Il n’est même pas neuf heures que tout le monde s’active déjà devant la barre d’immeuble A de la cité du Parc Corot. Pour les habitants de ce bâtiment situé dans le 13e arrondissement de Marseille, c’est le deuxième jour de déménagement, entamé le 29 novembre. L’édifice orange de 96 logements sur 12 étages, géré provisoirement comme tout Corot – excepté le D – par un administrateur judiciaire depuis janvier 2017, fait l’objet d’un arrêté d’insécurité imminente lié à un système électrique dangereux et pris par le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin le 23 novembre.
Branchements sauvages, inadaptés… Les habitants sont soulagés de déménager et n’ont que faire du vent hivernal et de la pluie automnale qui s’abat en ce dernier vendredi de novembre. Au troisième étage, Céline est soulagée, pour elle, son conjoint et ses trois enfants en bas âge. Les déménageurs sont déjà venus chercher ses cartons. Au milieu des quelques affaires qu’il reste dans le salon et la chambre parentale, elle explique qu’elle « ne peut pas tout emmener à cause des punaises de lit et des cafards ». « J’ai peur que ça s’effondre », fait-elle part en pointant le plafond, gondolé, humides voire même moisi dans la salle de bain. « Ici on partage ensemble nos rêves, nos joies, nos pleurs, nos vies quoi ! », est-il écrit sur le mur du salon. Un chaton noir se faufile, craintif, entre les inconnus venus visiter le T3 à 470 euros le mois. Céline ne partira pas sans ses trois animaux. Elle reviendra les chercher dans les prochains jours, après s’être installée dans son nouveau toit aux Gênets – à 10 minutes – dont elle n’a toujours pas vu la couleur.
10 familles relogées en deux jours
À l’intérieur de l’immeuble, on constate quand même bien plus que des branchements dangereux décris sur le papier estampillé Ville de Marseille. Salima au quatrième depuis un an ne cesse de raconter ce jour où le plafond de sa salle de bain lui est tombé sur la tête. « Depuis, la propriétaire n’est même pas venue constater et n’a même pas refait les travaux. J’appelle pour l’alerter. Je ne ramasse même plus », raconte cette mère de cinq enfants, dépitée en montrant l’amoncellement de débris devant sa baignoire. « Ils ont mis un faux plafond (pour cacher les dégâts), l’eau coule dans la cuisine… ». Depuis, Salima s’est réfugiée chez sa voisine du premier et refuse de continuer à payer son loyer, de 650 euros, depuis six mois. Elle réclame des quittances de loyer que sa propriétaire lui refuse. « Elle a besoin de moi pour l’argent mais j’ai besoin d’elle pour les travaux ».
Salima doit aussi être relogée le 30, comme six familles et quatre autres le 29 – environ 30 foyers ont un bail. Où ? Elle ne sait toujours pas. À quelle heure ? Non plus. « Mercredi c’était aux Lauriers et hier on m’a dit à Frais-Vallon ». Elle sait seulement que l’appartement possèdera trois chambres. « Les personnes qui ont déménagé hier sont restées sans électricité et sont retournées ici pour dormir », renchérit-elle. En l’écoutant, Alexandra Louis, députée de la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône, « Madame Alexandra » comme Salima la nomme, est exténuée. Cela fait plusieurs fois qu’elle rend visite aux personnes du Parc Corot depuis le début de son mandat pour alerter. Elle connaît la situation de Salima et l’aide à poursuivre son bailleur. « La mairie est informée de cette situation, tout le monde l’est. On se contente de faire une mise en demeure au propriétaire. On l’évacue uniquement grâce à l’arrêté, sinon elle serait encore là », s’exclame la députée.
Alexandra Louis : « Il devrait y avoir des gens ici pour leur expliquer »
À la sortie de l’appartement de Salima, dans les couloirs extérieurs qui relient les lots entre eux, Alexandra Louis explose. « Aujourd’hui, il devrait y avoir des gens ici pour leur expliquer. Ce sont des gens déjà précaires, ce sont des cibles de marchands de sommeil et on les trimballe d’un endroit à un autre. Ce n’est pas comme ça qu’on traite des gens. Il devrait y avoir des travailleurs sociaux, des agents de la mairie. Même Madame Fructus devrait être là aujourd’hui ! », s’indigne la députée. Elle se frotte le visage : « Je suis en colère sur beaucoup de choses par rapport au Parc Corot, je suis limite à bout ». Au 7e étage, une femme ne sait pas encore quand elle déménage. Elle confie qu’elle n’a pas aucun contact avec les services d’aides depuis qu’elle a refusé un logement, parce qu’il était trop loin de son travail. « Ça me désespère », lâche Alexandra Louis en sortant. Elle regarde la tour C en face. « Je vais pousser pour qu’on détruise la A et la C ». Pour le moment, le syndic’ a ordre de rénover la A, selon un policier. Le téléphone sonne, c’est Salima. Elle dit qu’elle ne déménage que cet après-midi et que c’est à elle d’aller chercher les clés.
En bas de l’immeuble, les enfants de Salima jouent, au milieu des déménageurs, des policiers, mobilisés pour encadrer le relogement, et des journalistes. Leur mère est descendue discuter avec des médiateurs, elle garde le sourire malgré son inquiétude. À l’écart de toute l’agitation, Samir observe l’immeuble. Avant, il vivait au rez-de-chaussée depuis sa naissance en 1972. « À l’époque, pas n’importe qui y habitait. Mon père était chauffeur routier, il avait un peu des connaissances… », se rappelle l’homme de 46 ans. Après avoir déménagé plus loin, Samir est revenu travailler au A en 1996 en tant qu’agent d’entretien. Il décrit les portes qui fermaient les coursives en ce temps. « Je mettais des grillages, je peignais la cage d’escaliers l’après-midi pendant mon temps libre, petit à petit. Personne n’est venu m’aider et quand j’ai vu que j’avais aucune reconnaissance, j’ai laissé tomber ». Finalement, il quitte son travail en 2010 alors que la situation continue de se dégrader.
« Tout le monde a fermé les yeux »
Pour Samir, c’est la faute à beaucoup de monde : certains copropriétaires qui refusaient de faire des travaux, les squatteurs, en majorité dans l’immeuble qu’il pointe parfois en les voyant passer, les politiques qui « venaient juste pour les élections » … « On est en France, les gens sont accueillis comme ça dans ces conditions. La copropriété peut avoir des difficultés mais il faut intervenir. On a laissé faire les choses. Tout le monde a fermé les yeux ». Samir cite les travaux entrepris à Marseille : le Vélodrome, les Terrasses du Port… « Et pourtant la misère est juste à côté » en référence aux deux effondrements d’immeubles à la rue d’Aubagne le 5 novembre.
Les déménagements sont stoppés pour le week-end et reprendront lundi. Dans un communiqué envoyé le 30 novembre, la Ville de Marseille affirme que « 18 ménages titrés sur les 31 du bâtiment, auront ainsi bénéficié d’un déménagement et d’un relogement grâce, notamment, au soutien des bailleurs sociaux » entre le 29 novembre et le 4 décembre. « L’ensemble des habitants non titrés présents dans le bâtiment devront être pris en charge par les services de l’État », ajoute la Ville.