase pour financer le projet industriel. Ce type de projets est financé généralement pour un tiers par des fonds propres et 2/3 par de la dette amenée par les banquiers. Mais cela suppose que le projet soit parfaitement “dérisqué”, qu’il ait les bons contracteurs, une bonne garantie de performance.
Pour le moment la part des fonds propres n’est pas réunie…
Julien Marteau : La partie fonds propres sera amenée par Hy2Gen et H2V, mais nous n’avons, ni l’un ni l’autre, la capacité de financer ces 300 millions. C’est une co-entreprise, qui ira sur le marché pour des levées de fonds. Je pense particulièrement à la Banque des territoires qui a signé avec H2V un accord de partenariat. Hy2Gen a derrière lui des fonds très puissants comme Mirova ou Hy24. Les montants sont tels qu’il y aura probablement des alliances.
Alexis Martinez : En phase 2, nous ouvrons notre tour de table à des investisseurs qui ne sont pas prêts à prendre les risques de développement, mais qui sont prêts à prendre des risques de la construction.
Il y aura aussi une part de subventions, d’argent public ?
Julien Marteau : Nous aurons aussi besoin de subventions sur les investissements. Ce peut être l’Europe dans le cadre de “l’Innovation fund large scale” ou la France via l’Ademe. C’est un modèle qui fonctionne, mais qui a besoin de subventions : les besoins d’investissement au départ sont tels qu’ils grèvent le taux de rentabilité interne des projets.
Nous aurons aussi besoin d’un prix de d’électricité compétitif. Globalement, pour que l’on soit compétitif, il faudrait un prix d’électricité net autour de 40 € du mégawattheure. C’est l’objectif de France Hydrogène. Et aujourd’hui, on n’y est pas à 70 €. Le coût de l’électricité est le nerf de la guerre dans la production décarbonée d’hydrogène, il représente au moins trois quarts du prix de revient de l’hydrogène.
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Les projets industriels à Fos-sur-Mer