Porté depuis quatre ans par Gomet’ Media, les « Rencontres du vélo et des mobilités douces » ont permis de réunir, vendredi 23 mai, à La Coque à Marseille, une table-ronde inédite au cours de laquelle opérateurs privés, élus régionaux, métropolitains, municipaux et associations citoyennes ont pu échanger autour d’un objectif commun : transformer Marseille et sa métropole en territoire cyclable. Tout sauf un long chemin tranquille.
Car si cette table-ronde a permis de dresser un panorama lucide et inspirant des dynamiques en cours, de dresser un état des lieux sans complaisance et d’exposer des ambitions partagées pour accélérer le développement des mobilités douces, les défis structurels et sociaux restent, eux, immenses. Les usages progressent fortement, les acteurs publics se mobilisent, les initiatives se multiplient. Mais ni assez vite, ni assez fort. Pour réussir ce changement de paradigme, il faudra renforcer l’investissement public, la coordination entre niveaux de collectivités, la participation citoyenne, et surtout accélérer l’exécution des projets.
Vélo et trotinettes : « Une location toutes les 11 secondes » (Xaxier Miraillès, Lime)
Xavier Miraillès, représentant de l’opérateur Lime, a ouvert la discussion par une présentation étayée des usages de la trottinette et du vélo en libre-service à Marseille. Depuis l’arrivée de Lime en 2021, la fréquentation n’a cessé de croître. En 2024, ce sont 2,7 millions de trajets qui ont été réalisés, soit « une location toutes les 11 secondes et une hausse de 75 % par rapport à l’année précédente. »
Le boom concerne surtout le vélo : « Entre le 1er janvier 2025 et le 23 mai, nous enregistrons deux fois plus de trajets que sur la même période en 2024. C’est une explosion », affirme le directeur des affaires publiques de la société, qui met en avant une amélioration de l’offre, une montée en puissance de la culture vélo et un développement progressif des infrastructures adaptées.
Le profil type des usagers à Marseille est jeune (âge moyen : 31 ans), majoritairement masculin (70%), et essentiellement résidentiel (80%). Trois usages principaux ressortent : les sorties sociales, type concerts ou restaurants (21%), les déplacements domicile-travail ou études (19%), et les activités quotidiennes comme les courses ou le sport (15 %).
Fait notable, l’intermodalité est particulièrement forte à Marseille : 50% des trajets débutent près d’un arrêt de transport en commun, et un tiers aux heures de pointe. Xavier Miraillès observe aussi une utilisation marquée de ses vélos pour accéder au littoral sud, un secteur qui concentre 30% de l’ensemble des trajets, ce qui a conduit l’entreprise, explique-t-il, à mettre en place des incitations tarifaires pour encourager ces comportements écoresponsables.
La Région en visite dans les Flandres en juillet
Jean-Pierre Serrus, vice-président de la Région Sud en charge des transports, a rappelé de son côté les missions de l’institution en matière de mobilité, insistant sur le fait que celles-ci ne se limitaient pas aux TER et autocars : « Nous sommes aussi chef de file de l’intermodalité. Et dans 15 intercommunalités, nous exerçons la compétence mobilité à part entière. »
La Région s’est dotée d’une stratégie structurante autour de 12 bassins de mobilité, avec plus de 800 engagements opérationnels visant à intégrer le vélo dans les politiques de déplacement. « L’objectif, c’est un système de mobilité cohérent, concerté avec les métropoles et intercommunalités. Le vélo y a toute sa place », souligne l’élu qui rappelle que « pas une seule gare n’est aujourd’hui dépourvue d’abris vélos sécurisés ».
La Région investit dans l’intermodalité, les services express régionaux, l’information aux usagers, et le développement des itinéraires touristiques cyclables comme “La Durance à vélo”. Inspirée par l’Europe du Nord, une délégation régionale prévoit ainsi une visite dans les Flandres, où des villes comme Gand disposent de 14 000 places de stationnement vélo pour 60 000 habitants. « Nous irons en Flandre en juillet pour étudier comment Gand ou Anvers ont réussi à massifier l’usage du vélo, avec des infrastructures de grande capacité. Nous devons en tirer les leçons », promet Jean-Pierre Serrus, qui plaide également pour une équité territoriale, rappelant que 22 millions de Français vivent dans des zones rurales où les besoins cyclables sont spécifiques et nécessitent une approche adaptée.
Vélo : la Métropole veut rattraper « 40 ans de retard »
Philippe Ginoux, vice-président métropolitain en charge du vélo, n’a pas mâché ses mots : « En 2019, la part modale du vélo était de 0,7 %. On accuse 40 ans de retard. Mais nous avons changé la trajectoire. » Et de rappeler le plan métropolitain lancé cette année-là pour inverser la tendance, avec 15 actions articulées autour de trois axes : équiper (infrastructures), former (programme « Savoir rouler à vélo»), accompagner (services et stationnements).
« Tous les enfants du primaire seront formés au vélo avant l’entrée au collège. Ce sont eux qui utiliseront demain les pistes qu’on construit aujourd’hui », anticipe l’élu.
Cinq ans après le lancement du plan métropolitain, le réseau cyclable s’étend aujourd’hui sur 615 km dans la métropole, dont 180 km à Marseille. Un chiffre qui reste modeste ? « Notre objectif est d’atteindre 28 km supplémentaires d’ici 2026 et 39 km d’ici 2030, ce qui va être voté dans le plan vélo 2 à la fin de cette année 2025. On peut toujours dire que ce n’est pas assez, qu’on veut plus mais on ne peut pas dire non plus, comme cette petite musique que j’entends parfois, que rien n’est fait ! », répond fermement l’élu.
Le développement des services a été plus rapide : 6,4 millions de trajets réalisés en 2024, 200 000 utilisateurs, un parc de vélos partagés en expansion avec un objectif de 4 000 vélos à la location et 200 stations « d’ici janvier-février 2026 ». Même si Philippe Ginoux reconnaît les résistances : « On est un peu plus long que ce qu’on annonce puisqu’on a un partenaire qui s’appelle Enedis, qui doit nous aider à développer ça. Et puis installer une station de vélo, c’est parfois enlever deux places de parking. Et tous les commerçants ne le souhaitent pas. Si vous en connaissez, ils pourront vous en parler… »
L’ambition est claire : changer les habitudes de déplacement, en s’appuyant aussi sur le monde économique. Le dispositif Vélo+ (49 €/mois dont 50 % pris en charge par l’employeur) est ainsi présenté comme un levier concret à activer massivement. « Il faut que les entreprises jouent leur rôle. »
La Ville plaide pour une transformation sociale de l’espace public
Marie Batoux, adjointe au maire de Marseille en charge des mobilités, souligne, elle, la responsabilité sociale et environnementale de la municipalité, malgré son manque de compétences directes : « La ville n’a pas la main sur la voirie ni sur les transports, mais nous sommes interpellés chaque jour par les citoyens. » L’élue, en poste depuis quelques mois, plaide pour une ville plus « vivable » face au réchauffement climatique, et pour un apaisement de l’espace public.
L’accent est mis sur la sécurisation des abords d’écoles, la transformation de l’hypercentre, et la lutte contre les inégalités territoriales dans les quartiers nord, encore très mal desservis. Des expérimentations comme « La Voie est Libre » sur la Corniche, ou des zones 30 autour des établissements scolaires, illustrent cette volonté de repenser l’espace urbain en profondeur. « On ne peut pas envoyer des enfants sur des voiries encombrées de camions. Il faut des pistes sécurisées et continues. Nous devons repenser la ville comme un espace partagé et désirable, et non plus comme un espace dominé par la voiture. »
Les associations, vigies et moteurs du changement par le vélo
Dans la foulée de ces vœux (pieux ?), Christophe Monnier et Olivier Domenach, représentants des associations Vélos en Ville et Adava ont livré des interventions puissantes, ancrées dans l’expérience de terrain et l’urgence climatique.
S’il a salué les efforts entrepris, Christophe Monnier a souligné la faiblesse des infrastructures sécurisées et, plus encore, l’urgence de l’apaisement de l’espace public, deux retards critiques. « Il faut apaiser la voirie. Marseille est trop souvent une jungle urbaine pour les piétons comme pour les cyclistes. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est la sécurité et la continuité. Certains carrefours sont encore mortels. » Le président de Vélos en Ville appelle ainsi à un choc d’offre : « Pas d’infrastructures sécurisées, pas de pratiquants. »
A noter que l’association invite à la fête du vélo, le 15 juin, avec une fermeture aux voitures de l’avenue du Prado, cette « autoroute urbaine ». Un symbole fort qui se veut une manière concrète « de rêver la ville autrement, pacifiée ».
Olivier Domenach (Adava Pays d’Aix) dénonce de son côté l’absence quasi-totale d’aménagements hors de Marseille : « Entre Aix et Marseille, il n’y a pas un seul itinéraire cyclable sécurisé. Et le plan vélo métropolitain reste théorique dans notre secteur. »
Il réclame ainsi la création d’un réseau intercommunal cyclable autour d’Aix, pour capter les 250 000 à 500 000 habitants situés dans un rayon de 10 à 20 km, regrettant par ailleurs l’absence de concertation : « Les autorités compétentes, la Ville d’Aix ou le Département dans le cas qui nous occupe, ils ne nous demandent jamais notre avis. Au mieux, ils nous informent de ce qu’ils ont décidé de faire, mais on n’est pas concerté en amont sur les projets envisageables, sur la façon de faire les aménagements cyclables… Il y a un déficit de démocratie participative qui est un problème. »
Son constat d’usager quotidien à vélo reste, ici aussi, sévère : « Depuis deux ans, le trafic vélo stagne. Pourquoi ? Parce qu’on ne sécurise pas les trajets. Pas d’aménagement = pas de cyclistes. »
Jean-Marc Zulesi : « Le vélo est une solution immédiate »
Lors de la séquence finale, après la tenue de quatre ateliers thématiques, en présence de quelque 200 participants (comptes rendus à suivre), des membres de la conférence nationale Ambition France Transports ont livré leur témoignage. Jean-Marc Zulesi, ancien député et porteur de la loi SERM, a, lui, martelé un message simple : « Le vélo, c’est immédiatement réalisable. Pas besoin d’attendre quinze ans. C’est bon pour la santé, bon pour le porte-monnaie et bon pour l’aménagement de nos territoires. » Un propos applaudi pour sa clarté et sa conviction.
Représentant France Nature Environnement, Jean-Yves Petit a plaidé de son côté pour la pérennité des financements, et lancé un appel fort pour la relance du plan vélo : « Il faut retrouver les 500 millions d’euros initialement prévus pour les pistes cyclables. Cette année, seuls 50 millions sont assurés, et après, ça marche à l’aveugle. »
Des exemples concrets
Marseille et sa métropole, longtemps engluées dans une culture de la voiture omniprésente, amorcent enfin une mutation vers les mobilités douces dans laquelle le vélo prend toute sa place pour penser une ville plus respirable, plus juste et plus apaisée. La preuve.
A Carry, un projet citoyen né de l’urgence locale
Jean-Baptiste Doucet, président de l’association Carry en transition, a ouvert la séance d’ouverture en partageant l’initiative qui a lancé la dynamique actuelle : une mobilisation autour de la question du vélo sur la Côte Bleue. Une enquête révélatrice (800 réponses) a mis en lumière des attentes fortes : 85% des collégiens possèdent un vélo, mais seuls 3% s’en servent pour aller à l’école. En cause : un sentiment d’insécurité massif sur les routes locales, partagé par 90% de la population. Face au sentiment tenace de délaissement de la Métropole dans ses plans mobilité, l’association a convaincu les maires de quatre communes de répondre à un appel à projets de l’Ademe. Résultat : une subvention de 180 000 euros et le lancement concret d’un programme vélo.
Si la mise en œuvre avance, Jean-Baptiste Doucet souligne cependant la difficulté à mobiliser une vraie volonté politique : « Sans courage politique, on n’arrive à rien. »
Le défi vélo Marseille-Nice : un campus en mouvement
Valérie Couteron, responsable de la coordination et enseignement des activités physiques, sportives et artistiques à Centrale Méditerranée, a ensuite présenté un projet inspirant porté par l’établissement : relier à vélo les deux campus de Marseille et Nice. Ce défi, né l’an dernier, a suscité une forte adhésion chez les étudiants et personnels, qu’ils soient cyclistes débutants ou confirmés. Cette randonnée cyclotouriste, qui aura lieu les 6 et 7 juin, s’inscrit dans une dynamique pédagogique et humaine qui vise à promouvoir l’activité physique, mais aussi à faire découvrir la région tout en favorisant la cohésion.
La CCI mise sur l’avenir des métiers du vélo
Enfin, Jean-Daniel Beurnier, vice-président de la CCI Aix Marseille Provence et figure bien connue du monde économique local et de l’écosystème du vélo, a annoncé le lancement d’un centre de formation dédié aux métiers du vélo, prévu pour octobre 2025 à Marseille. Cette initiative s’inscrit dans une double stratégie : accompagner les transitions écologiques (notamment la ZFE – Zone à Faibles Émissions) et créer des emplois. Le centre formera des jeunes à la réparation, à la vente et à la logistique vélo, avec l’appui de partenaires spécialisés comme Pikango et la société Léclé.
« Le vélo, ce n’est pas un loisir, c’est un changement de vie » (Clément Beaune)
Intervenant en video et en conclusion des débats, Clément Beaune, ancien ministre des Transports, désormais Haut commissaire au Plan et directeur de France Stratégie, a souhaité, comme en réponse à son interlocuteur, rassurer sur son soutien au plan national vélo, mené à son époque avec la Première ministre Elisabeth Borne : « Je sais les doutes qu’il y a sur la pérennité de ce plan, mais je veux vous dire mon soutien complet, mon engagement total, encore aujourd’hui, pour soutenir sa dynamique qui a besoin de visibilité et d’engagement dans la durée. C’est ma responsabilité à la tête du commissariat au plan et de France Stratégie et vous pourrez compter sur moi pour défendre encore le vélo et les mobilités douces. »
Plus que les infrastructures, c’est bien un changement de mode de vie que Clément Beaune appelle de ses vœux. « Ce ne sont pas simplement des outils de transport. Le vélo et les mobilités douces sont un vrai changement de vie, pour notre environnement, notre santé, notre climat. » Là-dessus, tout le monde est d’accord.
Liens utiles :
> 4e Rencontres du vélo et des mobilités douces : la mobilisation continue !
> Xavier Miraillès (Lime) : « Nous constatons un véritable engouement pour le vélo »
> Marie Batoux (Ville de Marseille) : « Nous voulons des pistes cyclables qui irriguent la ville »
> Notre supplément vélo & mobilités
> Notre dossier d’actualités consacré aux transports