Le vote du 13 novembre 2025 était attendu avec le secret espoir que la sagesse, la réflexion, la science incitent les députés du PPE, le Parti populaire européen à refuser de se rallier à un front du « backlash » (choc en retour) au Parlement européen. Il n’en fut rien ; toute honte bue, droite et extrême droite ont mêlé leurs voix et les eurodéputés ont approuvé par 382 voix contre 249 la loi omnibus qui détricote la loi sur le « devoir de vigilance » sociale et environnementale des grandes entreprises.
L’objectif de ce rétropédalage serait de « simplifier » les obligations auxquelles font face les entreprises et « de favoriser ainsi leur compétitivité », en particulier en réformant deux textes.

La directive sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D), d’un côté, impose aux plus grandes d’entre elles de prévenir, atténuer, supprimer ou réparer les atteintes aux droits humains et à l’environnement causées par leur activité sur toute leur chaîne de valeur, c’est-à-dire de l’extraction des matières premières à la vente des produits et y compris par leurs sous-traitants. La directive sur le rapport de durabilité des entreprises (CSRD), de l’autre, contraint les entreprises cotées ou de plus de 250 salariés à rendre compte dans un rapport public de leurs impacts sur les enjeux environnementaux et sociaux.
En février, la Commission européenne a formulé sa proposition de réforme ; le Conseil de l’Union européenne, qui représente les États membres, a rendu public sa position en juin. Conformément au processus législatif européen, le Parlement vient donc d’adopter la sienne, à 382 voix pour, 249 contre et 13 abstentions. Les négociations entre les trois institutions, dites en trilogue, ont débuté le 18 novembre. Mais les trois positions reviennent à réduire la portée initialement prévue pour les deux directives. « Nous devons réduire les coûts pour les entreprises afin de revenir à la croissance », a justifié Jörgen Warborn, rapporteur du texte et eurodéputé du Parti populaire européen (PPE).
« Les recommandations actuelles de la Commission semblent traduire un premier recul de l’ambition européenne de créer une nouvelle compétitivité compatible avec notre modèle social et la préservation de nos ressources », a regretté dans CareNews, Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France. Tout en saluant « la démarche de la Commission européenne visant à optimiser la mise en œuvre de certaines réglementations de durabilité du Green Deal », elle a estimé que cette « phase d’ajustements » doit « transformer ces normes en véritables leviers de compétitivité et protéger nos entreprises de la concurrence déloyale » sans « conduire à un renoncement de leur ambition ou à une nouvelle période d’instabilité ».
Selon Care News, « la proposition conduirait à l’exemption de 80 % des entreprises actuellement concernées par la CSRD. Toutes les sociétés de moins de 1 000 salariés avec un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions de chiffres d’affaires ou un total de bilan inférieur à 25 millions d’euros n’auraient plus à réaliser leur rapport de durabilité. »

La Commission entend aussi limiter « de manière substantielle » le nombre d’indicateurs obligatoires à renseigner, notamment en privilégiant les indicateurs quantitatifs. Pour les entreprises exemptées souhaitant quand même réaliser leur rapport de durabilité, la Commission prévoit de définir des standards de reporting volontaires. Les grandes entreprises ou les banques concernées par la CSRD ne pourront plus demander aux petites entreprises de leur chaîne de valeur que des informations mentionnées parmi ces standards volontaires. Elle entend aussi décaler à 2028 les obligations de reporting pour les entreprises qui doivent publier leur rapport en 2026 et 2027 ».
Impact France : une « alliance inédite de la droite et de tous les groupes d’extrême droite »
Si le Medef se réjouit de ce recul habillé en simplification, le mouvement Impact France dans un communiqué copublié avec Action Aid, Bloom, Collectif éthique sur l’étiquette, Reclaim Finance, Sherpa, Oxfam France, Les Amis de la Terre France, la Fédération internationale pour les droits humains, Notre Affaire à Tous, CCFD Terre Solidaire dénonce une « alliance inédite de la droite et de tous les groupes d’extrême droite » qui a permis d’adopter l’« Omnibus I », un texte de dérégulation revenant de manière brutale sur des avancées pourtant cruciales pour la protection des droits humains, de l’environnement et du climat. Sous la pression intense des lobbies et de puissances étrangères (États-Unis, Qatar), ce vote porte un coup très dur au devoir de vigilance européen (CSDDD) qui oblige les entreprises à prévenir et réparer leurs atteintes aux droits humains et à l’environnement.
Cette proposition de la Commission européenne, taillée sur mesure pour les lobbies industriels et jugée potentiellement illégale par une centaine de professionnels du droit européen, remet brutalement en cause certaines règles obligeant les entreprises à prévenir et réparer les atteintes qu’elles causent au climat, à l’environnement et aux droits humains.
« Les parlementaires européens trahissent les valeurs de l’Union européenne »
Dans une alliance inédite qui marque un tournant dans l’histoire du Parlement européen, la droite et l’extrême droite ont démantelé la CSDDD en affaiblissant les positions déjà inquiétantes de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne. Les Républicains de François-Xavier Bellamy ont donc voté avec le Rassemblement National de Jordan Bardella, le parti Reconquête de Sarah Knafo et le parti Identité Libertés de Marion Maréchal Le Pen. Nos organisations dénoncent fermement cette capitulation du Parlement européen face à certains intérêts privés et étrangers. En remettant en cause les protections durement acquises pour les travailleurs et travailleuses, les droits humains et l’environnement, les parlementaires européens trahissent les valeurs de l’Union européenne et ajoutent à l’instabilité législative et à la crise démocratique en cours. »
Vendredi 21 novembre au matin lors des 3e Rencontres de la finance verte organisées par Gomet’, nous ferons le point avec des experts qui scrutent ces évolutions de près. Une table-ronde « Faire face au backlash » est programmée à 9h30 avec quatre intervenants aux regards complémentaires.

Nicolas Haese est économiste, il analyse pour la banque CIC les mutations réglementaires, les évolutions administratives, les transformations de l’écosystème financier et les risques qu’elles portent pour les entreprises clients. Il est responsable recherche-développement durable chez CIC Market Solutions. Clara Williams, est analyste financière. Après plusieurs années passées dans la banque, elle a rejoint Reclaim France, une organisation non gouvernementale de recherche et de campagne fondée en mars 2020 avec pour objectif de mettre la finance au service de la justice sociale et climatique. Elle a particulièrement étudié « l’omnibus » bruxellois et ses conséquences possibles et partagera ses points de vigilance. Jean-Michel Sibué, est directeur associé d’A Plus Finance, membre élu à la Chambre de Commerce et d’Industrie Aix-Marseille Provence et administrateur d’Ambition Capital. Constantin Tsakas, est chef économiste du Plan bleu.
Inscrivez-vous aux 3e Rencontres de la Finance verte vendredi 21 novembre à 8h30
Le programme complet des 3e Rencontres de la finance verte
Document source : la synthèse des travaux du Shift Project
Pour éclairer nos débats nous publions ci-dessous la synthèse des travaux du Shift Project sur la souveraineté par la décarbonation.
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