Dans l’univers atone du crowdfunding, la proposition d’Amandera d’une levée de fonds en capital de 700 000 € en pleine période d’incertitude sanitaire et économique semble un pari fou. Les initiateurs ne sont pas dans ce temps court-termiste. Ils proposent d’investir pour planter des arbres, qui porteront leur première récolte significative dans cinq ans. Frédéric Lagacherie, à l’origine du projet, est un passionné de la cause environnementale depuis son plus jeune âge. Depuis 2015, il a rejoint Forest Finance France, une société d’ingénierie et de gestion de projets durables avec des actions d’agroforesterie au Pérou, de reforestation en Guyane, d’agroécologie en France basée dans l’Aveyron. Au Pérou, FFF qui devient « Amasisa » a, par exemple, développé la culture du cacao et une filière commerciale ad hoc. Le pari est d’inventer un équilibre économique pour des projets écologiques de reforestation. FFF a choisi délibérément le statut de société commerciale, mais avec le statut d’ESUS, et recherche pour chaque projet un financement spécifique en crowdfunding avec Wiseed et auprès des organismes de finance solidaire et d’épargne salariale en particulier la filiale du Crédit Agricole Amundi.
L’agriculture intensive dégrade les sols et induit de plus en plus d’apports chimiques
Pour le projet d’amande aixoise, il a été rejoint par un fils d’agriculteur de Perpignan, Rémy Frissant issu d’une des familles pionnières engagées dans l’agriculture biologique. Il a œuvré dans le milieu coopératif via la Scoop Ethiquable pour développer le commerce équitable en France. Par la suite, il a accompagné des coopératives dans la conversion bio des filières arboricoles et maraîchères des Pyrénées-Orientales.
Le duo déplore une agriculture intensive qui dégrade les sols et induit de plus en plus d’apports chimiques. « Les sols sont morts, constate Frédéric Lagacherie, ils sont compactés, imperméabilisés, et n’ont plus de vie bactérienne. La biodiversité disparaît : insectes, vers de terre, oiseaux, ont déserté ».
L’amandier, puis demain la noisette, leur est apparu, à l’écoute de chocolatiers comme Valrhona ou des fabricants de calissons comme Olivier Baussan des Calissons du Roy René, une opportunité. Aix-en-Provence était au XIX° siècle la plaque tournante de l’amande.
La domination de l’amande d’outre-Atlantique
Nous grignotons chaque année 58 000 tonnes de fruits secs, amandes, noisettes, pistaches, dont une grande partie provient des États-Unis, Iran, Turquie, Italie et Espagne, alors que la France n’en produit environ que 13 000 tonnes. La consommation nationale représente 25 000 tonnes, les producteurs français ne récoltent que 700 tonnes par an d’un produit dont la demande est en croissance avec les confiseries, nougats, chocolats et apéritifs. Les amandes que nous consommons viennent à 85 % de l’agriculture intensive américaine en Californie.
Depuis 2018, Amandera sélectionne donc des terres dégradées pour y développer des projets agroécologiques de fruits secs. La première exploitation en Provence se fera sur les terres de Jean-Pierre Estienne d’Orves, propriétaire avec ses héritiers d’une vingtaine d’hectares sur la commune d’Aix vers Rognes. La hoirie a signé un bail longue durée de 25 ans et l’équipe d’Amandera y développe une agriculture régénératrice où l’observation des insectes, des oiseaux, de l’enherbement a autant d’importance que la récolte des amandes. Pour trouver ou retrouver les bons « cépages » et ne pas utiliser les espèces intensives américaines Amandera privilégie les variétés françaises et leur diversité avec une quinzaine d’espèces différentes plantées au Pays d’Aix. Pour économiser l’eau une irrigation en goutte à goutte enterré a été installée.
Ce projet agricole et économique, cet agrosystème repose sur des principes forts de l’agriculture biologique et s’impose des pratiques mesurables sur :
- Les ressources hydriques
- La restructuration des paysages
- La vie du sol (le non-labour),
- Le retour de la biodiversité (haies diversifiées, nichoirs, hôtels à insectes)
L’objectif écologique explique Amandera, « est de permettre le retour de sols vivants, en maximisant la séquestration carbone, en améliorant la rétention en eau des sols, et en nous interdisant le labour. Nous devons combiner géologie, agriculture, économie et agronomie. Il faut choisir les sols en fonction du projet, et valider que les itinéraires techniques pourront ensuite permettre leur revalorisation. »
Amandera : Combiner géologie, agriculture, économie et agronomie
Le binôme est devenu aixois : Frédéric Lagacherie est P.-D.G. et Rémy Frissant directeur général sont aux manettes d’une société immatriculée dans un centre d’affaires. Pas de ferme pour l’instant, pas d’équipements coûteux, Amandera travaille avec un prestataire de service agricole. Pour grandir et atteindre une taille critique, le modèle n’est pas figé, il peut s’agir de propriétaires qui veulent confier leurs terres à de bons éco-agriculteurs, « des propriétaires terriens engagés » ou de paysans en fin de carrière qui souhaitent céder leurs biens (33% de paysans français ont plus de 55 ans). Des discussions sont en cours toujours dans la région aixoise pour 40 hectares en fermage issus d’une vieille famille agricole.
La levée de fonds en capital par Wiseed se fixe 700 000 € d’objectifs avec un pallier de 300 000 € « Notre besoin de financement, explique à Gomet’ Frédéric Lagacherie est d’un million d’euros. Nous devons investir et exploiter avant que les amandiers ne soient à maturité au bout de 4 ou 5 ans. Les fonds propres serviront au financement des charges d’exploitation jusqu’à l’arrivée en pleine production des amandiers. Ils permettront d’aller chercher un levier bancaire auprès de notre partenaire historique, le Crédit Agricole Paca et Nouvelle Aquitaine, pour le financement de l’ensemble des investissements matériels (foncier, plants, système d’irrigation, matériel agricole, etc.) »
La levée sur Wiseed est bien partie puisque le seuil des 300 000 € vient d’être dépassé avec plus de 400 contributeurs. Les promoteurs veulent aussi diversifier vers d’autres fruits secs : la noisette en Aquitaine et la pistache en Provence.
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