La métropole d’Aix-Marseille-Provence jouit d’une grande diversité de territoires et de populations, entre urbanité et ruralité. Quel que soit le prisme choisi, les questions qui se posent restent les mêmes ; et les réponses apportées révèlent des contours parfois divergents. C’est précisément pour nous faire comprendre cette complexité que dix spécialistes ont accepté de mêler leurs regards. À travers cinq thématiques, ils dessinent simplement pour nous une métropole multicolore.
[pullquote]Nathalie Marteau, 50 ans
Marseille, originaire de l’île de Ré
Formation de sociologue, anthropologue, urbaniste
Directrice de théâtres pendant 20 ans, ex-directrice du Théâtre du Merlan (pendant 10 ans)[/pullquote]
GoMet’. Définitions. De quelle signification est porteuse la métropole ?
Nathalie Marteau. Elle est double. La première, celle dont je me sens la plus proche, s’appuie avant tout sur les gens qui y vivent pour désigner ce territoire. La seconde, à mon sens bien artificielle, désigne ce même espace à travers des considérations proprement géographique et politique.
G’. Dynamiques. Racontez-nous les vibrations qui animent Aix-Marseille-Provence.
N.M. Je ne peux répondre que de manière très intime, à la lumière du rapport particulier que j’entretiens, comme chacun d’entre nous, avec un espace défini. Et, à plusieurs égards, ce territoire est particulièrement surprenant . Il y a d’abord cette relation quotidienne entre l’urbanité et la nature. Originaire de la côté Atlantique, je suis avant tout une fille de l’océan. En m’installant ici, j’ai d’abord associé la mer à une grande piscine sans odeur. Marseille s’est ensuite imposée à moi aussi à travers cette Méditerranée que j’ai appris à apprécier.
Il y a ensuite cette présence du monde perceptible dans chaque coin et recoin : la Pointe Rouge pourrait tout à fait habiller l’horizon de Beyrouth, la Ciotat s’étaler sur les cartes postales grecques et crétoises, certains quartiers marseillais se fondre au cœur de cités africaines… À ces paysages internationaux répondent des cultures et des façons de vivre. C’est là peut-être la troisième image frappante ; ces différences socioculturelles qui défient les lois géographiques et les distances. J’ai parfois la sensation qu’il existe davantage de similitudes entre Bamako (que je connais également) et Marseille, qu’entre cette dernière et Aix-en-Provence. Ce n’est qu’un exemple : cette perception concerne l’ensemble de la métropole.
G’. Perspectives. Ces distorsions vous inspirent-elles de nouvelles perspectives pour le territoire ?
N.M. Au cœur de ces distances-là, plus sensibles que géographiques, se devine l’un des enjeux premiers de cette métropole : comment faire cohabiter sur un même espace objectif des paysages et des usages bien plus divers que ne pourraient le laisser croire les effets de voisinage ? À titre d’exemple, le géographe Luc Gwiazdzinski, avec lequel j’ai collaboré dans le cadre de mes fonctions au Théâtre du Merlan, a élaboré une carte des villes basée sur les distances entre les dessertes SNCF ; il en a résulté une image déformée du fait de la vitesse plus ou moins importante des trains. Ici aussi, c’est à une autre carte qu’il nous faut travailler : liée aux usages. Cela implique d’attacher davantage d’importance à la dimension culturelle et à l’idée du collectif.
G’. Outils. Comment développer cette carte des usages ?
N.M. La planification urbaine ne passe pas uniquement pas de la normalisation. Elle repose aussi sur l’affirmation des liens sous-jacents à un territoire. La Duranne, située derrière Plan de Campagne, en fournit une illustration intéressante : s’y côtoient constructions de type habitats, bureaux, cœur de village, zones nouvellement urbanisées… Comment des plasticiens pourraient-ils concevoir une signalétique propice à la naissance d’un lien identitaire au sein précisément de cet espace ? C’est la problématique à laquelle j’ai essayé d’apporter une solution pratique, dans le cadre d’un Master d’urbanisme. Il devient prioritaire de réfléchir à ce point de jonction entre aménagement du cadre de vie et dimension artistico-culturelle.
G’. Imaginaires. L’imaginaire : est-ce là une porte d’entrée pour tisser ce lien ?
N.M. J’en reviens à mon propos initial : chaque individu est porteur de son propre récit du territoire. Et l’imaginaire nourrit aussi ce vécu qu’il lui fait poser sur la métropole un regard forcément sensible. Aussi nombreuses sont les existences, aussi multiples sont les points de vue.
Le monde politique éprouve encore de grandes difficultés à intégrer cette dimension-là à ses réflexions et à ses ambitions, lui préférant l’angle statistique. Or, la mise en résonance de ces narrations particulières, loin des calculs savants, est indispensable à l’identification d’une histoire commune. De cette révélation à la collectivité des récits intimes, presque au sens photographique du terme, peuvent surgir des liens, autres que ceux initiés par les réseaux de transport. Les artistes et les créateurs peuvent impulser et faciliter ces prises de paroles porteuses d’un renouveau collaboratif et collectif. Reste à retrouver la confiance indispensable.
Ce que GoMet’ en retient
Une métropole n’existe pas sans les gens qui y vivent. Sur le territoire d’Aix-Marseille-Provence, cultures et paysages du monde entier se sont donnés rendez-vous. Là se situe l’enjeu principal : faire cohabiter les différences au sein d’un espace géographiquement restreint. La dimension culturelle peut contribuer à mettre en oeuvre ce positionnement sensible au sein même du cadre de vie, soutenue en cela par l’implication des créateurs et des artistes susceptibles d’encourager l’écriture d’un récit collectif du territoire.