« Annus horribilis » ! L’expression si latine, est pourtant entrée dans la mémoire collective par la perfide Albion. Sa majesté Elisabeth II, l’utilisa en 1992, pour qualifier une année où la famille royale avait rempli, pendant douze mois, les gazettes et particulièrement les tabloïds que l’on sait féroces Outre-Manche.
Marseille aura donc eu la sienne, même si la reine de l’embrouille n’a fait en l’occurrence que perpétuer une tradition où le mélange des genres, les petites combines entre amis, les coups de gueule et les coups de poignards, font le délice des comptoirs (lorsqu’ils ne sont pas interdits) ou des salons qui se délectent des opprobres autant que des rumeurs.
Au commencement de cette année 2020, il y eut donc la promesse d’un Printemps. Il avait un prénom et un nom prometteurs. D’archange pour terrasser les vieux démons marseillais. Et d’une pierre précieuse, avec laquelle on pourrait enfin payer les efforts de la gauche et des associations mobilisées contre l’injustice, le mal vivre, l’habitat indigne, l’insécurité… Liste bien évidemment non exhaustive pour ceux qui la déclinaient. On l’affichait impérieuse : « Michèle Rubirola est là » disaient les 4×3. Et pas encore lasse, comme le dirait la suite. Certes, les vieilles machines à perdre – PC, PS – étaient aussi là. Certes les Insoumis exigeaient, avec leur leader lointain, quelques garanties. Certes, les écolos étaient dispersés, comme souvent, façon puzzle.
Mais, juré, promis, cela bourgeonnait malgré ces troncs usés et puis, nom d’une urne, les citoyens allaient faire ciment, même si les apparatchiks avisés bétonnaient en douce les listes
Mais, juré, promis, cela bourgeonnait malgré ces troncs usés et puis, nom d’une urne, les citoyens allaient faire ciment, même si les apparatchiks avisés bétonnaient en douce les listes, ne laissant que quelques miettes aux associatifs un peu hâtifs dans leurs espérances. Ainsi va la vie politique, puisque, quoiqu’en disent les naïfs, c’est un métier. Michèle Rubirola serait donc l’alibi commode, pour prendre d’assaut le petit palais où seule l’expression « monsieur le maire » avait été jusque-là gravée dans le marbre.
Médecin, habituée des familles en détresse, inscrite dans une chorale, habitant l’ancien quartier ouvrier du Rouet, écologiste convaincue, la dame ferait l’affaire pour succéder à Defferre, Vigouroux, Gaudin. D’autant que la droite repue avait du mal à digérer ses luttes fratricides, sous le regard indifférent et désabusé de son pape perclus de goutte autant que peu enclin au doute. Jean-Claude ne voyait pas qui de Vassal, Muselier, Teissier, Boyer, Moraine, Gilles pouvait prétendre accéder au trône, qu’il avait mis un quart de siècle à conquérir. Il laissa donc le fruit envahi par tous les vers de la discorde, d’autant que sa mandature s’achevait sous les quolibets de ceux-là même qui lui avaient tant ciré les escarpins.
Ce fut donc en deux hoquets de l’Histoire, un Printemps qui s’imposa en cette année confinée autant que consternante
Ce fut donc en deux hoquets de l’Histoire, un Printemps qui s’imposa en cette année confinée autant que consternante. Avec des débats politiques avortés, escamotés, confisqués. Une pandémie galopante et l’émergence d’un gourou, fils d’Hippocrate qui vouait aux gémonies les hypocrites qui nous gouvernent comme ceux qui les manipulent. Un drôle de druide, le professeur Didier Raoult, autrefois président d’Université, mais frustré de la gloire qu’il proclamait méritée puisqu’il se rangeait lui-même dans les scientifiques que le monde entier nous enviait, sans pour autant les nobéliser. Assurant sa propre promotion, il fut un pourfendeur impitoyable de tous ceux qui ne partageaient pas ses convictions, son travail, sa recherche, ses remèdes, sa réussite. Les Pujadas, El Krief, Bourdin et autres Ferrari passèrent au laminoir de sa suffisance et furent renvoyés à leurs chères études. Marseille avait retrouvé son buteur, une étoile était née, une légende pouvait à nouveau s’écrire. Ce numéro tout neuf allait reléguer la Covid en deuxième division. C’était écrit. En tout cas le patron de l’IHU l’affirmait urbi et orbi en excommuniant toute dissidence.
Benoîtement, (il nous pardonnera), Payan raflait la mise et avançait sa copie, en élève studieux qu’il fut quand il s’opposait au professeur des Maristes.
Et puis il y eut l’été, les folles soirées en terrasses, les compressés des heures festives, le virus qui s’invite sur la piste. Marseille montrée du doigt, sanctionnée, punie. Une constellation d’espoirs réduite à une longue consternation et le désespoir qui reprend place dans les rues qui se vident, les rideaux qui se baissent, les métiers de bouche priés de la fermer, jusqu’à nouvel ordre. Misère. L’homme providentiel devint santon. On l’installa juste à côté du Ravi de la crèche et on pria Marie d’être bonne maire puisque, méprise sur le gâteau, l’éphémère Rubirola rendait son tablier et se détournait de la cuisine électorale. Benoîtement, (il nous pardonnera), Payan raflait la mise et avançait sa copie, en élève studieux qu’il fut quand il s’opposait au professeur des Maristes. Gaudin lui donnait l’onction, semant un peu plus la confusion chez ceux qui avaient cru qu’un Printemps était encore possible.
On parlera de passe-passe, d’imposture, de tromperie sur la marchandise. La droite pouvait l’affirmer d’autant qu’elle a dans le domaine une expertise inégalée. La gauche archipellisée se contentera de cet « il », puisque la belle d’un jour a passé son chemin. On peut ressortir les jeux anciens et revenir au pays réel. Celui où l’on marchande son soutien pour l’appellation inédite de « maire adjointe », où le syndicalisme s’entête à perdurer avec le clientélisme, où il est urgent d’attendre pour en finir avec les cancers qui rongent la ville, où on désignera l’Etat du doigt puisqu’il continue à mettre à l’index la deuxième ville de France. A moins que Marseille fasse le pari de Guevara en étant réaliste pour exiger l’impossible. Pour vivre ce que Gustave Flaubert avait ressenti : « on y respire content ! ».