Nice a sa salade… niçoise évidemment. Marseille sa soupe… la bouillabaisse. Mais les deux villes ont en commun un des plats préférés des Français – avec le poulet-frites et le bœuf bourguignon – le couscous. Et tout ça malgré son atavisme tunisien, algérien, ou marocain. Une poignée reproche à ce met convivial autant que festif le mélange qu’il magnifie autant que ses origines qu’il célèbre. Légumes, viandes, poissons, épices, graine selon les goûts et les moyens de chacun. Un melting-pot revendiqué par beaucoup mais honni par les intégristes de la poule au pot, du béret basque, de la baguette et de l’accordéon.
Benoît Payan, le maire de la ville « porte du Sud », s’est retrouvé la cible il y a quelques semaines de cette frange bien-pensante de la population qui, la bave aux lèvres, est venue cracher dans le couscoussier. Les hostilités ont commencé alors que l’été s’alanguissait dans les rues du centre-ville.
Le maire fut invité à une de ces tables pour savourer ce fameux couscous
C’était pendant le festival Kouss-Kouss qui, fin août et début septembre, proposait quelques moments festifs avec ce plat réjouissant qui appelle au partage autant qu’au métissage. Le maire fut invité à une de ces tables pour savourer ce fameux couscous qui a détrôné depuis si longtemps le sacro-saint pot au feu. La sauce piquante n’est pas passée pour quelques excités qui se sont déchainés sur le réseau X pour menacer Benoît Payan des pires châtiments. Un photomontage est allé jusqu’à évoquer une possible exécution. L’élu est resté dans la mesure faute de pouvoir identifier les glorieux anonymes qui le menaçaient : « Marseille est une ville du vivre-ensemble et nous ferons tout pour que cela continue, malgré les intimidations, extrême droite ou pas.»
Personne n’est dupe du sens de ces attaques haineuses. L’extrême droite a ainsi relayé ce qui aurait pu n’être qu’un incident fomenté par quelques empêcheurs de déguster en rond. Stéphane Ravier (ex-FN-RN-Reconquête) ne pouvait manquer l’occasion de dénoncer ce melting-pot culturel revendiqué par la gauche marseillaise.
Il l’abhorre et le lie immanquablement au cultuel : l’Islam qui submerge la ville selon lui, avant de l’engloutir. Ainsi lorsque le maire a présenté un projet de mosquée à Frais-Vallon, il s’est amusé de lire dans le dossier des recommandations architecturales qui parlent de « développement durable ». Prétendre qu’il serait seul à être islamophobe manquerait de lucidité. La marée n’est pas encore à son plus haut niveau, mais les courants sont puissants. Jusque-là, la digue municipale avait cependant tenu et repoussé au large les malveillants.
Mais la politique est comme la gastronomie. Il suffit d’un mauvais ingrédient pour tout gâcher.
Une « boulette » par exemple comme celle commise par le maire. Elle est venue décomplexer ceux qui faisaient des messes basses et partager sans le dire les charges à la hussarde des Ravier et autres Allisio (RN). Une fois de plus la religion s’est invitée à cette peu saine table.
La ligne Maginot de la laïcité face au « Sacré-Cœur »
Benoît Payan, défaillant dans sa communication ou mal informé par ceux qui l’entourent, a cru bon d’interdire à une heure de sa projection un film qu’il n’avait pas vu, « Sacré-Cœur ». Il lui a opposé la ligne Maginot de la laïcité. Présentée comme un chef d’œuvre par les panzers médiatiques de Vincent Bolloré (CNews, Europe 1, le Journal du Dimanche, Paris-Match, Valeurs Actuelles …), la « docu-fiction » d’1h35 n’attendait pas d’être boostée de la sorte. Réalisée par un couple énamouré de Jésus, Steven J. Gunnell et son épouse Sabrina, le film s’enorgueillit désormais du score très honorable de 300 000 entrées dans l’Hexagone. Steven a connu la gloire avec un Boys Band, Alliage, au début des années 2000 avant de sombrer dans l’alcool, la déprime et l’oubli. La pratique religieuse l’a sauvé après une révélation à Nice devant Sainte-Rita, la patronne des causes perdues.
Les mouchoirs séchés on peut légitimement s’interroger sur la démarche du couple qui à travers « Sacré-Cœur » glorifie la puissance pacificatrice du christianisme et la nécessité de parler d’amour portés par des relais puissants où le mot « fraternité » est interdit de séjour. Les Gunnel travaillent pour la chaîne KTO, sont soutenus outre Boloré par Pierre Edouard Stérin milliardaire et catholique intégriste (1) réfugié fiscal en Belgique et tout un mouvement identitaire dont le journaliste Jean-Pierre Denis dit, dans La Croix, qu’il est « la maladie sénile d’un christianisme occidental déjà profondément sécularisé ».
Benoît Payan aurait dû le savoir ; la religion sanctifie ses martyrs et censurer « Sacré-Cœur » c’était offrir sous les projecteurs de médias militants la couronne d’épines qui manquait au film. D’autant qu’interdits d’affichage dans le métro parisien, les Gunnel avaient déjà hurlé à la crucifixion, tout en attirant à eux un public de croyants choqués par la décision de la RATP.
Le maire de Marseille a évoqué la loi sur la laïcité de 1905 pour justifier sa décision d’interdire cette œuvre à caractère « confessionnel » dans un espace public, le château de la Buzine, géré par la municipalité. Le tribunal administratif saisi par le couple de réalisateurs a jugé l’initiative municipale « illégale » car « la seule diffusion d’une œuvre cinématographique susceptible de présenter un caractère religieux dans un cinéma municipal ne porte pas, par elle-même, atteinte au principe de laïcité ». N’en jetez plus le calice est plein.
Enfin presque, car il y a longtemps que l’adjectif « charitable » ne fait plus partie du champ lexicologique des élus d’extrême droite et de leurs affiliés issus des rangs clairsemés des Républicains. Tous défendent les origines chrétiennes de la France, malgré le pape François qui prévenait du « risque d’instrumentalisation de la foi » que « l’expression racines catholiques comporte » (2).
Après l’extrême droite les Vassal, Boyer, Souvestre… se sont engouffrés dans la brèche concédée par Payan. Qu’importe si la société de distribution de Sacré Coeur, Saje Production, est détenue à 49 % par une structure protestante évangélique, Ze Watchers, qui prône une vision identitaire du christianisme ! Qu’importe que l’abbé Matthieu Raffray, très présent dans cette docu-fiction, soit le prêtre traditionaliste le plus influent de France ! Qu’importe encore que la très réactionnaire chaîne YouTube, Academia Christiana, soit à la manœuvre… Puisque le sénateur Stéphane Ravier avait pointé une « laïcité à sens unique » et sous-entendu que Payan, clientélisme oblige, après avoir reçu le pape, avait désormais le regard tourné vers la Mecque, il convenait à la droite de surenchérir.
Au nom du père, du fils et du malsain d’esprit
Martine Vassal, présidente de la Métropole, dénonçait donc chez le maire une « laïcité à géométrie variable » et la sénatrice Valérie Boyer, toujours dans la nuance, estimait sur BFM TV que Benoît Payan après avoir « chassé Pagnol » du Château de ma mère (La Buzine) s’en prenait à « Marseille la chrétienne ». Et la native de Bourges (Cher) de rappeler avec l’audace de celle qui a survolé l’histoire locale que Monseigneur de Belsunce avait « sauvé en 1720 les Marseillais de la peste » (30 à 40 000 morts pour une population de 80 000 habitants).
Nos bons samaritains n’ont pas osé, comme l’extrême droite, parler du « meurtre du peuple français par effacement de son identité ». On peut parier par contre qu’ils ne sont pas prêts à renoncer à la manne que l’empressement du maire à interdire un film leur a tendue. Il n’y aura pas de miracle. Les politiques marseillais vont continuer à faire leur cinéma et pimenter leur tambouille de polémiques hors sol. Au nom du père, du fils et du malsain d’esprit.
(1) Le milliardaire a créé « Périclès » pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes. » Tout un programme.
(2) Le collectif Paix (Pour un accueil inconditionnel dans l’Eglise) a qualifié « Sacré Cœur », soutenu par la sphère d’extrême droite de « produit culturel dangereux. »













