La métropole d’Aix-Marseille-Provence jouit d’une grande diversité de territoires et de populations, entre urbanité et ruralité. Quel que soit le prisme choisi, les questions qui se posent restent les mêmes ; et les réponses apportées révèlent des contours parfois divergents. C’est précisément pour nous faire comprendre cette complexité que dix spécialistes ont accepté de mêler leurs regards. À travers cinq thématiques, ils dessinent simplement pour nous une métropole multicolore.
[pullquote]Raphaël Liogier, 46 ans
Réside à Marseille, travaille à Aix-en-Provence et effectue régulièrement des allers et retours vers Paris
Sociologue, philosophe, professeur des universités à Sciences Po Aix, enseigne au Collège international de philosophie à Paris, dirige l’Observatoire du religieux[/pullquote]
GoMet’. Définitions. Une métropole : à quelle définition correspond ce phénomène ?
Raphaël Liogier. La globalisation a entraîné deux processus nouveaux. Le premier d’entre eux, la régionalisation, fonde son unité sur l’identité locale. La métropolisation est le second : elle consiste à faire sortir une ville de son centre et de ses banlieues, afin de mettre en mouvement une structure autonome branchée sur le monde global. Ce territoire urbain transcende les logiques dépassées de l’état-nation et se positionne à l’échelle planétaire.
G’. Dynamiques. Comment qualifieriez-vous les dynamiques à l’œuvre au sein d’Aix-Marseille-Provence ?
R.L. Elles sont principalement négatives, avec à leur tête l’opposition entre Marseille la populaire et Aix-en-Provence l’aristocrate. Nous pourrions presque parler d’un rapport de classes sociales, avec des niveaux de richesse inégaux entre les espaces et entre les citoyens. Face à cette réalité, les instances dirigeantes de ces deux territoires nourrissent des intérêts politique et économique bien divergents. Et deviennent le principal obstacle à une continuité de fait. Le secteur des transports en est un exemple flagrant : est-ce normal de ne pas disposer d’un RER entre Aix et Marseille ? Cette intensification des liens immédiats inscrirait nécessairement la métropole sur une nouvelle échelle, plus porteuse. Il ne peut exister de bassin de vie sans communication ; celle-là même actuellement limitée par les égos des élus soucieux à l’idée de perdre leur poste. Or, cette normalisation, qui ferait notamment d’Aix une sorte de quartier du grand Marseille, est favorable à l’intérêt général. Je suis partisan de cette métropole constructive et cohérente.
G’. Perspectives. Quelle en est l’ambition ?
R.L. Exister au regard du monde, pour ne pas y être englobée. L’échelle nationale aujourd’hui n’est plus l’institution prioritaire. Elle s’effondre au profit des dimensions métropolitaine, continentale et mondiale. Aix-Marseille-Provence, si elle veut peser aux côtés de territoires comme ceux de Tokyo, Sydney ou encore Los Angeles, n’a pas d’autre choix que de muer en capitale européenne.
G’. Outils. De quels outils disposons-nous pour porter la métropole vers cette ambition plus grande ?
R.L. Si la force de la raison nous pousse aujourd’hui vers la métropolisation, elle rencontre encore des résistances vives, notamment nourries par une crainte de la nouveauté. La France s’est en effet construite sur l’unité jacobine et centralisée. Cette tradition institutionnelle, depuis la fin des années 1980, a certes tendance à s’effriter ; mais les acteurs politiques profitent du repli populiste actuel pour renforcer leur pouvoir. Face à cela, il nous faut des puissances économiques et populaires capables d’imposer politiquement leurs idées, leurs aspirations, leurs projets. Reste la question du rythme. Et, une fois encore, la distanciation historique entre Aix-en-Provence et Marseille demeure la principale pierre d’achoppement.
Le blocage aixois repose aussi sur une argumentation qui parfois se justifie : la CPA refuse en effet de se laisser avaler par un système marseillais alliant corruption de la classe politique et tribalisation des syndicats. Le potentiel ici est pourtant énorme ! Cette future métropole dispose d’une position géopolitique, géoéconomique, géoculturelle idéale. Elle ne peut continuer à s’enfermer dans de tels réseaux et structures sociales.
G’. Imaginaires. Quels imaginaires sont associés à ce territoire ?
R.L. Chicago, le crime, les réseaux, la drogue, l’islamisation, l’immigration, la corruption, la mafia, la violence, etc. : c’est cela aujourd’hui que nous croyons percevoir de Marseille. Il faut trouver des ressources concrètes pour contrer ces imaginaires négatifs et non conformes à la réalité. Prenons un exemple de cette inadéquation avec les faits : si vous bloquez un système mafieux, considération faite de l’impact social de ce dernier sur les populations en difficulté, vous éveillez presque inévitablement une délinquance potentielle. L’État doit alors prendre ses responsabilités, à travers une alliance subtile entre mesures sociales et répression.
G’. Comment promouvoir un imaginaire positif ?
R.L. La Méditerranée, la Provence et l’Histoire : c’est de cette association-là que ce territoire peut tirer un imaginaire constructif. Il doit d’abord s’affirmer comme une capitale, à l’articulation de la France, de l’Europe et de la Méditerranée. La Provence ensuite peut lui fournir le rayonnement international dont il a aussi besoin pour se développer : cet espace affiche en effet ses caractéristiques régionales au-delà de ses limites géographiques. Quatre zones françaises jouissent ainsi d’une réputation mondiale : Paris, le Mont Saint-Michel, la Côte d’Azur et donc la Provence. Enfin, n’oublions pas l’histoire de Marseille, cité la plus ancienne de France, l’une des plus anciennes d’Europe et du Monde. Elle dispose ainsi, et avec elle l’ensemble de la métropole, d’un avantage considérable sur la capitale parisienne. Il faut y aller !
Ce que GoMet’ en retient
La métropole est une structure urbaine et autonome branchée sur le monde global. Les oppositions historiques et de classes sociales entre Aix-en-Provence et Marseille ralentissent le processus d’unification de ce territoire particulier. Communication et continuité sont pourtant indispensables à l’existence quotidienne de bassins de vie ainsi qu’au développement économique. Aux imaginaires négatifs, Aix-Marseille-Provence doit opposer un triptyque attractif, à savoir la Méditerranée, la Provence et l’Histoire ancienne.