Cadavres exquis, écriture automatique, toiles antifascistes, téléphones arabes sous forme de dessin, peintures dénonçant la répression civile ou la sous-représentation des artistes femmes… Ces œuvres collaboratives forment l’exposition Amitiés au Mucem. Justine Bohbote, conservatrice référente de l’exposition, raconte sa conception au micro de Gomet’.
Amitiés part de l’idée selon laquelle « quand on crée de manière collective, on est plus inventifs et on peut s’engager ensemble politiquement », explique Justine Bohbote. Les œuvres qui y sont présentées témoignent en effet d’un engagement collectif de l’histoire politique du 20ème siècle. Ces créations sont parfois le fait de rencontres ponctuelles lors d’une soirée, parfois de longues amitiés. On trouve dans cette exposition beaucoup de jeux créatifs, sans démarche commerciale. Le parcours met en valeur des anonymes ou des artistes peu connus, aux côtés de grands maîtres.
L’exposition se divise en cinq sections : les cadavres exquis surréalistes, les engagements politiques, les preuves de l’amitié, les évènements, le rire et l’obscénité. L’album zutique, première œuvre du parcours, créé après la commune de Paris, annonce toute l’exposition car elle est le fruit d’une écriture collective, née dans un contexte révolutionnaire. « Rimbaud, Verlaine et compagnie se sont regroupés à l’hôtel des étrangers à Paris et ont fumé et bu pour créer cet album zutique », contextualise la conservatrice.
Les cadavres exquis surréalistes
La première partie de l’exposition montre donc des cadavre exquis, procédé d’écriture à l’origine. Un premier artiste commence à dessiner sur une partie de la toile, puis il cache ce qu’il a fait et les prochains artistes complètent à leur tour sans voir le dessin précédent.
Parmi ces cadavres exquis se cache en vérité un intrus à l’esthétique dalinienne, que l’on soupçonne d’être faux car il montre une telle continuité, une telle unité visuelle et stylistique que l’on pense que les artistes voyaient ce que dessinaient les autres.
Les engagements politiques
La deuxième partie politique commence par l’œuvre qui au centre de l’exposition sans avoir pu être exposée car cette toile antifasciste était si grande qu’elle ne passait pas les portes. Elle a été créée en réaction au viol médiatisé d’une militante du FLN torturée par l’armée française pendant la guerre d’Algérie.
Une autre œuvre démontre un engagement féministe. C’est une affiche des guerilla girls, le fameux groupe de militantes new yorkaises dénonçant l’invisibilité des femmes artistes dans les lieux d’arts. Les militantes ont organisé des manifestations dans rues et musées, pour lesquelles elles étaient recouvertes par des masques de gorilles pour être anonymisées, certaines étant des artistes de renommée. C’est donc leur affiche iconique qui est ici exposée : elle dénonce le fait qu’une grande majorité des femmes exposées au MET Museum sont nues, et représentées en peinture alors que peu d’artistes femmes sont exposées.
Une autre œuvre politique des années 80, aussi créée par une femme, de son nom ironique « Lady Pink », est exposée. Elle affiche le message : « Ne tirez pas sur les civils ». On y voit un grand char menaçant, des flammes et un milicien encagoulé. Un montage vidéo des années 50/60 défile en boucle sous les yeux des spectateurs. Les artistes de la Beat Generation y revendiquent la libération morale. Ils avaient un mode de vie libertaire : ils se droguaient et revendiquaient leur homosexualité. Des images et une musique répétitives qui mettent le spectateur “en transe” sont montrées par ces artistes. Leur objectif est de rentrer en état hallucinatoire par les drogues ou d’autres procédés.
Les preuves de l’amitié
Les surréalistes, obligés de fuir l’Occupation et la France pendant la seconde guerre mondiale, ont débarqué à Marseille où ils ont crée un jeu : le dessin communiqué, un genre de téléphone arabe du dessin. Un premier artiste dessine, le prochain voit le dessin quelques secondes, le reproduit avec son propre style et le montre au suivant.
La conservatrice nous présente ensuite une œuvre inspirée du fauvisme et de l’expressionisme allemands. Les artistes, kes “nouveaux fauves”, y dénoncent la situation politique en Allemagne de l’Est pendant la deuxième partie du vingtième siècle. Une scène de cowboy avec des indiens y est représentée.
Une autre œuvre est le fruit d’une amitié de longue date : un hommage rendu à l’artiste allemand iconique Beuys à sa mort, par son grand ami coréen Nam June Paik. On retrouve le chapeau en feutre que Beuys portait tout le temps, et des œuvres qu’ils ont produites ensemble.
Les évènements
Une des œuvres de cette quatrième partie est un paravent surréaliste, qui est présenté pour la première fois dans un musée. Ce paravent est signé par tous les artistes ayant gravité autour du surréalisme en 1937. On y retrouve de nombreux artistes célèbres : Miro, Magritte, Picasso, Dali…
Une autre création, double relief, se compose de panneaux à doubles faces, eux aussi signés par de nombreux artistes inscrivant le lieu où ils se trouvent et une couleur de leur choix.
Le rire et l’obscénité
De nombreux jeux de mots et allusions sexuelles composent cette dernière partie de l’exposition. Des toiles de Ben sont exposées. Une autre création est le fruit d’un processus d’artistes : ils ont cassé un réveil et en ont récupéré les pièces du mécanisme afin de les tremper dans de l’encre et de recréer le système digestif, suivant l’idée que l’homme est une machine.
Un tampon géant à forme phallique est au centre de cette dernière salle de l’exposition.
L’exposition se clôture par un morceau de jazz, musique emblématique de la création collective.
Informations utiles :
Tous les renseignements ont été fournis par Justine Bohbote, conservatrice
Mucem, J4— Niveau 2
Du dimanche 16 octobre 2022 au lundi 13 février 2023