« I’am very, very nervous ». Il est 4h30. Dans ce Biocoop – La Coumpagnié, situé à Aix-en-Provence, il n’y a pas encore foule. Les petits drapeaux aux couleurs des États-Unis flottent dans la salle de restauration, assortis aux chemins de table soigneusement dressés. A l’entrée, un tableau noir sur lequel est inscrit « Élection 2016 », et où l’on suggère de faire un don aux « Democrats Abroad France ». Les tout-premiers arrivants, emmitouflés dans leur doudoune, ne cachent pas leur anxiété à quelques heures de la proclamation des résultats pour la présidence des États-Unis. Leur candidate, Hillary Clinton est en mauvaise posture. Ils le savent mais tentent de garder le sourire. L’espoir accroché à la Floride. Un État clé qui peut tout changer. « Rien n’est gagné », se rassure Diana. Comme cette militante démocrate, ces ressortissants américains, de tous âges, vivant en France depuis quelques mois ou plusieurs années, ont décidé de se retrouver pour vivre ensemble la grande soirée électorale américaine. Une « Election Breakfast and celebration » dont ils n’imaginaient pas un seul instant l’issue finale.
Les minutes défilent étrangement très lentement. Branchés sur CNN, alors que les premières odeurs de œufs brouillés et de bacon embaument les lieux, la carte des États-Unis se teinte de rouge. Irrémédiablement. Certains peinent à y croire. « Je regarde avec horreur ce qu’il se passe car je considère qu’une présidence de Trump serait un désastre pour les Américains, eux-mêmes, et pour la place du pays, de la Nation partout dans le monde », estime Robert Wildau, sans trouver d’explication à ce qui se joue devant ses yeux. Comme d’autres, il effectue des va-et-vient entre la salle de restaurant – où quelques-uns ont pris place pour ce petit-déjeuner à l’américaine – et l’autre pièce où la chaîne d’info continue de commenter l’ascension du milliardaire et le déclin de l’ancienne première dame, sénatrice et secrétaire d’État. A chaque nouveau résultat, ces Américains suffoquent. L’ambiance se fait pesante. L’appétit disparaît peu à peu, quand la soif de victoire d’Hillary ne semble pas suffire à venir à bout de l’insatiable Donald. L’irréel est-il en train d’arriver ? Vraiment ? Trump, Trump, Trump… résonne comme un refrain trop difficile à entendre. Les lèvres se pincent, les visages se crispent, les yeux s’embuent de larmes. 257 Trump. 215 Clinton. Le magnat de la finance remporte le Wisconsin, suit la Pennsylvanie à 7h55, le Michigan… le « the end » est proche. Diana espère encore, « elle a besoin de 55 votes », chuchote-t-elle, suspendue à son téléphone. « Les prochains états seront déterminants ». Mais la vague rouge se poursuit tandis que les bourses du monde entier frémissent, dévissent même.
Larmes et stupéfaction
« J’étais sûr à 95%. J’ai regardé tous les sites hier, lu les journaux… même le New-York Times la donnait gagnante », déplore Rick Harrison, président des Democrats Abroads France Aix/Marseille. Il a même acheté du champagne, certain que tous ensemble ils fêteraient la victoire d’Hillary Clinton. Les résultats officiels ne sont pas encore tombés, mais il le sait, c’est perdu. Rick est stupéfait, par le fait que « même les indépendants aient voté Trump. C’est un choc, peine-t-il à exprimer. C’est énorme, j’ai été élevé dans une famille qui voterait pour un type comme Trump, j’ai fait mes études dans des grandes écoles américaines, mais j’ai décidé d’être indépendant. »
Cette élection était pour lui une « véritable opportunité » de poursuivre les avancées sociales initiées par Barack Obama. Il pense naturellement à « ObamaCare ». « C’était l’occasion de prouver que nous pouvions avoir un programme social et que ça pouvait marcher. Aujourd’hui, j’ai peur que ça s’inverse », confie-t-il, avouant qu’il se sent bien en France. Cette France qui regarde l’Amérique changer de visage. 8h43. Le verdict tombe. Le républicain remporte 290 grands électeurs sur les 270 nécessaires pour gagner. Sa rivale démocrate en totalise, elle, 218. Donald Trump remporte la présidentielle face à Hillary Clinton et devient le 45e président des États-Unis. Une chape de plomb s’abat sur les militants démocrates. Un « Oh my God » d’effroi s’échappe. Avec cette annonce, on ne peut passer à côté de chaudes larmes versées par des étudiantes américaines, incapables de s’exprimer. D’autres, une bouteille à la main, font mine de se saouler, pour oublier la nuit cauchemardesque qu’ils viennent de vivre et noyer leur peine.
« Et dire que ce type nous faisait rire au début… »
Avec ses deux badges à l’effigie d’Hillary, épinglés sur sa veste grise, Ether Etchevers est « très déçue, mais ça ne m’étonne pas. C’est un vote de haine contre Hillary, non pas d’adhésion à Trump, analyse cette chercheuse en médecine à l’Université Aix-Marseille. C’était n’importe qui sauf elle. Cela traduit une profonde division dans notre pays, qui ne peut s’affranchir en une nuit. Mais Trump est contre tout le monde, il n’accepte pas la diversité, j’ai peur pour la suite. Et dire que ce type nous faisait rire au début… ». La « mauvaise » blague des premiers meetings est bien loin. Avec le Sénat, le Congrès et la présidence acquis aux Républicains, Rick Harrison, toujours abasourdi, se dit inquiet pour les couples homosexuels ou encore la situation des femmes. Des femmes dont Diana n’arrivent pas à comprendre qu’elles aient pu voter pour Trump. Elle reste scotchée à son smartphone pour lire des messages venus de ses amis de New-York : « I aged of three years in two hours» (j’ai vieilli de trois ans en deux heures), ou encore « Panic ! ». La salle se vide doucement, tandis que sur CNN, le nouveau président des États-Unis s’apprête à faire son discours de victoire.
Il apparaît ému, transformé, fédérateur… mais les démocrates n’y croient pas. Quelques-uns rient jaune, n’hésitent pas à faire un doigt d’honneur à l’écran, quand d’autres, comme Rick, ne peuvent tout simplement pas écouter, et s’affèrent au rangement. Les photos de Trump, au visage déformé, posées dans la Biocoop disparaissent. Il reste les images d’Hillary dans sa tenue de shérif avec ce slogan « Yes, she can », emprunté à Barack Obama, mais qui n’aura pas eu la même portée. Ni la même destinée. Un triste 8 novembre pour les démocrates. Un 8 novembre 2016 historique pour les Américains, et pour le reste du monde. Il ne reste presque plus personne dans ce restaurant, seuls quelques ballons bleu et blanc et des drapeaux des États-Unis flottent encore. Sur la table principale, les bouteilles de champagne ont disparu. Ce matin, ce sont des larmes qui coulaient à flot…